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Roger Federer, la fin d’une malédiction ?

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Silence de cathé­drale. Le soleil lèche la pelouse brunie. Rafael Nadal est au service. Roger Federer se décale pour prendre la balle en coup droit et frapper décroisé. La balle fuse, l’Espagnol est pris de vitesse, remet mi‐court. Roger s’avance. Un pas, deux pas, le ballet de semelles qui caressent le gazon. La gifle croisée qui souf­flette la ligne. Nadal est débordé et renvoie, tant bien que mal, un coup lobé raté. La balle s’élève dans l’azur londo­nien de cet après‐midi d’été. Quelques nuages, tout au plus, comme de très minces volutes de lait dans une tasse de thé fumante. Quelques conver­sa­tions de très dignes anglaises au tricot clique­tant. Cette balle reste un infime instant en suspen­sion, captant quelques reflets de lumière sur sa peluche un peu rêche… puis retombe. Et claque dans la raquette de Roger Federer au filet. Un éclair. C’est gagné. Le numéro un mondial s’écroule, se prend la tête dans les mains. Il vient de gagner Wimbledon une cinquième fois d’af­filée en battant Rafael Nadal, 7–6(7) 4–6 7–6(3) 2–6 6–2.

Souvenirs. Cela paraît si loin. Parce que le temps a coulé sous les ponts, de la Tamise, de la Seine ou d’ailleurs. Parce qu’un an plus tard, une page de légende s’est écrite au même endroit, creu­sant dans la terre d’Aorangi Terrace une sentence impla­cable : il y avait avant ; place, main­te­nant, à l’après. Parce que Rafael Nadal a atteint la pleine mesure de sa matu­rité, négli­geant ses panta­courts et ses tee‐shirts sans manches. Parce que Roger Federer a vieilli, s’est marié, est devenu papa. Et a appris à perdre. 

Depuis ce jour, à Londres, en 2007, le Suisse n’a plus jamais battu Nadal dans un tournoi du Grand Chelem. D’ailleurs, avec le temps, comme si les deux avaient vampi­risé en nous toute l’émo­tion possible, à la manière d’une éponge qu’on presse jusqu’à lui faire cracher ses toutes dernières gouttes, ces Federer‐Nadal nous ont semblé de moins en moins inté­res­sants. La saveur s’en est allée à mesure que l’Espagnol s’achar­nait sur le revers de Fed’ avec ses gros parpaings liftés. Intelligemment, avec achar­ne­ment, il a posé ses doigts épais et cabossés sur la nuque de l’Helvète, pour mieux le maîtriser, le dompter, le briser. Oui, Roger nous a bien fait crépiter quelques étin­celles rebelles ici ou là, au Masters, à Madrid. Mais si peu… et jamais en Grand Chelem.

Sept ans de malheur bientôt expirés

Et pour­tant, aujourd’hui, j’ai comme un tout petit espoir… Ah, je vous vois déjà fustiger à mots grands, voire gros, ce « je » terrible du jour­na­liste qui oublie­rait son objec­ti­vité ! La fameuse objec­ti­vité, la grande hypo­crisie. Mais « je est un autre » depuis Arthur Rimbaud, et cet « autre », qui sait, ce peut être vous… ou un « autre ». J’avoue – tu l’auras deviné depuis ce temps que nous nous fréquen­tons : je nourris une certaine tendresse pour Roger Federer. Surtout, j’ai­me­rais voir brisée l’hé­gé­monie robo­tique du coup droit de fond de court, du droite‐gauche assom­mant et des échanges qui, en 54 coups, ne trouvent pas le moyen d’éviter le tamis de la raquette adverse. J’avoue. 

Alors j’avoue aussi ce tout petit espoir… Oh, pas bien grand. Juste une lueur trem­blo­tante qu’on discerne dans la nuit. Si, cette lueur que vous ne n’aper­cevez qu’en regar­dant à côté et qui se floute ou dispa­raît quand vous la regardez de face. Parce que Rafael Nadal n’est pas au mieux. S’il ne s’agis­sait que de sa main gauche en sang… Mais il a tout de même commis 47 fautes directes face à Grigor Dimitrov. Des fautes parfois énormes. Au service, il assure avant tout la première, dans le jeu, il n’est pas flam­boyant et sort bien moins souvent son passing en bout de course fétiche. En face, Roger Federer, lui, semble bien diffé­rent du fantôme qu’il était encore il y a six mois. Face à Jo‐Wilfried Tsonga, face à Andy Murray, il n’a pas hésité à se ruer au filet pour terminer les points. Comme s’il lais­sait de nouveau parler son tempé­ra­ment premier qui le pousse à l’at­taque dès qu’il fait la diffé­rence avec ses éclairs en coup droit ou au service. Ou, plutôt, comme s’il en avait de nouveau les capa­cités physiques. 

2007. Sept ans. Nul ne peut se contenter d’une telle série d’échecs. Non. 

On sait quel joueur est Roger Federer. On sait quel joueur est Rafael Nadal. On connaît, à l’avance, le scénario de cette demi‐finale. Mais s’il existe une occa­sion, une seule, pour Roger de battre Rafa en Grand Chelem, enfin et pour la dernière fois, c’est peut‐être vendredi.

« Pour être cham­pion, vous devez croire en vous‐même quand personne d’autre ne le fait. » Sugar Ray Robinson

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