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Patrick Proisy : « Je me souviens avoir joué sur bouse de vache en Inde »

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Dans notre numéro 57 nous avions consacré un dossier spécial aux surfaces. Patrick Proisy (fina­liste de Roland Garros en 1972, consul­tant pour SFR Sport) qui garde un œil averti sur l’évolution des surfaces nous avait accordé un entre­tien pour faire un point sur le passé mais aussi se projeter sur l’avenir. 

À votre époque il exis­tait beau­coup plus de surfaces que main­te­nant, pensez‐vous que l’uniformisation en vigueur est posi­tive ?
« Je ne pense pas que ce thème doit être abordé unique­ment sous l’angle des chan­ge­ments de surface. Il faut aussi tenir compte de l’évolution du maté­riel. Si on avait conservé les surfaces qui exis­taient il y a 40 ou 50 ans avec le maté­riel actuel, il y aurait beau­coup de problèmes. Le bois a été privi­légié pour tous les tour­nois indoor jusqu’en 1975. Avec les raquettes et cordages modernes, le spec­tacle serait tota­le­ment indi­geste. De toute façon, les instances ont toujours cherché des solu­tions pour conserver une qualité de tennis. La moquette a été utilisée, notam­ment à Coubertin, l’ancêtre de Bercy. Je me souviens aussi du Mateflex. Le Quick était très prisé dans les clubs, mais abso­lu­ment pas pour les tour­nois de haut‐niveau. Et puis, la résine que l’on connaît s’est progres­si­ve­ment imposée comme la réfé­rence. On a ainsi pu créer des surfaces que l’on pouvait accé­lérer ou ralentir comme on le souhai­tait. Dans le même temps et en l’espace d’un siècle, la taille des joueurs a augmenté de 15 ou 20 centi­mètres. Si on tient compte du fait que les joueurs sont plus grands, que les raquettes sont plus perfor­mantes et que les balles sont presque iden­tiques, malgré de légères diffé­rences, je pense que le ralen­tis­se­ment des surfaces a été une bonne chose pour proposer un tennis de qualité sur le circuit professionnel. »

Oui, mais il est légi­time de se poser la ques­tion de savoir si les instances ne sont pas allées trop loin  ?
« Sans doute, car il y a de moins en moins de service‐volée et de volleyeurs. À ce sujet, il serait inté­res­sant de regarder aussi du côté des cordages. Luxilon, et d’autres marques ont créé des cordages pour frapper plus fort avec une meilleure sécu­rité. Ainsi, les joueurs n’osent plus venir au filet de peur de se faire passer. » 

Qu’est-ce qu’il faut donc faire pour favo­riser à nouveau les volleyeurs  ?
« Personnellement, je fais partie de ceux qui aime­raient une réflexion sur la hauteur du filet. Si on rehausse de cinq centi­mètres au milieu (de 0,91 à 0,96), ce serait plus compliqué pour le serveur, mais plus simple pour les volleyeurs car le passing devien­drait alors plus diffi­cile. La réflexion mérite d’être posée. » 

Justement cette unifor­mi­sa­tion n’a‑t-elle pas créé au final le même style de jeu et donc des cham­pions assez stéréo­typés  ?
« Très certai­ne­ment, cela a eu une influence majeure. Wimbledon a changé son gazon afin de le rendre plus lent. Du côté de Roland Garros, on s’est posé la ques­tion de savoir s’il fallait accé­lérer ou non la terre battue. Roger Federer préfère une terre battue lourde et grasse que rapide, car il sera plus diffi­cile à passer. Le bilan que je fais est qu’il existe une tendance à trop vouloir unifor­miser les surfaces. Mais il faut aussi faire atten­tion à la liberté que l’on donne aux orga­ni­sa­teurs dans les choix de surfaces. Par exemple, en Coupe Davis, je trouve choquant que l’on puisse évoluer en indoor en juillet. »

Quelles adap­ta­tions auraient été néces­saires à votre époque  ?
« Il y avait beau­coup plus de tour­nois sur gazon puisque la tournée austra­lienne se dérou­lait sur cette surface et en partie aux États‐Unis. Aujourd’hui, à l’exception de Wimbledon et des tour­nois de prépa­ra­tion, la saison sur herbe est très courte. Sur gazon, c’était vrai­ment un autre tennis. On pouvait changer de stra­tégie et de tactique, voire même de tech­nique. Je parle bien sûr du gazon sec, ce qui était le cas en Australie. À Wimbledon, il est beau­coup plus humide et très influencé par le climat. C’est la raison pour laquelle Björn Borg était en diffi­cultés la première semaine. Il jouait souvent sur des annexes où le rebond était plus bas et la balle fusait. Il y a connu de grosses alertes. En deuxième semaine, sur le central, le gazon est plus sec ce qui l’avantageait vraiment. »

Avez‐vous des souve­nirs de la terre battue améri­caine  ?
« À Houston, par exemple, la terre battue est rouge, mais ce n’est pas de la brique pilée comme en France, Italie, Belgique ou Espagne. Comme en Allemagne, il s’agit de petits gravillons. Aux États‐Unis, on trouve ce que l’on appelle du « Har‐Tru », une terre verte ou grise. La terre battue est une surface dite vivante, donc influencée par le temps et les condi­tions exté­rieures. S’il fait très chaud, elle sera rapide et glis­sante. S’il pleut, elle sera grasse et lourde. » 

Avez‐vous des souve­nirs de surfaces inédites  ?
« Oui, je me souviens avoir joué sur bouse de vache en Inde. Ce n’est pas une légende. La sensa­tion était assez étrange car elle déga­geait une odeur pour le moins parti­cu­lière. En Australie, à Hobart, il y avait une terre battue qui ressem­blait beau­coup plus à du sable blanc, ça collait bien au décor (rires). »

Quelle était la texture de la bouse de vache  ?
« Disons que ça ressem­blait à du gazon séché, comme ce que l’on trouve quand on marche en montagne. La couleur était jaunâtre et la vitesse assez simi­laire à celle sur gazon. C’est la raison pour laquelle on appe­lait ça du gazon car on n’avait pas trouvé de véri­table appellation. »

On se souvient tous du chan­ge­ment de couleur de terre battue à Madrid en 2012…
« Ion Tiriac, le direc­teur du tournoi avait opté pour une terre battue bleue pour des raisons marke­ting. Le problème est surtout qu’elle avait été mal conçue. Alors quand Nadal a joué dessus, en plus qu’elle soit mauvaise, il avait fait une fixa­tion sur la couleur. L’organisation du tournoi madri­lène avait alors décidé de rappeler Gaston Cloup, l’ancien chef de la terre battue de Roland Garros, pour refaire l’ensemble des courts. En parlant de couleur, je me souviens d’une année à Roland Garros (2012) d’une terre battue rose pour la journée de la femme, visuel­le­ment c’était incroyable. » 

Doit‐on revenir à de véri­tables périodes spéci­fiques pour les surfaces  ?
« Tous les Grands Chelems ont des tour­nois de prépa­ra­tion sur leur terri­toire. C’est essen­tiel pour les joueurs afin qu’ils puissent s’entraîner deux ou trois semaines avant sur une surface iden­tique. Si l’Open d’Australie adopte une surface tota­le­ment diffé­rente à Sydney ou Brisbane, c’est pertur­bant. La prin­ci­pale requête à faire aux orga­ni­sa­teurs est de permettre aux joueurs d’évoluer sur des surfaces similaires. »