Des quatre mousquetaires américains des années 1990, Sampras, Agassi, Courier et Chang, ce dernier était certainement le moins doué. Limité par sa taille, le gamin du New Jersey a pourtant renversé des montagnes avec un Roland‐Garros empoché à 17 ans et une place de numéro 2 mondial. C’est à travers cette carrière miraculeuse que Chang a initié l’ère du champion en mission pour le seigneur.
« J’aime être l’outsider. Mon succès, c’est une manière pour Dieu de dire : « Tout peut arriver » ». Un tennisman nommé Michael Chang aura donc joué la fameuse carte du destin qui s’arrache à coup de griffes : « Dieu a un plan pour tout. Grâce à lui, rien n’est impossible. ». Et il est vrai que la carrière du sino‐américain aura eu toutes les apparences du miracle permanent : petit de taille (1,75 m tout de même), issu d’une minorité asiatique peu représentée dans le monde sportif, Chang et sa raquette allongée de 2 centimètres se sont construits une carrière en fer forgé, avec 34 titres en simple, un Grand Chelem et 7 Masters Series. Tout démarre à l’automne 1987. La génération McEnroe‐Connors y vit alors son crépuscule enchanté ne percevant pas encore la menace réelle que représentent les jeunes Sampras et Agassi. Note‐t‐elle même qu’à 15 ans et demi et sur un petit court annexe, Michael Chang est devenu le plus jeune joueur de l’histoire à fouler un court à l’US Open. « Si vous vous raccrochez à ce gosse, c’est que vous êtes sacrément désespérés », lance un journaliste anglais à ses confrères américains. Au printemps 1988, McEnroe l’affronte à Roland‐Garros et lui administre une leçon de tennis sur terre (6−0, 6–3, 6–1). Comment imaginer alors que ce gamin puisse mettre toute la Porte d’Auteuil à ses pieds un an après ? Et pourtant…Plus fort que Borg en 1974 et Wilander en 1982, Chang va devenir en 1989 le vainqueur le plus précoce du French Open. D’abord en éliminant en huitièmes le triple tenant du titre, Ivan Lendl, dans un match d’abord lénifiant avant de devenir épique (voir ci‐dessous), puis en multipliant les tours de mistigri face à un Agenor et un Chesnokov décontenancés par l’audace du gamin. En titrant dans son programme officiel « Le Russe contre le Rusé », la gazette de Roland résume une demi‐finale où en plein échange, l’Américain culotté arrête une balle de Chesnokov, la jugeant faute, ce que l’arbitre est obligé de confirmer mais à la grande colère du public. Pourtant ce même Chang ne doit rien à personne quand il démonte le service‐volée de Stefan Edberg en finale, distillant ses passings mortels avec son revers de couvreur pour succéder après 5 sets accrochés à Tony Trabert, le dernier Américain à Paris, vainqueur en 1955 ! « Cela donne le plein de confiance de battre quelqu’un de plus fort et de plus grand. C’est l’histoire de David et Goliath, la volonté de ne pas avoir peur et de ne pas être intimidé. C’est de là que je tire ma force. » Monté jusqu’à la 2ème place mondiale et finaliste de trois autres Grands Chelems (Roland‐Garros 1995, Australie et US Open 1996), c’est paradoxalement par son entêtement à résister du fond du court aux gros frappeurs que Chang va payer le prix d’une carrière avortée par une longue litanie de blessures : « Je sais que c’est une période difficile mais Dieu veut que je persévère, déclare‐t‐il au début des années 2000, les gens doivent croire que je vais bientôt annoncer ma retraite ». La vérité c’est qu’après une grosse défaite en demi‐finale de l’US Open 1997 contre Pat Rafter, Michael court après une évolution du jeu vers l’avant qu’il n’a pas vu venir. Il se retire définitivement en 2003. L’Amérique salue sa retraite mais sans réelle effusion. Il lui aura manqué de faire secouer la fibre patriotique US, ce qu’un Agassi intraitable ne se privera pas de lui faire savoir : « Il n’a pas joué en Coupe Davis pendant cinq ans, il a dit non quand on avait besoin de lui pour jouer sur terre en Italie. Il avait peut‐être un ou deux millions de dollars à empocher en Asie à ce moment‐là. ». « C’était une regrettable incompréhension », expliquera en retour Chang, plus apprécié sur le continent asiatique que chez lui, mais qui ne tiendra pas rigueur des propos d’André. Se souvient‐il que dans un dessin humoristique où l’on voyait les deux joueurs assis à un changement de côté, Dieu venait se pencher vers Chang pour lui dire dans l’oreille : « Joue lui sur le revers ».
Sébastien Bordas
Le Grand Jour Lundi 5 juin 1989. Numéro un mondial et tenant du titre Porte d’Auteuil, Ivan Lendl mène facilement deux sets à zéro dans un 1/8ème de finale qui ressemble à un long calvaire pour le jeune Chang et pour le tennis tout court. Mais en tout début de 3ème set l’Américain sort une série de grandes cloches aériennes et la machine tchèque se dérègle. Lendl, paralysé, ne lâche plus un coup, s’énerve contre la foule qui a pris partie pour le gamin. Embarqué dans un faux rythme, il laisse son côté droit ouvert. Pas de chance, c’est sur ce front‐là que Chang place des attaques de revers long de ligne qui mettent Ivan cul par dessus tête. Le 5ème set rentre dans la légende. Perclus de crampes, Michael sort le cinéma de famille. Sa mère souffle depuis les tribunes pour lui apporter de l’air pendant qu’il mange des bananes et rentre en grâce avec le Divin : « J’ai prié, et mes crampes sont parties, expliquera‐t‐il plus tard. Puis j’ai essayé de casser sa concentration, j’étais prêt à faire n’importe quoi pour rester dans le match. » Le n’importe quoi, c’est un service à la cuillère où le Tchèque se rue au filet avant de se faire transpercer. Le public se marre. Balle de match à 5–3. 2ème service de Lendl. Chang s’avance en crabe sur la ligne de service. Hilarité générale sauf pour Ivan qui redemande deux balles dans le bordel ambiant. Requête refusée. Lancer de balle, let et double faute ! Chang peut s’écrouler par terre après 5 sets (4−6, 4–6, 6–3, 6–3, 6–3) et 4h38 d’un match homérique. Lendl ne gagnera plus jamais Roland.
Publié le jeudi 15 mai 2008 à 04:32