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Stefan Edberg :“Contre Nadal, Federer doit monter au filet 5 fois sur 10”

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Il y a des moments de bonheur pour un maga­zine, la rencontre avec Stefan Edberg nous a trans­porté au 7ème ciel de l’interview. La classe absolue, la parole rare et précieuse, le plus grand des Suédois serveurs volleyeurs nous a expliqué le tennis d’attaque dans un jardin du Trophée Lagardère. Cet entre­tien que vous trouvez ici en inté­gra­lité fera l’objet d’une page dans le GrandChelem 10 qui sort ce mercredi dans les 690 points de notre réseau. Au moment où Federer a dévoilé son programme de 2009, il est encore plus d’ac­tua­lité. Attention ceci est un vrai docu­ment comme seul WLT/GrandChelem sait en offrir sur lewen et oui il fallait le souligner !

Tu es venu à Paris avec tes enfants, c’est impor­tant pour toi qu’ils t’accompagnent ?

J’ai arrêté ma carrière en 1996. Ma fille n’avait donc que 3 ans. C’est assez étrange parce qu’elle ne m’a jamais vrai­ment vu jouer. Donc je pense que mes enfants vont appré­cier de me voir sur un terrain. 

J’ai remarqué qu’ils étaient parti­cu­liè­re­ment fiers de leur papa durant le match…

Ah oui ? (sourire gênée) C’est une chose très agréable de pouvoir manager la vie profes­sion­nelle et fami­liale. Même si ça faisait long­temps que je n’avais pas joué, j’ai essayé de faire de mon mieux devant eux. Et puis, pouvoir voyager dans des grandes villes à travers le monde avec toute la famille, c’est une bonne oppor­tu­nité de tout combiner.


J’ai vu qu’ils étaient même venus caméra à la main…

Ah ! Tu l’as vu ! (rires)

Stefan, on ne te voit pas autant que Mats ou Björn. Je dis cela parce que Mats commente le tennis toutes les semaines. Que penses‐tu du circuit masculin ?

Tout d’abord, je tiens à préciser que je ne regarde pas beau­coup le tennis à la télé­vi­sion. Je ne suis pas le jeu de près comme je le faisais avant.


Depuis quand ?

Depuis les 10 dernières années. J’essaye de ne pas rater les gros matches, comme les finales ou les demi finales. Mais je n’ai pas trop de temps car il y a plein d’autres choses que j’adore faire. Au regard du tennis aujourd’hui, ma réflexion se penche sur Nadal et Federer qui dominent le tennis d’une façon jamais vue. Ils ont gagné à eux deux quasi­ment tous les grands chelems ces dernières années. Ils remportent presque tous les tour­nois auxquels ils parti­cipent. Ils jouent énor­mé­ment de finales, de très belles finales. Je pense que ces deux sont incroyables. Ce sont des joueurs formi­dables pour le tennis et pour le jeu.

Tu penses qu’il n’y a pas de compa­raison avec ton époque ?

Aucune compa­raison. Quand je jouais, il y avait plein de joueurs suscep­tibles de gagner un Grand Chelem : Courrier, Sampras, Agassi, McEnroe, Lendl, tant de grands noms qui pouvaient remporter des titres. Regardez main­te­nant, Nadal et Federer se partagent à peu près tout. Depuis les années 70, je ne me rappelle pas avoir vu cela. Donc ma réflexion consiste à dire que ces deux gars sont vrai­ment très bons et qu’ils sont un peu meilleurs que les autres.

Alors une petite provo­ca­tion, tu dis qu’ils sont vrai­ment très bons. Ca ne serait pas plutôt les autres qui ne sont pas assez bons ?

Je ne sais pas, parce que je ne suis pas le tennis de manière assez assidue.Pour dire combien ils sont bons je devrais être sur les courts. Regarder le tennis à la télé­vi­sion ce n’est pas la même chose. A priori, il y a toujours une inter­ro­ga­tion pour savoir si les autres sont au niveau. Moi je pense que oui. Simplement Rafa et Roger sont excep­tion­nel­le­ment bons.

Tu as un grand fan fran­çais qui s’ap­pelle Guy Forget. Il y a deux ans, nous lui avons demandé ce que Federer devrait faire pour battre Rafa. Il nous a répondu « Si Stefan Edberg jouait encore il battrait Nadal 7 fois sur 10 » parce que tu lui ferais une première service‐volée puis une deuxième service‐ volée, et ça pendant tout le match. Penses‐tu la même chose ?

Il est clair que pour battre Nadal, il ne faut pas jouer en fond de court. Parce qu’à cet endroit‐là c’est le meilleur. Pour le battre tu dois atta­quer, jouer un jeu diffé­rent. Je suis vrai­ment surpris que Roger Federer ne joue pas comme cela. A Wimbledon par exemple, il est venu au filet une fois sur dix. Si j’avais été son coach, je lui aurais demandé de venir au filet au moins 7 fois sur 10 contre Nadal, juste pour casser son rythme. Je pense que vous n’avez pas beau­coup de joueurs qui jouent comme je l’ai fait ou comme McEnroe ou Becker le faisaient en atta­quant en première et en deuxième. C’est dommage parce que c’est très diffi­cile de jouer contre quel­qu’un qui vient toujours casser votre rythme et c’est très frus­trant. Mais en même temps c’est un jeu très diffi­cile à jouer.

Mais est‐ce que tu penses que c’est encore possible de jouer comme cela, avec le gazon actuel, les raquettes actuelles , le cordage actuel ?

Ca doit être plus diffi­cile. Je sais quon a rendu les balles plus lentes, plus lourdes. On a laissé le gazon un peu plus haut donc plus lent. C’est donc plus diffi­cile. C’est un style de jeu qui a besoin de vitesse.
Ca arrive de voir Roger monter au filet contre Nadal et de devoir faire une volée sans aucun contrôle. Parfois on peut lire de la decep­tion sur son visage comme s’il avait manqué quelque chose…
Mais main­te­nant, on ne peut pas jouer uniqu­ment le service‐volée. Il a besoin de jouer un peu de service‐volée, de le faire match après match, avec régu­la­rité. Parce que jouer tout un match en service‐volée c’est actuel­le­ment trop diffi­cile même impos­sible. Je pense qu’il devrait adopter une stra­tégie plus vers l’avant parce que main­te­nant tout le monde sait comment il joue et tout le monde cherche à le battre. S’il monte 5 fois sur 10 à la volée, il désta­bi­li­sera l’ad­ver­saire. Le joueur adverse ne saura plus à quoi s’at­tendre au service. « Est‐ce qu’il va venir au filet ou non ? ». Roger en est capable et je pense que c’est une clé pour lui.

Quand tu dis qu’il n’y a plus de serveur‐volleyeur comme tu l’étais. Est‐ce que c’est une décep­tion pour toi ? Ca peut changer ?

Franchement, ça serait très agréable de voir plus de joueurs aller au filet. J’aimerais voir plus de varia­tions dans le jeu parce que tout le monde joue du fond de la même manière.

Est‐ce que tu penses que Roger joue différemment ?

Oui bien sûr. Il ne joue pas comme les autres. Il serait bon de voir quel­qu’un maîtriser plus le jeu au filet. Le problème c’est que les joueurs sont main­te­nant impi­toyables en fond de court mais ne jouent pas très bien la volée. Le service‐volée est un style de jeu qui demande plus d’ap­pren­tis­sage tech­nique et physique. Vous devez commencer à jouer en service‐volée très jeune sinon c’est difficile.

Est‐ce que tu serais inté­ressé de jouer juste quelques points contre Nadal ? McEnroe l’a fait pendant 10 minutes à Wimbledon.

Bien sûr. De toute façon c’est toujours bon de jouer contre les meilleurs au monde. Ce serait un bon chal­lenge. Je pour­rais sentir sa frappe de balle et je suis persuadé qu’à la première touche de balle, je me dirais « Wouahou ! ». Mais on doit s’ha­bi­tuer à sa frappe au fur et à mesure.

Parlons des autres joueurs. Qui t’in­té­resse ? As‐tu quelques noms ?

Bon, il n’y pas beau­coup de Suédois… Mais il y pas mal de joueurs fran­çais inté­res­sants… Et puis il y a Djokovic qui a déjà gagné un Grand Chelem. Il va sûre­ment en gagner un autre. Murray est le joueur qui arrive fort, il devrait atteindre plusieurs finales de Grand Chelem très rapi­de­ment. Il y a peut‐être d’autres joueurs qui pour­ront venir chatouiller Roger et Rafa mais ca va prendre du temps !

Quel joueur actuel te touche ?

J’adore le style de Roger. Il pratique le tennis que j’au­rais aimé jouer. Si je jouais au tennis actuel­le­ment je n’irais plus au filet tout le temps. Je reste­rais plus en fond de court. Mais en même temps c’est très fasci­nant de voir Rafa jouer. C’est un tigre et c’est vrai­ment inté­res­sant à voir. Tous les grands joueurs ont quelque chose en plus.


Est‐ce que tu suis le tennis fémnin ?

Pas trop. Mais je ne regarde pas trop le tennis masculin non plus. 

Comme nous sommes a Paris. Peut on revenir sur ta finale de Roland‐Garros perdue de 1989 ? Nous sommes donc 19 ans après, peux‐tu avec le recul nous donner ton analyse du match ?

D’abord je te précise que ça n’a pas été 19 ans de souf­france. Mais c’est un match dont on aime­rait bien jouer quelques points diffé­rem­ment. Il y a pas mal de balles de breaks dans le quatrième set. Si j’avais trans­formé plus de ces balles de breaks, j aurais sûre­ment gagné ce match. J’aurais même dû gagner ce match mais je ne l’ai pas fait ! Sur le moment, j’étais déçu, très décu parce que je savais que je n’au­rais pas tous les jours l’oc­ca­sion de pouvroi remporter Roland‐Garros. Je ne me suis pas trompé. 

C’était une année spéciale..

Oui très spéciale. Il y a eu beau­coup de choses qui se sont passées. Michaël Chang, Lendl, j’ai joué Becker en demi‐finale. Plein de choses se sont passées pendant ce tournoi…


Est‐ce que tu en veux à Michael. C’était sa première finale, il était supposé être vite dépassé par toi…

C’était sa première finale. Et d’ailleurs ca a été le seul Grand Chelem qu il a gagné jusqu’à présent. Il l’a bien mérité (rires).

Aujourd’hui que fais‐tu ?

Je travaille. Je suis assez occupée en ce moment. Je vis en Suède. Je travaille de chez moi ou au bureau dans le milieu des finances. Ca me prend beau­coup de temps. Mais j’aime beau­coup ce que je fais.

Quelles sont les qualités venant du sport que tu peux utiliser dans ton nouveau travail ?

Je pense, qu’en tant qu’ath­lète, tu es habitué à travailler pendant long­temps, à être très concentré. Je pense que dans le milieu du travail ce sont des points forts. Il y a donc beau­coup de qualités venant du sport appli­cables au milieu du busi­ness. Après dans le tennis tu es très cadré. Il y a l’ar­bitre, les juges de ligne. Maintenant, tu as même le Hawk‐Eye pour te dire ce qui est bon ou pas. Dans le busi­ness, ce n’est pas pareil. Il faut entre­tenir les rela­tions humaines, les objec­tifs sont diffé­rents. A mon avis, il faut plus de cinq ans pour être bon dans ce milieu.


Le busi­ness, c’est nager avec des requins. Pourtant on a une image de toi plutôt timide. On a du mal à t’imaginer dans ce milieu. Comment as‐tu fait ?

Le fait d’être en Suède m’aide. Les choses sont faites calme­ment. Vous pouvez faire confiance aux gens.


Quoi, c’est pas la même chose en France ? (rires)

Si, si c’est exca­te­ment pareil (Rires) Non, je sais que dans le sud de l’Europe c’est une menta­lité un peu diffé­rente mais je sais comment vous marchez.


Parlons du futur. Tes enfants sont venus te voir jouer. Est‐ce qu’ils pratiquent le tennis ?

Christopher joue un petit peu au tennis. Tous les deux aiment beau­coup le sport. Mais la préoc­cu­pa­tion n°1 reste l’école.

Dernière ques­tion, peux tu nous dire quelque chose en français ?

« Je voudrais une table pour deux personnes » (rires)