Ancien joueur, entraîneur, coach, manager, Ion Tiriac est l’observateur privilégié du tennis mondial. Aujourd’hui à la tête de l’organisation du tournoi de Madrid, Ion était revenu pour GC/WLT en avril 2008 sur le poids de Roland‐Garros sur la planète tennis, et sa conception du tennis. Alors que le premier tournoi de Madrid vient d’ouvrir ces portes, cet entretien prend encore plus de sens
La terre battue est‐elle la surface la plus difficile à apprivoiser ?
Ecoute, chaque surface est différente. Les temps de ma génération sont passés. Nous on voyageait assez souvent pour gagner notre pain, pas notre vie, c’est une très grande différence. On traversait rarement l’océan pour les Etats‐Unis et jamais pour l’Australie. Alors c’est vrai que Wimbledon c’était Wimbledon, comme toujours, mais nous les joueurs des pays de l’Est on détestait l’herbe. Aujourd’hui, il faut reconnaître que le tennis indoor a pris une place prépondérante.
Avez‐vous l’impression que la terre battue est un peu mise à l’écart sur le circuit international ?
Non, c’est juste que le joueur du tennis n’est pas assez professionnel. Malheureusement le tennis a explosé dans la direction de l’argent, dans la direction l’industrie. Par contre, on est resté très en arrière d’un point de vue professionnel. Mais c’est notre faute, et pas seulement celles des joueurs de tennis mais aussi celle des managers, des entraîneurs. Parce que le tennis est le seul sport du monde qui à 13 mois de calendrier. Tu termines le 31 décembre et tu commences le 1er janvier. De plus le marché du tennis n’est pas un marché libre, c’est un marché organisé, bon ou mauvais ce n’est pas la question. C’est organisé par l’ATP, par la WTA, ITF, par les Grands Chelems. ça n’existe pas dans un autre sport au monde.
Quand vous décidez d’organiser un très gros tournoi sur terre battue à Madrid, quel est l’objectif ?
Moi, j’ai juste décidé d’organiser un très gros tournoi sur terre battue à Madrid. Juste j’ai décidé d’organiser un tournoi à Madrid. Et ça il y a 5 ans. J’ai pris mon risque après 16 ans d’Allemagne, j’ai mis les choses sur la table, j’ai trouvé le propriétaire et je lui ai dit que j’allais probablement prendre des risques. La première année, le tournoi a perdu 3 millions d’euros. Je me demande si demain matin une fédération ou une autre société va mettre les 3 millions sur la table. Parce que tu dois payer le dimanche, les joueurs, les spectateurs, tu ne peux pas tricher avec eux, ce sont tes clients. La deuxième année il a perdu 1 million et demi et après il a commencé à être profitable. En disant ça, moi je sais faire un tournoi, je sais faire très peu de choses dans ma vie, mais organiser un tournoi, faire un événement, je l’ai démontré plusieurs fois. Alors oui, je suis très mégalomane, et personne ne peut m’apprendre comment faire d’un tournoi un succès. J’ai fait le Masters d’Hanovre. En cinq ans j’ai fait du tournoi de Madrid le meilleur tournoi sur 7 jours.
Quand on dit que ce tournoi pourrait être un 5ème Grand Chelem, est‐ce que c’est une réalité ?
Ecoutez monsieur, avec tout le respect, moi je pense aussi que les Grands Chelems ont beaucoup de défauts. Mais, je ne veux pas être un Grand Chelem, moi je veux avoir la liberté et personne ne peut m’en empêcher. Je n’ai pas besoin d’un tableau de 128. Je pense que la crème de la crème doit jouer. si je pouvais, je ferais un tableau de 32.
Et le choix de l’Espagne c’est aussi parce qu’aujourd’hui en temps que grand spécialiste vous avez senti que l’Espagne est une grande nation de tennis ?
L’Espagne a toujours eu un très bon tournoi. Barcelone a toujours été un très bon tournoi. Mais le club de Barcelone ne pouvait pas se développer et monter au rang de Masters Series. L’Espagne, depuis quarante ans, c’est la nation qui a le plus grand nombre de vainqueurs de tournois du Grand Chelem. De loin. Oublie les Etats‐Unis, l’Australie et tout ça, oublie ça. C’est vrai que les fans ne sont pas encore assez forts, pas forts comme il l’étaient il y a 10 ans, 15 ans, mais ça revient, ça bouge à nouveau. Simplement il ne faut pas tricher, offrir que des évènements de qualité. Et c’est ça ce que l’on a fait. Nous, on l’a fait en Allemagne et après l’Allemagne tout le monde nous a copié.
Aujourd’hui, quelle analyse faites‐vous de l’évolution du tennis ?
Je pense que le tennis a beaucoup progressé, mais pas dans toutes les directions positives. Par exemple le jeu va trop vite. Je pense que c’était très facile de faire la balle 10% plus grande. Pas 2% pas 3% tout ça, mais 10%. Alors le service aurait été plus lent, le retour moins brutal. Oui le joueur aurait souffert un an ou deux ans mais il se serait adapté. Exactement comme on a appris à jouer avec des raquettes plus grandes. Parce que, avec tout le respect si aujourd’hui je donne une raquette en bois à 440 grammes, comme Vilas ou comme Borg, à n’importe lesquels de ces messieurs, au bout d’une demie heure, il va aller à l’hôpital. Alors, je vais faire un très grand compliment à Monsieur Federer. Moi je pense que Federer est le plus grand joueur de tous les temps. Et dire ça dans une époque ou c’est « kill or die » c’est très difficile pour moi, mais il a tout de même inventé beaucoup de choses dans le tennis. Il joue au piano quand les autres frappent au tambourin. J’ai pensé que l’erreur c’est de comparer les époques. Apres Sampras qui mérite quand même de la considération, je place Federer. Je n’oublie pas qu’avec McEnroe il existait des créateurs sur le terrain. Aujourd’hui c’est très difficile d’être un créateur.
Roland‐Garros est‐il menacé ?
Ma position sur Roland‐Garros ne sera pas objective parce que j’ai gagné Roland‐Garros en double mais pas en simple malheureusement. Roland‐ Garros a fait beaucoup plus d’investissement que les autres. Le tennis est beaucoup plus humain à Paris. On peut voir plus de choses à Roland‐Garros. En revanche, depuis des décennies il devrait y avoir au moins un court couvert sur chaque tournoi du Grand Chelem.
Notamment à Roland‐Garros
A Roland‐Garros, à Wimbledon, partout, un toit rétractable, parce que tu ne peux pas te permettre d’avoir l’arrogance de dire que la pluie fait partie de l’Angleterre. Idem à Paris. Quand tu as 200 pays qui retransmettent les matches, quand tout le monde sait que dès 14 heures la Formule 1 démarre, que n’importe où au monde il y a 5 lumières rouges, et que quand elles sont vertes le spectacle commence, tout est dit d’un point vue marketing et économique.
Pensez‐vous qu’il faille agrandir Roland‐Garros ?
Si Paris avait eu les Jeux on ne se poserait même pas la question, mais il est clair que ce projet est une nécessité pour le tournoi.
Quand on parle de Ion Tiriac dans le monde du tennis, on dit toujours que c’est quelqu’un qui est capable de monter des événements en 3 coups de fil
Tout cela est faux. J’ai eu une seule qualité au monde. Je savais pousser les frontières. En 1964, après les Jeux Olympiques d’Innsbruck (NDLR : Ion Tiriac faisait partie de l’Equipe de Hockey sur Glace) j’ai dit c’est fini avec le hockey. En 1972, j’ai dit c’est fini avec le tennis. Je jouais la troisième finale de Coupe Davis, j’ai pas pu gagner malheureusement. Je ne suis pas assez bon, et Nastase est idiot (rires). Donc je me suis dit, je vais commencer à entraîner gratuitement, après j’ai commencé à faire le manager parce que je venais du métier, et après j’ai fait le promoteur. En tant que promoteur, j’ai gagné beaucoup d’argent. En 1985, j’ai dit aussi que ma carrière d’entraîneur avec Vilas était terminée. Pour Becker je l’aidais techniquement quand il le fallait et après quand Becker s’est arrêté, j’ai enchaîné sur l’organisation. Je connais le recette pour faire un tournoi, combien de sel, combien de poivre tout ça, et si je goûte et que c’est pas bon alors je jette à la poubelle. Et on recommence de nouveau. J’ai la recette. J’ai inventé la recette.
Vous serez présent à Roland‐Garros cette année ?
Roland‐Garros, c’est le seul tournoi où je peux me permettre de gâcher 10 jours de ma vie. Mon programme, c’est Roland‐Garrros et après à Madrid je reste 6, 7 jours peut être…
Publié le lundi 11 mai 2009 à 13:21