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Courier, un capi­taine au naturel

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Suite et fin de notre série de portraits et d’in­ter­views sur les capi­taines. L’équipe améri­caine de Coupe Davis a surpris son monde, en 2012, avec ses victoires sur la France et la Suisse. L’homme qui relève avec volonté la période de tran­si­tion connue par le tennis US, c’est lui : Jim Courier. Un homme tant atta­chant qu’hors du commun. Un vrai Capitaine. Portrait.

« Le destin de chaque homme est façonné par les choix qu’il fait. » Contraint de tran­cher entre le base­ball et le tennis à l’adolescence, Jim Courier opta pour la petite balle jaune, car, dit‐il, « il n’y avait pas de clas­se­ment indi­vi­duel pour les joueurs de base­ball ». Cela vous place l’ambition du garçon qui, très vite, rejoint l’usine à cham­pions Bollettieri où il côtoie ses rivaux de demain. S’il n’est pas aussi talen­tueux qu’Agassi ou Sampras, ce jeune rouquin aux yeux clairs déve­loppe rapi­de­ment un jeu basé sur l’effort physique, la soli­dité mentale et la puis­sance de frappe. Son revers à deux mains, dont le geste lui vient du base­ball, son coup droit, « l’un des meilleurs du jeu » selon Sampras, comme son service deviennent des coups d’une régu­la­rité étourdissante. 

Puissant, agressif, le jeune rookie réalise son premier coup d’éclat à Roland Garros, en 1989, en sortant Agassi au troi­sième tour. C’est au cours de l’année suivante qu’il opère sa véri­table méta­mor­phose : dur au mal, Courier fait le choix d’axer l’essentiel de son travail sur une prépa­ra­tion physique d’une inten­sité excep­tion­nelle. Bosseur, rigou­reux, le jeune joueur de 20 ans devient un véri­table athlète capable d’imposer sa puis­sance et son endu­rance des heures durant. Les résul­tats tombent très rapi­de­ment. En 1991, il s’offre, à 21 ans, son premier titre du Grand Chelem à Roland Garros en domi­nant Agassi, en finale. L’année suivante, il réci­dive face à son compa­triote en quarts de l’US Open et, ce, juste après avoir doublé la mise Porte d’Auteuil. Ecœuré, Dédé avoue à demi‐mots qu’il a trouvé plus fort que lui. « Physiquement, Jim est meilleur que moi. Il est plus costaud, travaille plus dur et a plus de force. Mentalement, c’est égale­ment très solide. Maintenant, est‐ce qu’il est le meilleur joueur du monde ? Je ne sais pas. »

Courier, c’est d’abord un véri­table athlète capable d’imposer sa puis­sance et son endu­rance des heures durant

Courier s’est en effet emparé de la première place mondiale depuis quelques mois, coif­fant les anciens Becker et Edberg, comme les promet­teurs Agassi et Sampras. Un statut plus ou moins contesté dans le milieu. Au premier rang de ses détrac­teurs, le kid de Las Vegas, qui ne supporte pas d’être battu à son propre jeu : le combat de fond de court. « Jim joue l’un des meilleurs tennis du circuit, mais je me demande si c’est le plus fort. Lorsqu’il affronte Sampras, par exemple, je mets plutôt une pièce sur Pete. Après, sur la durée, il mérite certai­ne­ment sa place. Il est numéro un et on lui doit cette recon­nais­sance. » Une recon­nais­sance que Courier a juste­ment du mal à acquérir en cet été 1992. Son statut de leader du clas­se­ment est peu connu et, ce, malgré cette excep­tion­nelle année qui l’a vu remporter deux Grands Chelems, à Melbourne et Roland Garros. Mais qu’importe, Courier s’en contre­fout et le clame haut et fort. « Le public new‐yorkais ne sait pas que je suis numéro un ? Et bien, qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ? Moi, je fais mon boulot et je le fais bien. Si les gens ne s’en rendent pas compte, je m’en fous. Je vais sur le terrain, je donne tout et j’espère que le public apprécie. Si ce n’est pas le cas, je ne peux rien y faire. Je suis moi‐même. Si vous m’aimez, tant mieux. Si non, tant pis. Je ne vais pas changer juste pour plaire aux gens. »

Vous l’avez compris, Jim Courier ne se laisse pas faire, que ce soit face à la presse ou contre ses rivaux. Mais l’Américain n’est pas seule­ment ce garçon au carac­tère bien trempé, capable de remettre à sa place n’importe quel inter­lo­cu­teur en moins de temps qu’il ne faut pour claquer une volée. Jim est aussi ce jeune homme plein d’humour, d’esprit et de culture, toujours prompt à amuser la galerie, en témoigne cet épisode, entré dans l’histoire de Roland Garros. En 1992, vain­queur de Sergi Bruguera en finale, Jim, s’exprimant dans la langue de Molière, déclenche l’hilarité géné­rale en commen­çant son discours par le désor­mais culte : « Je suis désolé, je parle toujours le fran­çais comme une vache espa­gnole ». Il réci­dive même, l’année suivante, battu par le même Bruguera : « L’an dernier j’avais parlé comme une vache espa­gnole. Cette année, j’ai perdu contre une vache espa­gnole. Non, ce n’est pas drôle, pardon ! (Rires) » 1993 fut juste­ment la dernière grande année du guer­rier améri­cain. Arrivés à matu­rité, Agassi et Sampras prennent petit à petit le dessus sur Courier, qui ne dépas­sera plus jamais le stade des demi‐finales en Grand Chelem. En 2000, fatigué, démo­tivé et usé par la vie sur le circuit, Courier met un terme à sa carrière. 

Mais Courier n’est pas seule­ment cet artiste farceur, acro­bate de l’interview décalée, qu’il pratique depuis long­temps sur les courts de l’Open d’Australie – il en est l’interviewer offi­ciel. Il reste avant tout un expert du jeu, excellent analyste, maître tacti­cien et fin connais­seur de son sport. C’est logi­que­ment que l’USTA, la fédé­ra­tion améri­caine, fait appel à lui, en 2011, pour prendre la succes­sion de Patrick McEnroe à la tête de l’équipe des Etats‐Unis de Coupe Davis. Un défi de taille, puisque les USA vivent une période de tran­si­tion, entre les anciennes gloires sur le départ que sont Roddick, Fish ou Blake, les suivants, comme Isner ou Querrey, et la relève incarnée par Ryan Harrison. « C’est juste­ment parce qu’on est dans une telle période que c’est inté­res­sant », explique Courier. « J’ai toujours eu envie d’être Capitaine. J’ai immé­dia­te­ment accepté ce poste lorsqu’on me l’a proposé. »

« Je parle toujours le fran­çais comme une vache espagnole » 

Rapidement, Jim impose son propre style. Le look, d’abord. Abandonnant le tradi­tionnel survê­te­ment, l’Américain adopte la costard atti­tude, à la manière des entraî­neurs de NBA. « Le costume cravate est le vête­ment dans lequel je me sens le plus à l’aise. Je ne vais pas taper la moindre balle pendant les rencontres, alors pour­quoi pas ? J’aime le look des coaches de basket. Et j’ai pensé que c’était une bonne idée de les imiter. C’est comme cela que j’ai voulu m’habiller. Ce n’est ni bien, ni mal. C’est simple­ment moi. »

« Simplement moi. » Ou comment définir le style Courier en deux mots. Excellent menta­le­ment tout au long de sa carrière, le « Captain » inculque à ses troupes cette menta­lité de winner. C’est en vain­queurs que les Américains vont défier la Suisse, puis la France, sur leurs terres. Et c’est en vain­queurs qu’ils repartent, réali­sant deux exploits consé­cu­tifs, sans donner l’impression de surjouer. Mais quelle est la recette de ce coach pour­tant inex­pé­ri­menté ? « Il n’y a rien de magique là‐dedans », explique‐t‐il au soir de son succès face aux hommes de Guy Forget. « J’essaie simple­ment d’apporter à chaque joueur ce dont il a besoin. Mon rôle est de maxi­miser leur poten­tiel, de les préparer au mieux à chaque rencontre. On parle égale­ment avec leurs entraî­neurs person­nels très régu­liè­re­ment. Ce sont eux qui dirigent le bateau toute l’année et, moi, je viens seule­ment en rempla­ce­ment quelques jours par an. »

Simplement lui. Jim Courier crée une parfaite alchimie avec son joueur numéro un, John Isner. Et lui permet de jouer son meilleur tennis face à Roger Federer et Jo‐Wilfried Tsonga. Jusqu’à les battre. Une aide que le géant US recon­naît volon­tiers. « Avant, je ne jouais pas bien en Coupe Davis, mais depuis qu’il est là, c’est diffé­rent. Désormais, je me sens bien, je n’ai plus le trac. Jim m’aide vrai­ment à jouer les rencontres comme il faut. Il est très calme, très relaxe sur la chaise. Il ne s’excite jamais, ne se fâche pas non plus. Parfois, il peut être très sérieux et me dire : « Maintenant, tu fais ça, ça et ça. » Et, parfois, il peut être plus cool. Il est sur la chaise exac­te­ment comme il est dans la vie. »

Tout aussi posé avec les jour­na­listes qu’avec ses joueurs, Courier essaie d’expliquer au mieux son nouveau style. Il ne cherche pas à plaire à tout le monde. Il fait les choses comme il les sent, avec naturel, classe et élégance. « Mon compor­te­ment est adapté à mon objectif : être le meilleur Capitaine possible. Pour mes joueurs, je me dois d’être calme pour leur donner de bons conseils. Il ne s’agit pas forcé­ment d’une atti­tude stéréo­typée que chaque Capitaine doit adopter. C’est juste le style qui me va le mieux et qui convient à mes joueurs. »

Le naturel, toujours le naturel. Cette authen­ti­cité, qui revient comme une rengaine a rythmé, rythme et ryth­mera l’essentiel de la carrière de l’Américain. Si « le destin d’un homme est façonné par les choix qu’il fait », « on ne chemine jamais qu’entraîné par la force de son naturel ». Le choix du jeune Jim paraît cohé­rent. Couronné de succès. Et surtout naturel. Tout simplement.