Trois témoins face aux quatre questions qui tuent de l’interview de Patrick Mouratoglou, GrandChelem a tiré quatre problématiques concrètes. 1) Pourquoi le monde entier répète que la France a la meilleure formation du monde ? 2) En consèquence, où se situe notre problème : dans la tête ? 3) Quelle doit désormais être la place des parents dans la réussite de leurs enfants ? 4) Quels enseignements précis tirer de l’extraordinaire réussite de la famille Williams ? Pour répondre à ces questions, nous sommes allés voir trois témoins clef : Patrice Dominguez, responsable de la direction technique nationale, Alain Solvès, le responsable du programme Avenir National et Scott Silva, le papa de Jan Silva, ce petit prodige arrivé à 5 ans en France et que son père annonce comme étant le futur Tiger Woods du tennis.
LA MEILLEURE FORMATION DU MONDE ?
Patrice Dominguez
Le père Williams a fait pour ces deux cadettes ce qu’il n’avait pas fait pour les aînées. Elles ont formidablement réussi du point de vue du tennis. Maintenant est‐ce que ce sont des femmes heureuses et épanouies ? Je ne peux pas en juger, je ne les connais pas assez pour ça, on verra sur la durée. Mais ce qu’a fait le père Bartoli est du même tonneau. Moi j’ai un immense respect pour Walter Bartoli parce que ce qu’il a fait, amener Marion là où elle est, personne n’aurait pu le faire. Il lui a tout donné, et au passage énormément d’amour. On ne réussit pas sans amour. Alors certains me diront que c’est un amour intéressé, mais le père Graf a également amené Steffi là où elle est. Il n’y a pas que de la frustration et de la procuration entre un père et sa fille. Non, il considère qu’elle a des qualités, qu’il peut développer un projet avec elle et qu’ils vont partir dans ce projet. On parle moins des pianistes et des violonistes qui se tapent des heures sur l’archet avec des parents derrière, mais c’est la même chose que le père Williams. Et on entend : « On leur a volé leur enfance ». Mais non, on ne leur a rien volé du tout, c’est leur projet, c’est une construction. Dans certains cas, la collaboration s’arrête et le témoin se transmet. C’est le cas de Francis Gasquet qui passe le témoin à quelqu’un de son âge, Eric Deblicker, mais il reste cette filiation même si le discours change.
Alain Solvès
A la DTN, George Goven est rentré en contact avec Richard Williams, mais c’est toujours difficile de parler du cas des deux soeurs. Même si l’une est partie 6 mois faire de la mode, de la décoration, du cinéma, c’est sûr qu’elles tiennent encore le coup. Maintenant je ne crois pas que les Williams, on les retrouvera dans 20 ans à la tête de la Fed Cup américaine. Je ne suis pas certain qu’elles aient l’amour du jeu. Alors tant mieux, Richard Williams a réussi, et ce qu’il a fait c’est un truc de dingue. Il y a un vrai projet des parents parce que ce sont eux qui amènent les enfants au tennis mais je crois qu’à un moment le projet doit être approprié par l’enfant qui doit avoir un rêve, celui d’être numéro 1. Les pro disent « Avant 12 ans, c’est très compliqué de jouer pour soi ». Après, vers 14 ans, au moment de la puberté, il y a ce choix à faire. Or l’aspect compliqué, c’est que de façon de plus en plus précoce dans le tennis, il faut élaborer des stratégies alors que rien n’est prêt à l’intérieur du corps. C’est une course à l’armement qu’on veut la plus généraliste possible, avec le plus de confiance en soi mais on sait très bien qu’on n’a aucune garantie, que celui qui est timoré à dix ans avec une bonne victoire peut prendre une confiance décuplée, et qu’au contraire celui qui fait 10 centimètres de plus que tout le monde à 10 ans et qui fait le malin, à 15 ans peut faire 10 cm de moins que ses copains et ça va beaucoup changer pour lui. C’est sur cette fragilité qu’on travaille.
Scott Silva
Richard Williams a fait deux filles et il a fait deux championnes qui ont mis la main sur le circuit et empoché tous les gains pendant 3 ans. Ca c’est incroyable. Il avait surtout l’argent pour le faire, pour éduquer ses filles. Alors cet argent je ne sais pas où il l’a trouvé, mais il l’a fait, qui plus est à sa façon, avec ses idées sans se soucier de ce qu’on allait lui raconter et si ça collait avec ce qui se faisait ou non. Parce que ce n’est pas ça qui est important. Ce n’est pas ça. On n’a pas besoin de savoir jouer au tennis ! Bon mais il est certain que s’il avait su jouer, elles auraient peutêtre développé une autre technique, et qu’elles auraient remporté deux fois plus de Grands Chelems aujourd’hui. Quelque part c’est ma problématique personnelle sur cette question. Mais ce que Richard Williams a fait reste incroyable. Vraiment incroyable. Maintenant le grand test et la grande question que je pose, c’est qu’est‐ce que Richard Williams a rendu au tennis ? qu’est‐ce qu’il a fait pour le tennis afro‐américain chez les juniors ? Est‐ce qu’il aide sa communauté ? Avec ma femme, nous sommes très impliqués sur ce genre de question.
Publié le jeudi 15 mai 2008 à 06:08