Si un joueur incarne l’art français de faire l’élastique entre la 80ème et 150ème place, c’est bien Thierry Ascione. Rencontre passionnante lors de l’Open Hippopotamus de Maisons‐Laffite avec un témoin privilégié du ventre mou du classement ATP. Un monde étrange où ne subsiste qu’un mot d’ordre : sauver ses points.
Si je te dis outsider, tu me dis ?
C’est le vainqueur sans être le favori. Ca doit ressembler à ça, non ?
Est‐ce que tu te considères dans cette catégorie ?
Pas du tout. J’ai un chemin bien différent de l’outsider. Je suis encore moins connu et pas du tout connu pour être le favori.
Quelle est cette 3ème catégorie ?
Les gens en marge. C’est encore une catégorie derrière les favoris et les outsiders.
C’est une question de classement ?
Non, c’est une question de tempérament, de jeu, de plein de choses.
En quoi es‐tu si atypique ?
Parce que je joue la Coupe Davis à 22 ans, je ressors du top 100 la même année puis j’y retourne une 2ème fois, puis j’en ressors, et je fais le yoyo comme ça depuis le début. J’étais en haut assez jeune, donc j’ai eu du mal à assumer et je suis redescendu tout de suite. Et après il y a eu de l’orgueil, l’orgueil pour remonter.
Donc le tennis, c’est l’appréciation de sa performance et du passage des différents paliers ?
Exactement. Quand on est né pour être champion, ça se fait automatiquement. On est fait pour ça. Moi j’ai toujours su que je ne serai pas numéro 1 mondial mais j’aime le tennis, et comme j’avais la caisse physique et tennistique pour bien jouer, je suis allé assez haut mais sans me rendre compte de ce que je faisais. Et quand j’ai pris conscience de ça, j’ai commencé à paniquer, et ça s’est senti.
La panique, c’est quoi ?
La panique, c’est que tu n’es plus tranquille, t’as la pression sur chaque match, on t’appelle pour les conférences de presse. T’es mis en avant en permanence. Quand je vois Gasquet par exemple, quand je vois comment on lui pourrit la vie, je trouve ça dommage. Il a 21 ans, il est dans le top 10 et à chaque match, c’est la vie ou la mort pour lui. C’est dur. Je le connais bien, il vit ça assez mal.
Ca veut dire que les dix premiers sont les mecs capables d’accepter les attaques de la presse.
Non, ce n’est pas uniquement la presse, c’est tous les gens du milieu. Parce que maintenant c’est rarement le joueur qui est cité dans les articles, ce sont plutôt les coaches. Et ça me dérange. Par exemple de dire « C’est pas le match qu’il aurait dû faire et je vais lui mettre une sauce en sortant du terrain », je ne trouve pas ça normal. L’appréciation des joueurs reste la plus importante. Et il y a un moment tu ne peux plus faire un match sans que les mecs te demandent si t’es en danger après une défaite. Une fois j’avais perdu contre Safin et Moya et on me dit « Pourquoi tu perds deux fois de suite au premier tour ? ». Franchement c’est une caricature ! Gasquet, il le vit mal parce qu’il veut aller beaucoup plus haut. Moi 80ème mondial, ça me suffisait.
Ca te suffit encore aujourd’hui ?
Non parce que j’ai de l’expérience, je me connais plus, je sais ce dont j’ai envie. Mais à l’époque c’est allé trop vite, je suis passé de 500 à 80ème mondial et je jouais en Coupe Davis. C’était pas évident quand même. Moi je n’étais pas prêt.
Est‐ce que ce sont les points à perdre qui mettent le plus de pression ?
Oui, la vie du joueur de tennis, ce sont ses points. On se dit « Merde en juillet, j’ai 200 points à défendre ». C’est assez pitoyable mais c’est ça ta vie, et c’est la même pour tout le monde. Sauf les mecs du top 10, s’ils perdent 200 points, ils perdent une place. Toi tu perds 100 points, ça te fait mal à la tête.
C’est ça le plus dur ?
Non. Le plus dur, c’est quand tu es à Taschkent, que tu fais le Futur et non pas le Grand Prix, et que tu es tout seul. Tu vas jouer pour prendre 12 points au maximum et tu perds au 2ème tour. Là c’est dur, là tu te demandes si t’es encore en phase avec ce qui te faisait rêver quand, gamin, tu étais devant la télé.
Quel est le moment le plus déprimant que tu aies vécu ?
Un des plus déprimants, c’est cette année quand j’ai du refaire un Futur en France. J’étais à Feucherolles et là c’était vraiment déprimant. J’avais eu un accident de scooter, j’étais redescendu au classement et dans ma vie ça n’allait pas. Je me suis retrouvé au Futur de Feucherolles pour prendre un point ! C’était déprimant…
Publié le jeudi 15 mai 2008 à 06:22