Lionel Roux s’est confié à GrandChelem/Welovetennis en amont de cette demi‐finale de Coupe Davis. L’entraîneur de l’équipe de France revient sur son rôle, sa relation avec les joueurs et son ressenti sur la compétition. Extraits d’un entretien à retrouver en intégralité dans le Hors Série spécial Coupe Davis « Lyon fait la force ».
Comme Thierry Ascione, tu n’as qu’une sélection en Coupe Davis…
Je préfère en avoir une, même si elle a laissé des cicatrices. J’ai joué le dernier match décisif d’une rencontre de barrages en Belgique et ça s’est soldé par une défaite. Je n’en ai pas fait des cauchemars, mais entendre les supporters qui tapaient sur les panneaux avant que je serve, c’était très dur. Je suis arrivé à m’en relever puisque, derrière, j’ai atteint les huitièmes‐de‐finale à l’Open d’Australie. Avec le recul, c’est frustrant de ne pas avoir pu montrer autre chose en sélection. D’autant qu’en 2006, lors de la victoire en Suède, j’étais le cinquième homme ; j’avais donc connu, quelque part, les joies du succès.
Puisque tu en parles, quel est le rôle exact du cinquième homme en Coupe Davis ? C’est j’y suis, j’y suis pas ?
Ca peut être vu comme ça. Par exemple, Bennet’ était le cinquième homme à Maastricht et, finalement, il a été sélectionné par la suite. En fait, il faut être disponible pour les autres. C’est une marche supplémentaire pour se rapprocher du Team France, une façon de s’imprégner de l’ambiance, du groupe. Au tennis, cet esprit de groupe est rare. Le cinquième homme fait toute la préparation dans l’optique de remplacer un mec s’il n’est pas en forme. Il y a un vrai challenge et une petite chance d’être sélectionné.
Quelle est la mission de l’entraîneur par rapport à celle du capitaine ?
C’est le capitaine qui tranche. Mais on établit la sélection ensemble. On discute beaucoup avec Guy. Je lui fais part de mes informations, de mon ressenti. Quand il sent que je ne suis pas d’accord ou quand il a un doute, il m’en parle, car je connais bien les joueurs. Je suis la plupart du temps sur le circuit. C’est la même chose avec les coaches, je les ai de façon constante au bout du fil.
Tu es l’homme de terrain du Team d’une certaine manière ?
Oui, c’est un peu ça. Je suis le piston qui sert de catalyseur entre le groupe et ceux qui gravitent autour. Je m’occupe des plannings, de la vie de l’équipe, des besoins des uns et des autres. Je suis aux petits soins pour les joueurs, une sorte de grand frère.
Tu interviens aussi sur le plan technique ?
Jamais. Si c’est le cas, j’en ai parlé en amont avec le coach. Je travaille avec des Formules 1 ; tout n’est question que de petits réglages. Mon job, c’est d’être au courant des points travaillés habituellement par les joueurs avec leurs coaches. Ca permet de bosser sans chambouler l’ordre établi. Il faut que le joueur reste dans un environnement tennistique qu’il connaît.
Tu es une sorte de Super Coach ?
C’est flatteur ! Mais un peu, oui… (Rires)
Pour cette demi‐finale, tu reviens sur tes terres, au Palais des Sports de Gerland. Ca doit te faire quelque chose…
Gerland, c’est 91, évidemment. Je m’en rappelle, j’étais dans les tribunes, je commençais à faire des tournois satellites. Quand j’ai vu tout ça, j’ai pris conscience que je voulais devenir joueur professionnel. Et puis, Gerland, c’est aussi le GPTL et un quart perdu contre Jim Courier. Les tribunes étaient pleines, il y avait une ambiance de folie ! J’avais des frissons à chaque fois que je marquais un point, je perds 7–6 au troisième… Un moment magique ! De toute façon, pour moi, c’est un endroit magique. J’adore ce lieu, même s’il est vétuste. Le village du GPTL était dingue, j’y ai fait des fêtes terribles avec mes amis. Je suis triste qu’il soit si vite parti ailleurs…
1991, c’est le début de la France qui gagne ?
C’est Yannick Noah qui a drainé ça. D’abord avec son titre à Roland Garros, ensuite en étant capable de créer cette osmose dans un groupe, avec le résultat qu’on connaît.
Tu en parles souvent avec tes joueurs ?
Non, ils sont loin de ça. Ils sont sur une autre planète.
Pourtant, il parait difficile de faire l’impasse sur cet épisode pour préparer la rencontre, non ?
Quelques fois, ça les embête de revenir sur ces sujets. Jo et Gaël, les histoires concernant Yannick Noah, ils les ont un peu trop entendues. Aujourd’hui, ils ont plus envie d’écrire leur histoire que de répondre à des questions sur le passé. Même s’ils ont conscience des exploits accomplis et qu’ils en sont très respectueux.
Toi aussi, quand Micka l’emporte face à Fernando, tu as un regard de tueur…
Micka, je le connais bien, je l’ai coaché. Il me donne souvent des frissons. Je fais ce métier pour ça.
Jouer l’Argentine, c’est aussi s’attaquer à une nation qui a marqué l’histoire du tennis, avec, notamment, les Vilas, Clerc, Mancini…
C’est vrai ! Vilas… (Rires) Je ne pense pas à ça, je suis dans la préparation. Moi, j’ai plutôt récupéré des cassettes de Nalbandian.
Avec ton métier de consultant chez Canal +, tu as, en plus, une position assez privilégiée…
C’est vrai que c’est assez facile d’obtenir les DVD des matches. (Rires) C’est important de voir les rencontres, de les avoir en mémoire. On peut débriefer avec les joueurs, partager nos impressions et, le cas échéant, quand la situation se reproduit, réagir en conséquence. Le joueur sent tout ça, il sait que tu le connais. Dans les moments chauds, c’est décisif.
Du coup, tu bosses plutôt dans l’ombre…
Un peu, mais ça me convient. Pour préparer France‐Espagne, j’ai regardé plus de dix heures de matches de Nadal pour chercher des failles. J’avais fait un montage avec deux cents séquences de Gaël ou Jo face à lui. Et, au final, Nadal n’a pas joué ! (Rires) Je te rassure, j’ai tout gardé, ça pourra toujours servir.
Qu’en pensent les joueurs ?
Ils ne le savent même pas… Sauf Micka et les journalistes de Canal qui m’aident beaucoup. Ainsi que Guy, évidemment.
On sent qu’un véritable esprit d’équipe s’est installé, ce qui permet d’envisager l’avenir avec sérénité. Tu es de ceux qui pensent que, si on ne gagne pas la Coupe Davis cette année, on la gagnera plus tard ?
Il faut arrêter de dire cela. Moi, je pense que, cette année, il faut la gagner.
Tu as vu des signes qui te poussent à dire ça…
Bien sûr. Au fond de moi, je crois sincèrement que c’est le bon moment. D’ailleurs, à la suite de notre victoire à Clermont, Guy a fait passer ce message. Ca fait un an qu’on construit quelque chose et, cette année, on a une vraie carte à jouer, par rapport au calendrier, aux circonstances et au vécu. On a la chance d’accueillir la demi‐finale et, peut‐être, la finale. Il a aussi insisté sur l’importance d’y penser très en amont. Mieux, d’y penser chaque jour de son quotidien.
Et cette équipe d’Argentine, alors ?
Il y a le cas Nalbandian. Tous les spécialistes connaissent son potentiel. Même si on a choisi la surface en fonction de nos qualités, on a également fait un calcul par rapport aux joueurs susceptibles d’être présents aux cotés de David Nalbandian.
Et la surface, justement, ça se joue aussi aux millimètres ?
Evidemment. Le sens dans lequel on pose la peinture a une influence, par exemple. J’ai bien envie de la faire tester pour pouvoir réajuster. Ca peut poser des problèmes logistiques, mais c’est primordial. Ca fait aussi partie de mes missions.
Revenons à Gaël Monfils. Vu de l’extérieur, on a vraiment du mal à cerner le garçon.
Gaël, c’est un martien. Il a fallu que je le comprenne. Maintenant, j’ai réussi à installer une relation de confiance, une sorte de pacte. Ca fonctionne bien, car il joue le jeu.
Tu as un exemple de cette relation particulière ?
Avant sa rencontre face à David Ferrer, j’avais demandé à Gaël d’appeler son coach. Au moment de rentrer sur le court, je lui demande s’il l’a eu. Il me répond que non, qu’il s’est réveillé tard. Je n’ai pas perdu de temps, j’ai composé le numéro de Roger Rasheed – il était en Australie – et je l’ai passé à la Monf’. Ils n’ont parlé qu’une petite trentaine de secondes, mais j’ai senti que ce moment comptait dans son match face à Ferrer.
Ca doit être épuisant de gérer tout ça, surtout si on rajoute, en plus, la pression de la compétition…
Oui, d’ailleurs je suis tombé malade après les deux rencontres. Je donne et je reçois beaucoup d’énergie. Après, quand les joueurs entrent sur le court, mon boulot est presque terminé, c’est Guy qui est sur le banc. Mais comme je l’ai dit à Gaël, je suis toujours là s’il a besoin de mon regard, de ma voix…
Tu as l’air de t’être battu pour cette place d’entraîneur…
Ce n’est pas tout à fait ça. Il m’a fallu énormément discuter, exposer mes idées. Je me souviens d’une très belle conversation avec Gilles Simon, que je connaissais peu alors. C’était dans les couloirs, à l’Open d’Australie. Maintenant, tout est nickel, on a instauré quelques petits jeux, on a tous trouvé nos marques. Quand je veux m’isoler avec un joueur, je peux encore taper la balle avec lui. Tout ça contribue à mettre en place une belle ambiance.
En plus, tu as la chance de travailler avec des joueurs qui ont tous un vrai caractère.
C’est une richesse et une vraie force pour cette équipe. Ca chambre pas mal, mais c’est agréable. Je suis le pote, le grand frère, le confident… J’ai plusieurs casquettes et j’aime ça.
Publié le jeudi 16 septembre 2010 à 23:38