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Toni Nadal : « Je ne trouve pas que Rafa a un super physique. Tout du moins le meilleur. Selon moi, il y a pas mal de joueurs dont les physiques sont bien au‐dessus »

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Notre numéro 38 et un long entre­tien face to face avec Toni Nadal venu à Lyon prêcher la bonne parole auprès des coachs de la marque Babolat. Un entre­tien plein de bon sens et de prag­ma­tisme, confir­mant que Toni Nadal est un entraî­neur de grande qualité qui ne déro­gera jamais à certaines valeurs. Certains y trouvent du sens, d’autres critiquent une forme d’ar­chaïsme, la réalité se trouve sûre­ment au milieu et il est sûr que la méthode Toni ne marche pas avec tous les joueurs du circuit.

Toni, cela fait plus d’une ving­taine d’années que tu entraînes Rafa. C’est un joueur facile à supporter et entraîner ?
Oui, c’est très proba­ble­ment le joueur du circuit le plus facile à entraîner. Il n’est pas compliqué, il a une bonne éduca­tion, il est poli, aimable. Il est facile à entraîner et je pense, d’ailleurs, que j’aurais du mal à en entraîner un autre. Je ne sais pas si j’en aurais le courage… Quand je vois les jeunes qui demandent à leur entraî­neur de leur apporter des bouteilles d’eau, de leur porter leur sac… Et l’entraîneur s’exécute ! Moi, je ne peux pas accepter ce genre de choses. J’observe vrai­ment un chan­ge­ment de menta­lité. Avec Rafa, c’est possible. Comme je le dis, c’est le joueur le mieux éduqué du circuit. Et je ne dis pas cela parce que nous sommes de la même famille, non. Bien d’autres pour­ront le confirmer. Il n’a jamais eu de problèmes avec les personnes qui l’entourent, que ce soit avec son kiné, avec le coach qui me supplée… Ce n’est pas pour rien qu’il a la même équipe depuis toujours !

Vous ne vous disputez jamais (rires) ?
Non, non, jamais, j’ai un très fort carac­tère, je dis ce que je pense, mais ça ne va pas jusqu’à la dispute !

Cette bonne entente qu’on sent entre vous deux, elle est aussi due à la rela­tion fusion­nelle que vous avez ? Beaucoup de nos inter­nautes, sur Welovetennis.fr, ont relevé le fait que tu employais le pronom « nous », plutôt que « il », pour parler de Rafa…
Je dis « nous » ? Je ne m’en rends pas vrai­ment compte (rires). Vous savez, je travaille avec Rafa depuis qu’il a trois ans… C’est aussi mon neveu. C’est pour ça que je dis « nous ». Et puis, c’est pour moi qu’il s’est mis au tennis. C’est moi qui l’ai un peu poussé, car il jouait au foot jusqu’à 13 ans, il était passionné. Si je ne lui avais pas mis une raquette entre les mains, aujourd’hui, il ferait du foot.

Comment se passent les prises de déci­sions ? Rafa a son mot à dire ou tout te revient ?
C’est tota­le­ment l’inverse, c’est Rafa qui prend toutes les déci­sions. Je les prenais, moi, à l’époque où j’estimais qu’il était trop jeune pour juger des choses. Il avait besoin d’un adulte pour le guider. Mais, au fur‐et‑à mesure, durant son adoles­cence, j’ai essayé de faire de son appren­tis­sage du sport un appren­tis­sage des respon­sa­bi­lités. Pour qu’il soit, ensuite, capable de faire ses choix et être seul maître de ses déci­sions. Évidemment, il me consulte quand même sur certains points, mais la déci­sion finale lui appar­tient toujours. C’est le même processus que l’on peut retrouver dans la rela­tion entre un père et son fils. Si le père choisit à la place du fils lorsqu’il est enfant, il doit ensuite, en le voyant grandir, le laisser prendre son envol.

Tu parles d’un problème de menta­lité chez les jeunes. Mais certains coachs estiment que porter le sac de leur joueur et réserver les courts d’entraînement sont des tâches qui font partie de leur job. Ils affirment être là pour opti­miser la perfor­mance et garantir un certain confort.
Les anciens coachs ne faisaient pas ça. Est‐ce à dire qu’ils ne voulaient pas le meilleur pour leur joueur ? Je ne crois pas. Si je ne porte pas le cartable de mon fils en l’accompagnant à l’école, cela veut dire que je ne l’aime pas ? Est‐ce que porter son cartable l’aidera vrai­ment à être plus perfor­mant ? Selon moi, c’est avant tout une ques­tion de respect. Je suis chef d’entreprise et j’ai des employés. Mes employés ont chacun une tâche qu’ils accom­plissent et qu’ils respectent. Je ne vais pas leur demander de cirer mes chaus­sures ou de m’apporter à boire. Le gars qui est avocat, il est avocat, ce n’est pas un servi­teur. Et je ne lui deman­derai jamais de faire plus que son métier d’avocat. Si Rafa reste assis et que je lui apporte à boire et à manger, il sera content, c’est sûr. Mais ce n’est pas mon travail (rires). Le coach se charge du tennis. Alors, voir un jeune joueur marcher devant et son coach, derrière, porter son sac, cela donne une très mauvaise image.

Est‐ce que Rafa aime vrai­ment le tennis ? Ou préfère‐t‐il fonda­men­ta­le­ment la compé­ti­tion, le dépas­se­ment de soi, la lutte physique et mentale ?
Rafael adore jouer au tennis, bien sûr. Mais ce qu’il aime par dessus tout, c’est la compé­ti­tion, c’est vrai. Il envi­sage toujours le sport comme une lutte acharnée. Et c’est exac­te­ment la même chose lorsqu’il joue au golf ou au foot­ball. Alors, bien entendu, il aime quand même le tennis en tant que tel. Il n’aurait pas connu autant de succès s’il n’aimait pas vrai­ment ce jeu. Je ne connais personne qui réus­sisse de grandes perfor­mances sans aimer au moins un peu ce qu’il fait. Mais, la compé­ti­tion, ce sont des sensa­tions encore différentes.

On parlait de lutte physique, car on voit que Rafa a souvent fait la diffé­rence dans ce domaine… Cela a toujours été un axe de travail impor­tant pour toi  ?
Non, pour être honnête, je n’ai jamais vrai­ment aimé travailler le physique. Quand Rafa était plus jeune, je préfé­rais me concen­trer sur la tech­nique. D’ailleurs, je ne trouve pas qu’il ait un super physique. Tout du moins le meilleur. Selon moi, il y a pas mal de joueurs dont les physiques sont bien au‐dessus : Monfils, qui est mons­trueux sur ce plan‐là, Tsonga, Djokovic, terrible égale­ment… Et puis Ferrer ! Oui, Ferrer, Monfils et Djokovic sont les tout meilleurs. Alors Rafa ne fait pas vrai­ment la diffé­rence là‐dessus, non. Lui, c’est dans la tête qu’il la fait, c’est dans la tête qu’il est très fort.

On sent que Rafa a mis long­temps à digérer l’attitude du public pari­sien lors de sa défaite face à Söderling…
Rafa est un homme bien. Ce qui lui est arrivé contre Söderling, c’était juste impen­sable. Un quadruple vain­queur de Roland Garros ne peut pas se faire siffler contre un joueur qui n’était pas vrai­ment le plus sympa­thique du monde (rires) ! Aujourd’hui, on vit dans un monde de l’image. Pour cari­ca­turer, on voit un joueur faire un joli coup et on pense que c’est quelqu’un de bien dans la vie. Au contraire, on voit quelqu’un être plus brutal ou saccadé, moins fluide, et l’on se dit qu’il est le même en‐dehors des courts. Alors qu’il y a proba­ble­ment une immense diffé­rence entre les deux. L’esthétique et la super­fi­cia­lité prennent le pas sur le fond des choses.