Parce que Marcos Baghdatis est allé en finale de l’Open d’Australie, parce que Marcos nous avait prévenu en nous expliquant que Tsonga serait un grand, parce que Marcos a eu une petite déprime après sa finale, on est allé poser quelques questions fondamentales à celui qui a permis à Marcos de gravir les échelons : Patrick Mouratoglou. Cela ferme notre couverture de cette première levée du Grand Chelem. Direction le ciment américain puis notre terre battue adorée.
Est‐ce que le parcours de Jo ressemble à celui de Marcos en 2006 ?
Les observateurs et analystes comparent les parcours de Marcos et de Jo car dans les deux cas, personne n’aurait pu les imaginer en finale de l’Open d’Australie de façon si soudaine. Pour l’un comme pour l’autre, les spécialistes les savaient talentueux, mais aucun signe n’aurait pu laisser présager un tel résultat car leur niveau de jeu dans les mois précédents semblait loin de celui nécessaire pour atteindre une finale de Grand Chelem. On les savait capable sur un match d’un exploit, mais atteindre une finale de Grand Chelem réclame d’autres qualités, et notamment la capacité à conserver pendant deux semaines un niveau de jeu parmi les 5 meilleurs mondiaux.
Quels conseils par rapport à la gestion de cette montée médiatique pourrais‐tu lui donner ?
C’est très déstabilisant du jour au lendemain de se trouver le centre de toutes les attentions. Beaucoup d’excès, beaucoup d’amour inconditionnel alors que la veille personne ne faisait attention à lui. Soudainement, il devient le centre de toutes les attentions, de toutes les attentes, il devient indispensable à ceux qui hier ne connaissaient même pas son existence. C’est le lot de tous les champions charismatiques, mais il n’en reste pas moins que c’est effrayant du fait du caractère soudain. Des joueurs comme Nadal ou Djokovic vivent la même situation, mais ont eu tout le temps de s’y habituer car cette situation s’est installée progressivement. Pour Marcos et Jo, c’est violent ! Selon moi, ce qui est important c’est :
– De prendre du plaisir : Lorsque l’on fait ce métier, en général, on aime le public, la célébrité. Aujourd’hui, Jo vit un conte de fées. Il doit absolument prendre du plaisir et nourrir sa confiance de ce qu’il vit. Son ego va probablement augmenter et c’est une bonne chose car cela lui servira pour sa vie future de joueur.
– De se protéger : Les sollicitations sont désormais multiples et permanentes. Il est nécessaire de faire des choix afin de ne pas perdre de vue l’essentiel : garder de l’énergie pour s’entraîner, et se concentrer sur son activité principale.
– De ne pas oublier l’essentiel : Pour que ça continue, il faut vite se remettre au travail. La pression sera désormais nouvelle, car Jo sentira en permanence l’attente qu’il suscite auprès de son public, et de l’ensemble du tennis mondial. C’est une situation qui est très difficile à gérer, mais c’est en partie sa capacité à surmonter cette pression qui déterminera si oui ou non il confirmera et s’imposera au sommet de la hiérarchie mondiale. Pour lutter face à cette pression, seul le travail qui lui a permis d’arriver là ou il est lui permettra de gravir les échelons qui lui reste à gravir.
Penses‐tu qu’il était loin du titre ou pas ?
Je pense que Jo a vécu le même genre de sensation que Marcos sur cette finale. En terme de niveau de jeu, je pense que Jo était au‐dessus de son adversaire, il s’en est rendu compte et cela a procuré une crispation qu’il n’avait pas ressentie dans ses matchs précédents. Djokovic était crispé également, compte tenu de l’enjeu et du fait qu’il se trouvait en position de favori. Il a senti qu’il était meilleur ce jour‐là et qu’il avait les cartes en main. Malheureusement cette crispation a fait de ce match un match tendu, qui s’est joué sur l’expérience. Cela paraît peut‐être étonnant de parler d’expérience pour Novak qui n’a que vingt ans, mais, il fait partie des meilleurs joueurs du monde depuis déjà deux ans, et a gagné deux Masters Series et de nombreux titres. Il a battu plusieurs fois Federer, et est beaucoup plus aguerri que Jo. Le match s’est donc joué au mental, sur quelques points et est revenu logiquement au plus expérimenté qui, par ailleurs est, selon moi, un « monstre » mentalement.
Tu as souvent été critique vis à vis de la fédération, cette place en finale remet‐elle en cause ton analyse ?
Non, je ne critique pas la Fédération, j’explique ce qui, selon moi est important pour conduire les joueurs à la réussite. Mes conceptions ne sont nullement remises en cause par la réussite d’un joueur dans un tournoi. Tous les systèmes peuvent évoluer dès lors que la volonté est là. Dans chaque système il y a des joueurs talentueux avec du potentiel et des professionnels compétents. En revanche, je me réjouis de ce résultat à la fois parce que Jo est un super joueur et quelqu’un de bien, et parce que sa réussite rééquilibre un peu les pouvoirs dans le tennis français.
Federer, et Nadal dehors, est‐ce que le tennis vit une petite révolution ?
Une révolution, sûrement pas, mais une passation de pouvoir, peut‐être… Federer, et c’est logique, est confronté à l’arrivée de jeunes joueurs qui progressent et qui viennent discuter sa suprématie. Djokovic a énormément progressé et s’impose de plus en plus. Il s’installe désormais comme le véritable rival, plus que Nadal qui a montré depuis un an des signes de faiblesse inquiétants. Il a montré des limites qu’on n’avait pas décelées auparavant. Ses défaites très sévères à Madrid, Bercy, Chennai puis Melbourne, s’avèrent inquiétantes. Reste que si Federer garde son niveau de jeu, pour le moment, seul Djokovic semble placé pour lui discuter sa place de N°1.
On n’a pas beaucoup parlé du tableau femmes, y‑a‐t‐il une nouvelle pépite sur le circuit ?
Celle qui a le plus progressé ces derniers mois est Ana Ivanovic. Elle est très talentueuse et très ambitieuse. Elle a perdu beaucoup de poids en fin d’année 2007, ce qui lui permet de mieux se déplacer. Elle s’impose aujourd’hui comme une de celle pouvant prétendre à gagner un grand chelem. Elle a atteint deux finales, elle va devoir montrer si elle a les qualités mentales d’une championne. Pour le reste de nombreuses très bonnes jeunes joueuse arrivent. Il leur faudra une année ou deux pour arriver au sommet : Paszek, Cornet, Wozniacki, Azarenka, Rezaï, …
Publié le jeudi 15 mai 2008 à 04:57