Episode 1
De Sartrouville à Odessa, du mini‐tennis à la numéro 1 européenne
Bastien est responsable du pôle féminin à l’ISP Academy, près d’Antibes. Jeune coach, il vous raconte son vécu, ses espoirs, son quotidien et son expérience dans le cadre de cette « semaine du joueur » sur Welovetennis. Une série en six épisodes !
Je m’appelle Bastien, j’ai bientôt 30 ans et ça fait maintenant cinq ans que je n’entraîne plus que des filles. Comment j’en suis arrivé là et pourquoi ? J’aime cette complexité émotionnelle qui détermine presque tout dans leur comportement. J’aime l’importance de la communication dans leurs relations. Choisir les bons mots, le bon ton. En général, avec les mecs sur un court, c’est beaucoup moins réfléchi, c’est plus simpliste. C’est mon sentiment.
J’ai eu mon diplôme d’enseignant fédéral à 20 ans, suite à quoi j’ai occupé un poste de directeur sportif dans un club de la région parisienne pendant quatre ans. J’ai tout fait, du mini‐tennis aux adultes, le loisir, la compétition, les animations… le club quoi ! J’en suis parti dans l’idée de me rapprocher de la compétition, voire du haut‐niveau pourquoi pas. J’ai passé une formation en Préparation Neuro‐Linguistique qui m’a ouvert l’esprit sur les bases de la préparation mentale. J’ai décidé de me diriger vers l’entraînement des filles, un peu par curiosité au début. Ensuite, au fil des rencontres, j’ai commencé à approcher le niveau international Junior en m’occupant de joueuses évoluant sur le circuit européen, puis ITF. J’ai commencé à étendre mon réseau de connaissances et mon carnet d’adresse. Des entraîneurs français ou étrangers, des directeurs de tournoi, des agents de joueurs…
« J’aime cette complexité émotionnelle qui détermine presque tout dans le comportement d’une joueuse. J’aime l’importance de la communication dans la relation avec elle. »
Pour m’amener, finalement, il y deux ans et demi à poser mes valises à l’ISP Academy où le directeur, Charles Auffray, m’a proposé de me laisser carte blanche pour monter « le » pôle féminin qui manquait à sa structure. Je ne suis pourtant pas le plus expérimenté des entraîneurs, mais il me fait confiance, alors je fonce. Déménagement, nouveau projet, nouvelle vie en fait ! Tout va très vite. L’anglais devient rapidement indispensable et les perspectives encore plus excitantes. Dès la première année à mon poste, les résultats sont au rendez‐vous. On commence à créer une véritable atmosphère propice à la performance tant scolaire que sportive, et dieu sait que c’est compliqué de former un groupe soudé avec des filles dans le sport individuel. Par ailleurs, on attire aussi des joueuses de plus en plus jeunes et de plus en plus fortes.
« Quand tu commences à coacher quelqu’un, tu dois savoir que ça prendra fin un jour où l’autre… plus ou moins tôt. Du moins, dans 95% des cas. »
Un jour, une Ukrainienne débarque : 17 ans et 150 à la WTA. Une autre, plus jeune, arrive peu de temps après. Elle a 12 ans et vient d’atteindre la finale à l’Orange Bowl, tous les sponsors se l’arrachent. Charles décide de me la confier. Expérience d’une richesse inouïe. Me voilà parti sur les plus gros tournois mondiaux ‑14 ans, avions, hôtels, tournois et encore tournois. Je passe trois mois en Europe de l’Est – et cela changera ma vie et ma façon de travailler à tout jamais. Après six mois de collaboration, elle passe du top 150 à la 1ère place au classement européen et est considérée comme l’une des meilleures mondiales de son âge. Peu de temps après, elle passe à trois petits points de sa première victoire sur une joueuse « pro », classée 900 à la WTA… tout ça à 13 ans ! La suite se complique un peu, problèmes de visas pour les parents, ils ne souhaitent pas se séparer d’elle pour nous la laisser en internat à l’académie, alors ils repartent. Même si c’est dommage pour tout le monde, je n’ai aucun regret. C’est la vie ! Quand tu commences à coacher quelqu’un, tu dois savoir que ça prendra fin un jour où l’autre… plus ou moins tôt. Du moins, dans 95% des cas.
Suite à tout ça, l’ISP continue de prendre de l’ampleur, avec une cellule « pro » qui est en train de voir le jour chez les filles. Aujourd’hui, nous avons une trentaine de pensionnaires à l’académie (pour 50 garçons), dont six qui commencent le circuit et gagnent leurs premiers points WTA. En chef de file, notre meilleure joueuse bien installée dans le top 30 mondial, Elina Svitolina. Bel exemple au quotidien pour nos plus jeunes joueuses !
Episode 2
Agnes, des rêves et des moyens !
Notre plus jeune pensionnaire, justement, elle a 12 ans. Elle veut devenir professionnelle, oui, et elle s’en donne les moyens. Il faut dire qu’elle part de loin en ayant débuté le tennis au Danemark, où rien n’existe pour former les jeunes talents. Elle venait régulièrement chez nous en stage ces deux dernières années pendant les vacances scolaires. Je me souviens d’elle, l’été dernier, qui s’entraînait dans un groupe de niveau à peine 30⁄1. Mais, par contre, quelle volonté dans chaque frappe ! Après quatre semaines intensives, où je la voyais progresser à vue d’œil, elle a dit à ses parents : « Est‐ce que vous connaissez une joueuse qui est devenue forte en étant restée au Danemark ? Il faut que je parte, j’aimerais venir ici, je veux travailler dur. » Outre le fait qu’elle ait raison (Wozniacki a quitté le Danemark pour les USA à l’âge de 12 ans), vous pouvez juger vous‐même de son caractère et de sa motivation !
« Est‐ce que vous connaissez une joueuse qui est devenue forte en étant restée au Danemark ? Il faut que je parte, j’aimerais venir ici, je veux travailler dur. »
Du coup, depuis septembre 2013 et son arrivée chez nous, on essaie de rattraper le temps perdu tennistiquement, tout en l’aidant à progresser mentalement. Aujourd’hui, elle gagne jusqu’à 5⁄6 en adulte. Comme quoi, au tennis, tout peut s’apprendre assez rapidement lorsqu’on est motivé et rigoureux ! Ce qui fait la différence, c’est bien souvent les qualités mentales. Celles nécessaires pour faire partie de l’élite sont longues et difficiles à acquérir, car elles touchent à l’inconscient, aux croyances et aux peurs de chacun. Et, selon les pays, on observe de vraies spécificités : les Danois, par exemple, sont des gens adorables, gentils, polis, calmes, respectueux de tout et tout le monde. Ils ne font pas de vague, pas de bruit. Et, dans ce monde de jeunes virtuoses gouverné à 80% par les pays de l’Est, il est préférable d’avoir une tendance à la confiance en soi sans limite et un certain culot pour réussir à se faire sa place, à s’imposer.
« Quand elle arrivera à répondre à la question : « Qu’est-ce que tu veux faire plus tard ? » sans rougir de honte, elle aura passé un cap dans sa tête »
Alors, chaque jour, j’apprends à Agnes à oser, à s’affirmer en tant que joueuse de tennis, à comprendre que se croire capable de tout ce n’est pas de la prétention, mais, au contraire, une qualité admirable indispensable à la sportive de haut‐niveau qu’elle rêve de devenir. Ce n’est pas tous les jours évident, car cela remet une partie de son éducation et de ses valeurs en question. Mais elle est encore jeune, elle va changer, elle saura faire la part des choses. Quand elle arrivera à répondre à la question : « Qu’est-ce que tu veux faire plus tard ? » sans rougir de honte, mais en regardant son interlocuteur droit dans les yeux pour lui dire avec autorité : « Je veux être professionnelle », là, elle aura passé un cap dans sa tête, qui lui fera passer un cap dans son jeu. C’est une certitude. Pour l’instant, elle continue de faire ses armes dans nos tournois régionaux, même si, cette année, elle a commencé à jouer quelques tournois européens. C’est un déplacement dans l’un de ceux‐là que je vais vous raconter…
A suivre…
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Publié le mardi 23 septembre 2014 à 20:00