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Federer‐Djokovic : Résurrection

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Voici le texte de Mademoiselle, légè­re­ment retra­vaillé, primé comme « Dauphin » du texte de Roro à notre concours autour de « « Grand Chelem, mon amour » ». Un texte de belle facture, à l’in­ten­sité inté­res­sante et agréable. Bravo ! 

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Federer, Nadal, Djokovic, Safin, Sampras, Agassi… A vous la plume !

Le livre « Grand Chelem, mon amour » est dispo­nible. Retrouvez les 40 matches de légendes de la décennie 2001–2011. Un livre de la rédac­tion de GrandChelem/Welovetennis.

Roger Federer bat Novak Djokovic, 7–6(5) 6–3 3–6 7–6(5) – demi‐finale de Roland Garros 2011

De Melbourne à Paris, il y a 16 789km. Ou cinq mois. Cinq mois. Le temps qu’il a fallu à Novak Djokovic pour devenir indes­truc­tible. Cinq mois. Le temps qui a vu la clique des jour­na­listes toujours « bien informés » évoquer, déjà, un passage de témoins. Cinq mois. Le temps qu’il a fallu pour voir Federer peu à peu relégué au troi­sième plan, désor­mais ense­veli sous les terres des princes d’autrefois. Mais n’est pas RF qui veut. A Melbourne, dans les terres australes bien loin­taines de Paris, Federer nous donnait, en fait, rendez‐vous dans… cinq mois. 

Le voici, ce rendez‐vous, à Paris, Porte d’Auteuil et en demi‐finale. Un Novak Djokovic, frais, explosif, dyna­mique, affronte un Roger Federer que l’on dit suranné. On aime rappeler qui il fut et qui il est main­te­nant, celui qui vain­quit, mais ne peut plus combattre, la person­ni­fi­ca­tion du déclin et de la pente descen­dante. Ah, les commen­taires vont bon train ! ah, pauvre Federer ! on le plaint, comme c’est triste – et presque éton­nant de le retrouver là… Que fera‐t‐il contre ce Djoko en passe de pulvé­riser le record d’invincibilité de John McEnroe ? Le Serbe a tout à gagner. Il lui suffit d’une victoire pour mettre défi­ni­ti­ve­ment le monde à ses pieds. Une seule. 

Le match débute. Les deux joueurs commencent fort. Surprenant ? A peine. Dès les premiers points, le ton est donné : ici, personne n’est prêt à céder et il va falloir côtoyer les étoiles pour espérer gagner ; démon­trer tout son talent et toute sa hargne, jusqu’où on peut aller et jusqu’où on ira. Là haut, loin, loin. Alors, très vite, le niveau ne touche plus terre, décolle, les joueurs s’envolent. Les échanges vont à une vitesse folle, les balles filent, fusent, les points impres­sionnent et l’on entend cris de stupeur et d’admiration dans la bouche des spec­ta­teurs. L’intensité va cres­cendo. Breaks et débreaks se succèdent, encou­ra­ge­ments commencent à résonner. Ceux du public. Mais des joueurs aussi… Ces derniers comprennent exac­te­ment ce qui est en train de se jouer, là. La renais­sance d’un Maître. Ils sont encore les seuls à en saisir le sens, au milieu de ces 15 000 personnes, admi­ra­tives et ébahies. Djokovic rit jaune aux occa­sions ratées, bien loin de ses compagnes passées, Placidité, Sérénité. Il sent qu’il a en face de lui le joueur qui va le battre. Federer remporte cette fabu­leuse manche au tie‐break, après avoir sauvé deux balles de set à 5–4. Il nous paraît jeune notre bon vieux Roger, qui semble s’arracher du tombeau qu’on lui avait promis. 

Mais ce n’est pas fini. La suite, bien que moins belle, laisse toujours sans voix. Novak Djokovic et Roger Federer redoublent d’efforts. Frémissant à l’idée de perdre le moindre point, ils s’arrachent et se déchirent sur chaque balle qu’ils reçoivent. Refusent d’abdiquer. Acceptent le combat, acceptent le défi. Le public s’embrase, brûle, mais ne se consume pas. Et comme je les comprends, toutes ces personnes qui semblent devenir folles ! Moi, je vis le match comme si j’étais sur le terrain ; mon cœur se tord, frappe, je tremble et c’est tout mon corps qui vibre au son des balles. Comme dans toute grande bataille, on décèle une pointe de drama­turgie : les joueurs ne jouent pas seule­ment au tennis, ils nous racontent aussi une histoire. Et, aujourd’hui, c’est l’histoire d’un mec qui est encore vivant et qui va le prouver au monde entier… 

Pourtant, quatrième set. Djokovic breake et s’apprête à servir pour jouer un ultime exer­cice, une manche au danger avéré. Mais Federer ne lâche pas. Federer ne veut pas donner raison à ceux qui l’ont déjà enterré. Federer ne veut pas mourir ici, à Roland‐Garros, où il avait vécu une résur­rec­tion deux ans aupa­ra­vant. Alors, il revient de nulle part, sort un magni­fique coup droit et reste en vie dans cette partie. Tout se jouera au jeu décisif. Il fallait que ça se joue au jeu décisif. Sur la corde raide. Une élec­tri­cité téta­ni­sante est palpable dans l’air. Le stade est prêt à imploser. Il va falloir cher­cher un surplus d’énergie au fond de ses entrailles pour atteindre la consécration… 

Un surplus d’énergie, un surplus de tripes ; c’est un ace de Roger Federer. Djokovic, coura­geux et fair‐play jusqu’au bout, salue chaleu­reu­se­ment son Suisse d’adversaire, échan­geant quelques mots avec lui au filet, ne cher­chant pas à écourter l’échange. Le public, enivré, en commu­nion avec son cham­pion, se lève et scande l’unisson le prénom du vain­queur… 7–6(5) 6–3 3–6 7–6(5). La boucle est bouclée. Quatre sets pour éliminer celui qui deviendra le numéro un mondial quelques semaines plus tard. Celui qu’il était le dernier à avoir dominé. Quatre sets pour faire dispa­raitre une tonne de bali­vernes. Quatre sets de ce qu’il sait faire le mieux : briller sur un court de tennis. 

Ce soir‐là, Federer est de nouveau en finale de Grand Chelem.