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Aravane Rezai : « Je sens que mon mental est plus fort que les filles qui n’ont pas vécu ce que j’ai vécu »

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Au centre d’une polé­mique récur­rente entre la fédé­ra­tion fran­çaise et un entou­rage fami­lial jugé trop agressif, Aravane Rezai a décidé de se rappro­cher de Patrick Mouratoglou, autre forma­teur à la marge du système fédéral. Entre outsi­ders, on se tient chaud. Rencontre à l’aca­demie éponyme avec la jeune espoir fran­çaise pour revenir sur cette néces­site d’ad­ver­sité qui affermit la réso­lu­tion d’une championne. 

C’est quoi être outsider ?

Pour moi être outsider, c’est sortir de son coin, être en dehors d’un petit groupe, ne pas être médiatisé. 

Ca a un intérêt d’être outsider ?

Ca dépend des moments. Quand j’ai commencé à devenir profes­sion­nelle, j’étais une outsider. J’avais la qualité mais je n’avais pas pu le montrer. Quand j’ai eu des résul­tats à Roland‐Garros 2006, j’ai pu sortir de cette façon de penser. 

Ca veut dire que tout à coup tu existes ?

Oui c’est ça, ça veut dire exister. Ca veut dire que tout ce qu’on a fait ce n’était pas pour rien. On avait raison de ne pas baisser les bras. 

Alors une fois que tu n’es plus dans ce rôle d’out­sider, comment faire pour se remotiver ?

C’est exac­te­ment ce que je suis en train de vivre en ce moment. Ca explique tout mon début de saison avec des élimi­na­tions au 1er tour. C’est parce que je manque d’ex­pé­rience et que je suis encore dans une menta­lité d’out­sider. Donc je suis main­te­nant en train d’ap­prendre tout ça, y compris d’ap­prendre à gérer le fait d’être connue. C’est quelque chose que j’ap­prends à appré­cier. Je suis en train d’ac­quérir cette expérience. 

Outsider, c’est aussi être dehors. On a long­temps parlé du tennis fran­çais comme une maison dont tout le monde vien­drait, mais est‐ce qu’au­jourd’hui ce n’est pas le contraire : tout le monde semble dehors ?

Non, tout le monde n’est pas dehors. Il y a beau­coup de gens qui sont allés au pôle France et qui ont eu des résul­tats. Il n’y a pas de meilleur système qu’un autre. Ca dépend juste de la personne, comment elle évolue, comment elle progresse. Il faut regarder le positif. Moi je me suis entraînée avec mon père, puis avec d’autres entraî­neurs et ça ne marchait pas. Donc je suis revenue à un système avec mon père qui est assez courant sur le circuit. Le point le plus impor­tant, c’est que tout le monde soit soudé derrière moi. Etre dans le cocon fédéral, c’est autre chose. Si on est plus fort que les autres, on y arrive, mais si on n’est pas fort menta­le­ment, c’est plus dur. 

Alors comment tu travailles avec ton père ?

D’abord je pense qu’il faut ce don qu’ont mes parents et qui est de faire progresser leurs enfants. 

Je t’ar­rête, tu veux dire que si ça n’avait pas été du tennis, ton père t’au­rait mise sur autre chose ?

Oui, oui. D’ailleurs il avait déjà essayé avec mon frère. 

A cause du lien père‐fils ?

Non, mais parce qu’il avait vu la victoire de Yannick Noah à Roland‐Garros et il avait flashé de voir Noah qui était content et qui embras­sait son papa. Il trou­vait ça très émotionnel donc il a voulu faire la même chose. A l’époque, comme il avait été gardien de but de l’équipe natio­nale de foot d’Iran, donc il s’y connais­sait en sport. Avec mon frère, il avait encore un petit manque d’ex­pé­rience qui explique que ça n’ait pas marché. Mais il a appris et il n’a pas fait la même chose avec moi. 

Je reviens encore là‐dessus. Ce n’est pas plus facile de faire père‐fille et mère‐fils que le contraire ?

Non, chaque famille a une éduca­tion diffé­rente. Martina Hingis était avec sa maman. Steffi Graf avec son papa. Les soeurs Williams avec leur père Richard qui est beau­coup plus auto­ri­taire que la mère. 

L’exemple de la famille Williams, il est impor­tant pour ton papa et pour toi ?

Oui c’est le meilleur entraî­neur du circuit féminin actuel. Faire rentrer ses deux filles à la place de numéro 1 et numéro 2 mondiales, c’est excep­tionnel. Chaque parent, chaque coach doit prendre les bons exemples là où ils sont. 

Dernièrement Richard Williams expli­quait qu’il avait souvent dû se battre dans sa vie pour s’en sortir, est‐ce qu’il faut avoir vécu de grandes épreuves dans sa vie pour être une grande tenniswoman ?

Oui, moi je le crois. Aujourd’hui je travaille avec Patrick Mouratoglou qui m’a ouvert son Académie, et je dis aux jeunes qui sont ici qu’ils ont vrai­ment beau­coup de chances d’avoir toutes ces infra­struc­tures, tous ces coaches à leur dispo­si­tion pour les faire progresser. Pour moi c’est extra­or­di­naire et ce sont des infra­struc­tures dont j’au­rais eu besoin à mon époque. Bon, je ne les ai pas eues. J’ai grandi dans des condi­tions très diffi­ciles à m’en­traîner sous la neige, sous la pluie, sur des terrains goudronnés, au froid l’hiver à ‑10°C, l’été à 40°C. Il faisait nuit à 5 heures du soir, on mettait les phares de voiture pour pouvoir conti­nuer à s’en­traîner. Moi je suis contente d’avoir vécu ces moments diffi­ciles. Ca me sert pour mon mental. J’ai un mental plus fort que les autres. Je sens que j’ai quelque chose de plus fort que les filles qui n’ont pas vécu ce que j’ai vécu. Alors je me dis « Pourquoi elles et pas moi ? ». 

Pourquoi travailler avec Patrick Mouratoglou ? C’est parce qu’il est lui aussi un outsider ? Qu’il a quelque chose à démontrer ?

C’est quel­qu’un que je respecte énor­mé­ment, qui a beau­coup de classe et de mérite et qui peut trans­former aujourd’hui le tennis français. 

Quand tu dis « trans­former le tennis fran­çais », qu’est‐ce qui ne va pas ?

Ce n’est pas à moi de le dire. Patrick est très intel­li­gent dans ce qu’il doit faire. Il l’a montré avec son Academie. Le problème c’est que la Fédération fran­çaise est une fédé­ra­tion qui ne veut pas que les parents soient entraî­neurs de leurs enfants. C’est ça qui les gêne en partie. Et Patrick, c’est quel­qu’un qui trouve au contraire très bien que les parents soient au bord du terrain à encou­rager leurs enfants. Elle est là la diffé­rence. C’est que Patrick ne te met pas des bâtons dans les roues. Il t’accueille,il respecte d’où tu viens, il respecte ce que tu as déjà fait pour en arriver là. La Fédé, elle va te dire « Pousse toi de là. Tu ne fais pas partie de notre clan ». 

Aujourd’hui on est à l’Academie, il fait beau, on est bien, il y a toutes les infra­struc­tures qu’il faut, alors comment faire pour avoir encore faim ?

C’est très diffi­cile, très diffi­cile. Moi j’ex­plique juste­ment ça aux jeunes qui s’en­traînent et qui sont habi­tués à ce confort, c’est qu’ils ne sont pas seuls sur cette planète. Il y a quel­qu’un quelque part qui s’en­traîne dans des condi­tions aussi diffi­ciles que les miennes et qui va être meilleure parce que cette personne se donne à 200%. 

Mais est‐ce que tu n’avais pas égale­ment besoin de ce confort ?

Oui j’avais aussi besoin de ce strict minimum que je n’avais pas eu. J’ai connu le circuit féminin très tard parce que je ne savais même pas comment ça fonc­tion­nait, je ne savais même ce que c’était le circuit WTA. J’ai appris ce que ça voulait dire l’année dernière. Je connais­sais les 4 Grands Chelems et puis c’est tout. Je ne savais pas qu’il fallait que je parti­cipe à Miami, aux autres grands tour­nois. On ne m’a pas aidée de ce côté‐là. On ne m’a pas dit « Il vaut mieux que tu fasses ce tournoi plutôt que celui‐là ». Cela ne parait rien mais on n’avait personne pour nous le dire. Désormais on est dans un envi­ron­ne­ment qui peut beau­coup nous aider de ce côté‐là.