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Yahiya Doumbia : « Le tennis m’a presque tout donné… »

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Yaya Doumbia. Vous vous rappelez certai­ne­ment de ce Sénégalais atypique, long­temps connu pour avoir été le joueur le plus mal classé à avoir remporté un tournoi ATP. C’était au Grand Prix de Tennis de Lyon, en 1988… Les années ont passé, mais l’ex­ploit reste intact. Tout comme le person­nage, aujourd’hui investi en Alsace, au TC Illberg. Rencontre.

Quand as‐tu pris la déci­sion d’ar­rêter ta carrière ?

En 2000, mais, en fait, tout est arrivé un peu avant sur un court de la Porte d’Auteuil…

C’est‐à‐dire ?

A l’époque, je m’en­traî­nais souvent à Roland Garros avec le Russe Andreï Chesnokov. Ce jour‐là, on avait fait une bonne séance et je l’avais emporté assez faci­le­ment, deux sets à rien. Mais Andreï n’ai­mait pas perdre (rires), il m’a un peu poussé à faire une manche supplé­men­taire. Elle m’a été fatale. Sur une balle courte, je me suis fait une méchante déchi­rure. Au cours de l’année qui a suivi, je n’ai jamais pu retrouver un physique perfor­mant. Il a donc fallu que je me résigne à stopper ma carrière de joueur professionnel.

Qu’as‐tu fait, à ce moment‐là ?

J’ai tout de suite enchaîné avec une forma­tion pour obtenir mon diplôme de profes­seur. Puis, j’ai été appelé pour un projet privé en Alsace avec une joueuse qui voulait devenir profes­sion­nelle. Dès le début, on est parvenu à faire du bon travail, mais tout s’est arrêté par manque de spon­sors et de finan­ce­ment. Comme j’avais eu de très bons contacts au TC Illberg où nous nous entraî­nions, j’ai intégré assez natu­rel­le­ment le staff tech­nique. Et j’y suis toujours !

Tout le monde te connaît pour ton exploit au Grand Prix de Tennis de Lyon, en 1988. Comment tu expliques ce fabu­leux parcours, avec le recul ?

Le plus simple­ment du monde (rires). Si personne ne me connais­sait à l’époque, j’avais déjà pas mal d’ex­pé­rience. Il s’agis­sait, certes, du premier tournoi ATP de ma carrière, mais je m’étais bien entraîné les deux années d’avant. Surtout, j’étais armé menta­le­ment pour un tel événement. 

Tu peux être plus précis ?

Ceux qui me côtoient le savent, je n’ai jamais eu peur de l’ad­ver­sité. Dans ma carrière, j’ai rare­ment regardé un tableau dans l’idée de me préparer psycho­lo­gi­que­ment. Ce qui m’im­por­tait toujours, c’était la balle, les situa­tions de jeu et comment y répondre sur le court pour pouvoir dominer mon adver­saire. Gamberger avant, ce n’était vrai­ment pas mon truc. Alors, pour ma première dans un tournoi ATP, je n’al­lais pas changer mes habi­tudes. Une fois que je suis sorti des quali­fi­ca­tions du tournoi, à Lyon, j’avais l’in­time convic­tion que tout était possible. Je me suis efforcé de rester dans ma bulle en me souciant unique­ment de la qualité de mon jeu. Cela n’a pas été simple. Plus j’avan­çais dans le tableau, plus je sentais la pres­sion augmenter, avec un bel engoue­ment autour de mon parcours. Heureusement, je suis parvenu à garder mon calme…

Ce calme t’a permis de triom­pher et d’éta­blir un nouveau record…

C’est vrai, j’ai écrit une page de l’his­toire du tennis en rempor­tant le tournoi en étant classé 493ème. Mais cette page a été, depuis, effacée par un certain Lleyton Hewitt (rires).

La finale face à l’Américian Todd Nelson fut diffi­cile, j’ima­gine… Lui aussi était une vraie surprise de cette édition du GPTL.

Une grosse bataille en trois manches entre deux invités surprises, comme vous dites. En y repen­sant aujourd’hui, c’est vrai que j’ai un petit regret, même si je l’ai emporté.

Lequel ?

J’aurais vrai­ment aimé jouer contre Yannick Noah. Cela aurait été fantas­tique, dans une superbe ambiance, d’au­tant qu’il était tenant du titre. Je me suis toujours senti proche de Noah dans sa philo­so­phie de jeu, je suis certain que je me serais transcendé.

« Je n’ai jamais eu peur de l’ad­ver­sité, j’avais l’in­time convic­tion que tout était possible »

Tu as gardé un souvenir de ta victoire ?

Oui, ma raquette Zebra…

Zebra ?

C’était une marque améri­caine peu connue. En fait, comme j’avais joué en univer­sité aux Etats‐Unis, j’avais un contrat avec Zebra qui m’avait donné une ving­taine de cadres. Les raquettes ressem­blaient à des Prince de l’époque.

Par la suite, tu as joué avec la raquette Puma de Boris Becker ?

Je vois que tu as fait ton enquête (rires) ! Oui, cela a duré deux ans. Une drôle de raquette, d’ailleurs…

En parlant de Boris Becker, tu as gardé le souvenir d’une rencontre avec une star ?

Oui, avec John McEnroe. L’année après mon titre à Lyon, je suis éliminé assez tôt dans le tournoi. J’avais donc un peu de temps. Un jour, John m’a appelé en me deman­dant d’être son spar­ring partner. Le seul souci, c’est qu’il fallait se lever tôt, car John s’en­traî­nait le matin à sept heures (rires).

Dans ta vie de tous les jours, il y a des fans qui te reconnaissent ?

Forcément (rires), la dernière fois quand le Kia Open est passé par le TC Illberg, un des orga­ni­sa­teurs qui avait été à Lyon à mon époque m’a reconnu. On a évoqué ses souve­nirs. De façon géné­rale, cela arrive souvent sur des mani­fes­ta­tions de tennis où je me rends. Logique ! 

On imagine que c’est aussi le cas au Sénégal…

C’est clair, là‐bas, c’est presque systé­ma­tique. D’ailleurs, pouvoir déve­lopper le tennis dans mon pays, cela fait partie de mes rêves. Malheureusement, ce n’est pas encore possible aujourd’hui, c’est dommage.

Quand on a décidé de partir à la rencontre d’an­ciens joueurs et joueuses, on s’est aperçu que peu d’ex‐champions coupaient vrai­ment avec le tennis à la fin de leur carrière. Comment l’expliques‐tu ?

Le tennis est un sport trop prenant. Me concer­nant, il m’a presque tout donné et, ce, même si j’ai sacrifié une partie de ma vie pour lui. Je pense que c’est sûre­ment le cas de beau­coup de joueurs. C’est diffi­cile de tout plaquer. Et puis, on a souvent envie de trans­mettre ce qu’on a appris dans une académie, dans un club ou ailleurs. 

C’est ce que tu fais tous les jours au TC Illberg…

Cela fait partie de mon quoti­dien, en effet. Je m’ef­force aussi de m’in­vestir auprès d’un des mes fils, bien que je fasse atten­tion à ne pas trop en faire, car je sais ce que cela peut avoir comme consé­quences sur la vie de famille. Au final, avec le recul, je suis très heureux de la carrière que j’ai eue sur le circuit, mais je sais aussi que cela m’a privé de beau­coup de choses. Quand on parle de sacri­fices, ce n’est pas un vain mot. Etre joueur profes­sionnel n’est pas qu’une vie de strass et de paillettes, surtout à mon époque et avec le parcours jonché de bles­sures que j’ai connu. 

On se souvient que tu étais un joueur de main. Il y a des joueurs du circuit qui t’inspirent ?

Forcément, Roger Federer, mais aussi Stanislas Wawrinka et, d’une manière géné­rale, tous les joueurs de l’Est. Je trouve qu’il y a chez eux une façon d’im­pro­viser et de cher­cher qui ressemble à mon style. 

Tu as gardé des contacts avec la grande famille du tennis ?

Plus ou moins, mais je ne me rends pas à Roland Garros chaque année. En revanche, je vais très souvent au tournoi de Bâle, j’y suis toujours très bien accueilli. 

Enfin – on ne pouvait éviter cette ques­tion -, est‐ce que tu fais encore de la compétition ?

Bien sûr que… non (rires) ! J’ai sûre­ment un clas­se­ment, mais je ne sais pas lequel. Il m’est arrivé de faire quelques matches en plus de 45 ans pour aider l’équipe de mon club. Le plus surpris, ce n’est géné­ra­le­ment pas moi, mais plutôt mon adver­saire qui ne reste pas très long­temps sur le court (rires).