Particulièrement ému hier soir, Guy Forget a donné une interview fleuve en conférence de presse. Avec justesse et habileté, le capitaine est revenu sur 14 années de capitanat. Il concède avoir des regrets, avoue que certaines défaites lui font encore aujourd’hui « mal au ventre » mais veut retenir les expériences formidables que lui ont fait vivre la Coupe Davis tout au long de ces années. Interview.
Guy, qu’est‐ce que tu ressens là, maintenant, tout de suite ?
C’est un mélange de tout. Il y a beaucoup d’émotions. Je me rappelle de ma première sélection contre les Russes en 1983. Je me rappelle de toutes ces choses que j’ai vécues, de tous ces moments magiques. Comme toutes les séparations, c’est un moment difficile. D’autant plus que cette séparation intervient alors que les choses se passaient bien. Je suis très ému de quitter tout cela. J’ai même failli ne pas prendre le micro tout à l’heure sur le court parce que je pensais ne pas pouvoir aller au bout de mon discours. Je voyais tous ces gars au bord du court qui me regardaient, je leur disais : « Arrêtez, vous allez me faire chialer ! »… D’un côté, je préfère m’arrêter sur une défaite comme celle‐là. On a perdu contre une belle équipe avec un capitaine exemplaire. Jim Courier est un homme droit qui défend les mêmes valeurs que moi. Je veux dire, ses joueurs ont eu un attitude irréprochable tout au long du week‐end. Tout ce que je défends chez moi je le retrouve chez lui. Et puis John Isner aujourd’hui a été vraiment exceptionnel. Il a fait le match que je craignais qu’il fasse. Lorsqu’il était dos au mur, il a sorti des coups parfaits. Même si Jo a été hyper vaillant, même si à aucun moment il n’a baissé la garde, John était un peu au‐dessus de lui. On savait tous que la rencontre allait se jouer sur ce match. Parce que très honnêtement, je pense que Gilles aurait battu Harrison en 5e match.
Est‐ce que tu peux revenir sur l’incident du premier set sur la balle de break de Jo ?
Jim se lève au milieu du point. C’est une balle de break et on sait ce qu’un break représente face à un serveur comme lui. Je veux dire, un break, c’est presque un set. Et si Jo gagne ce premier set, on ne sait pas comment le match peut tourner. Mais l’arbitre m’a dit : « Je suis désolé, cette situation ne s’est jamais produite, j’aurais pu arrêter le point sur l’instant mais là, je ne peux pas revenir en arrière ». Il regrettait. Mais bon, j’ai quand même beaucoup aimé l’attitude de Jo. Je l’avais prévenu qu’il allait être challengé par Isner comme j’avais on ne l’avait challengé en Coupe Davis. Il s’est battu avec une belle dignité.
« Gaël Monfils nous a peut‐être manqué sur cette rencontre, peut‐être qu’avec lui, on aurait gagné. Comme Jo nous a manqué face à la Serbie. On ne le saura jamais. »
Est‐ce que finalement, le forfait de Gaël Monfils n’a pas fait plus mal que prévu à l’équipe de France ?
Ce forfait était triste pour nous, triste pour l’équipe. Quand Gaël joue bien sur terre battue, il peut battre Isner. Il a le jeu pour l’emmerder et le battre. Mais je suis aussi triste pour lui qu’il n’ait pas pu vivre ça. Je suis triste pour lui qu’il ait raté son Open d’Australie à cause d’une blessure, triste pour lui qu’il ait manqué Indian Wells sur blessure, triste pour lui qu’il ait raté la demi‐finale à Cordoue sur blessure, triste pour lui qu’il ait manqué le premier tour face au Canada sur blessure… J’espère qu’il trouvera bientôt la sérénité qui lui permettra de montrer et d’exploiter son potentiel de manière continue. Vous savez, quand on manque un rencontre sur blessure une fois, c’est la fatalité. Deux fois, c’est la fatalité. Mais quand ça arrive si souvent, on peut sérieusement s’interroger : « Comment est‐ce qu’il faut que je fasse pour être moins souvent confronté à ce genre d’aléas ? Qu’est‐ce que je peux faire dans ma vie de joueur, au quotidien, pour être présent plus souvent, en pleine forme, sur les grandes échéances ? » J’ai donné des pistes à Gaël là‐dessus. Je lui ai donné des clés sur ce qu’était la vie de joueur de tennis professionnel au quotidien. Gaël est un trop bon joueur pour ne pas gagner plus que ce qu’il a déjà fait. Il nous a peut‐être manqué sur cette rencontre, peut‐être qu’avec lui, on aurait gagné. Comme Jo nous a manqué face à la Serbie. On ne le saura jamais. J’aurais aimé avoir ces joueurs là sur certaines rencontres. Ca n’enlève rien aux autres mais c’est vrai que si on imagine les USA sans Isner, ce n’est pas la même équipe. De manière générale, l’un de mes regrets avec cette génération c’est de ne pas avoir eu tous mes meilleurs joueurs présents ensemble sur les plus grosses rencontres.
Est‐ce qu’après coup, tu as des regrets d’avoir choisi la terre battue ?
Non. On a vu aujourd’hui que ce n’était pas un match de terriens. C’était un beau match de tennis. Et notre défaite s’explique par l’énorme match qu’a réalisé Isner. Honnêtement, lorsqu’on s’est réunis pour choisir la surface, tous les joueurs, à l’unanimité, ont tout de suite choisi la terre. Si moi j’avais été contre leur volonté à leur imposer un dur assez lent extérieur, par exemple, et qu’on avait perdu comme ça, vous imaginez ? Ils aurait dit « Merci Cap’tain, vivement qu’il s’en aille celui‐là ! » (Rires).
« Aujourd’hui encore, la défaite contre les Russes en 2002 et le souvenir du match de Paulo me font mal au ventre. Quand j’y repense, j’ai l’impression d’avoir perdu un être cher. »
Si tu avais une autocritique à faire de ton capitanat, quelle serait‐elle ?
J’ai fait des erreurs mais j’ai toujours été convaincu que les choix que je prenais étaient les bons. Ils étaient toujours assumés. J’ai toujours essayé de trouver des terrains d’entente en dialoguant. Mon rôle était d’être diplomate, j’ai essayé de l’être un maximum, d’être conciliant, d’expliquer au mieux mes choix aux joueurs. Il m’est arrivé d’aller au clash, parfois. Je peux vous dire que j’ai souvent passé des nuits blanches. Parfois j’étais hyper remonté contre mes joueurs, parfois hyper déçu. Mais c’est aussi ces moments‐là qui font qu’on apprécie encore plus les victoires, les instants de joie. J’ai parfois lu des trucs dans la presse que je trouvais injustes mais c’était aussi la conséquence du fait que je ne vous donnais pas tous les éléments parce que je me devais de protéger mes joueurs, de protéger l’intimité de l’équipe. Vous savez, encore aujourd’hui, la défaite contre les Russes en 2002 et le souvenir du match de Paulo me font mal au ventre. Quand j’y repense, j’ai l’impression d’avoir perdu un être cher. La défaite en Serbie me fait encore mal au ventre aujourd’hui aussi.
« Pour moi, un joueur de tennis professionnel est quelqu’un qui est omnubilé par ses défaillances et qui fait absolument tout, chaque jour de son année, pour les corriger. Et tout ce qui ne va pas dans ce sens est, selon moi, une aberration. »
On te sait vraiment passionné par ce sport. Est‐ce que tu ne vas pas ressentir un manque en t’arrêtant comme cela ? Est‐ce que tu n’envisages pas de partir sur le circuit coacher un joueur ?
Je le fais un peu avec mon fils bien qu’il ne m’écoute pas beaucoup (Rires). C’est vrai que mon plus gros regret est de ne jamais avoir pu influencer de manière profonde un des joueurs de l’équipe de France sur son jeu. Quand tu es capitaine, tu ne peux pas t’immiscer dans ce que font les joueurs au quotidien. Il y a une limite que tu dois respecter. Parfois, tu ne peux pas t’empêcher de penser à propos d’un joueur « Si je l’avais entraîné de manière durable, en lui faisant bosser telle ou telle séquence, qu’est‐ce que ça aurait donné… » Malgré tout, je pense que je n’aurais pas été très bon en entraineur car je ne suis pas très tolérant. Je serais certainement très vite allé au clash parce qu’il y a des choses que je ne peux pas supporter. Pour moi, un joueur de tennis professionnel est quelqu’un qui est omnubilé par ses défaillances et qui fait absolument tout, chaque jour de son année, pour les corriger. Et tout ce qui ne va pas dans ce sens est, pour moi, une aberration. Certains joueurs sont comme ça, d’autres non. C’est Yannick (Noah) qui m’avait inculqué cela, ce dynamisme et je ne l’ai jamais perdu. On a essayé de le transmettre, avec tout le staff, aux joueurs. A l’avenir, je ne sais pas si j’aurai le temps d’entraîner un joueur mais c’est vrai que cela m’intéresserait. Si je ne le fais pas un jour, j’aurai peut‐être des regrets.
« C’est une page qui se tourne. Celui ou celle qui me succèdera va récupérer des supers gars avec une équipe de France qui est forte, qui est belle, même si certains ne la trouvent pas assez performante. Une équipe de France qui a de la gueule, tout simplement »
Finalement, malgré toute cette passion que tu montres pour la Coupe Davis, pourquoi tu arrêtes ?
Quand j’ai récupéré la Coupe Davis il y a près de 15 ans, elle faisait rêver les gens. Aujourd’hui, je la laisse dans le même état. J’ai fait des erreurs, mais j’ai aussi fait quelques bons choix. Quand je vois les larmes des joueurs sur le court tout à l’heure, je me dis que l’esprit de cette compétition est resté intact. Ce que je leur ai répété au fil des années les a marqués. Aujourd’hui, sur cette défaite, c’est une page qui se tourne. J’espère que celui ou celle qui me succèdera continuera comme cela. Il ou elle va récupérer des supers gars avec une équipe de France qui est forte, qui est belle, même si certains ne la trouvent pas assez performante. Je crois avoir été un bel ambassadeur de cette équipe. Quand je vois évoluer ces joueurs, quand je les vois parler, ça me touche, ça m’émeut. Cette équipe, elle est tout simplement belle, elle a de la gueule.
Pourquoi je m’arrête ? Tous les 2 ans je rempilais sans me poser de questions. Et puis récemment, on m’a proposé de voyager pour aller promouvoir Roland Garros à l’étranger et de prendre en même temps la direction du tournoi de Bercy. Tous ces nouveaux challenges me tentaient. Et on m’a dit que je ne pourrais pas concilier la Coupe Davis avec tout cela. Donc voilà. Mais je ne suis pas inquiet pour l’avenir de cette équipe. Par contre, c’est certain, elle va me manquer.
Est‐ce que vous envisagez de redevenir un jour capitaine ?
Aujourd’hui, la question ne se pose pas. Mais ne me titillez pas trop parce que ça me démangerait de revenir, j’aime trop ça. Je suis malgré tout certain que d’autres personnes feront un super job à cette place. Je suis un peu comme un héroïnomane pas sevré avec la Coupe Davis (Sourire). Alors ne me mettez pas ça sous le nez !
Comment vous voyez votre successeur ?
Il ou elle sera différent, par la force des choses. Avec Yannick, mon prédécesseur, on avait les mêmes valeurs. Ce mec était un monstre et moi derrière, il avait fallu que j’assure. Le ou la nouvelle ne fonctionnera pas pareil. Et dès le premier speech, les joueurs la compareront à moi. Mais je suis convaincu que si il ou elle parle avec son cœur, avec ses tripes, le discours passera. En tout cas, ceux ou celles auxquels je pense ont cette sensibilité‐là.
Mais quand on voit le caractère des joueurs de cette nouvelle génération, on se dit qu’il faudrait peut‐être choisir quelqu’un qui a de le poigne, qui sache tenir et manager ces gars‐là…
Diriger un groupe, c’est ça. Moi, j’ai toujours choisi la voix du dialogue en expliquant un maximum mes choix. Malheureusement, parfois tu as un joueur qui sort du chemin et tu es parfois obligé d’aller au clash pour le remettre dans la bonne voie. C’est un passage obligé. Tu dois fixer des barrières et les maintenir coûte que coûte parce qu’en permanence, un joueur ou un autre essaie de te gratter un petit truc. Diriger un groupe, c’est tout simplement ça.
De votre envoyée spéciale à Monte Carlo
Les adieux de Guy vus des tribunes :
Publié le lundi 9 avril 2012 à 14:10