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Alain Solvès : « On ne peut plus laisser un revers à deux mains faire ce qu’il veut »

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Coïncidence ou pas, c’est en appe­lant le DTN Patrice Dominguez que GrandChelem a décou­vert que la Fédération plan­chait sur ce dossier du revers à une main et à deux mains. Alain Solvès, en charge du programme Avenir National, nous a donc donné rendez‐vous cet été dans les tribunes de Roland Garros lors des phases finales des cham­pion­nats de France des moins de douze ans pour nous soumettre ses réflexions, exemples en direct à l’appui.

Alain, on fait un dossier sur le revers à une main et à deux mains, il parait que la DTN aussi. Alors quelles sont vos premières conclusions ?

La première idée c’était de regarder le nombre de jeunes enfants qui font un revers à une main main­te­nant que le maté­riel est adapté et là il est clair qu’on a un retour de ce revers‐là. Le deuxième angle, c’est qu’ on a les deux meilleurs joueurs fran­çais du CNE, Jo‐Wilfried Tsonga et Gilles Simon, qui ont des revers à deux mains et qui vous disent qu’avec un revers à une main, c’est très diffi­cile de retourner un service à 240 km/h, c’est égale­ment compliqué de gagner chez les jeunes parce que ce coup arrive à matu­rité plus tardi­ve­ment, donc la victoire en cham­pion­nats de France à 12 ans, les sélec­tions natio­nales et tout ce qui peut vous donner confiance, c’est retardé. Et puis on a un troi­sième angle qui est de regarder les quatre dernières finales de Roland Garros – puisque l’objectif c’est de gagner Roland Garros – et là c’est du 50/50. Donc on n’est pas plus avancé. (Sourire)

Alors que faire ?

Eh bien on s’est réuni en comités avec des spécia­listes de la forma­tion autour de la petite enfance et avec les plus grands, et on a essayé de réflé­chir à la ques­tion. On a vu que sur les 21 jeunes espoirs garçons, on avait 8 revers à une main, mais chez les filles un seul revers à une main sur 18. Autre statis­tique, sur les 20 meilleurs joueurs de l’ATP, six jouent leur revers à une main, chez les filles aucune ! Mauresmo était 21ème quand on a fait cette statis­tique. Et puis chez les hommes, plus on se rapproche du sommet, moins il y a de revers à une main. Le seul c’est Federer. A partir de là, nous on a posé plusieurs postu­lats. Si on déve­loppe un revers à une main, il faut forcé­ment que ce soit une arme. On ne peut pas arriver au plus haut niveau avec une faiblesse côté revers où le gars est tout le temps obligé de choper. On s’est égale­ment dit « Avant de savoir si on joue avec une ou deux mains, la ques­tion c’est quel est le coup le plus effi­cace pour ce joueur ? ». Un enfant arrive à 5–6 ans dans un club, il va avoir un maté­riel adapté, il faut définir un proto­cole. Parce qu’on a vu de tout, hein ! On sait que Moya est gaucher, que Nadal est droi­tier, que Appelmans a fait une carrière où elle arrive avec sa copine dans un club et où on lui dit « Les gauchères à droit, les droi­tières à gauche ». Sa copine était gauchère, alors elle s’est mise avec et elle devenue 20ème mondiale en main gauche alors qu’elle était droitière. 


Et puis ceux qui passent de deux mains à une main.

Oui, tout à fait : Edberg, Sampras. Donc première phase, faire le meilleur choix possible le plus tôt possible. Quand cette base‐là est posée, et avec ce maté­riel adapté, on souhaite que les enfants puissent tout essayer : les deux mains à gauche, les deux mains à droite, revers de la main droite, revers de la main gauche. Aux entrai­neurs de faire cette initia­tion, et la mise en place de la laté­ra­li­sa­tion pour voir comment ça se passe. En faisant ça, on espère limiter les inter­ven­tions qu’on aura à faire plus tard, au maximum entre 8 et 11 ans. Après 12 ans, c’est déjà un gros pari. 

Alors les constats ?

D’abord chez les garçons, les enfants qui font un revers à une main ont très tôt une empreinte avec la tech­nique qui se pratique au haut niveau : on fait des boucles, la raquette tombe, c’est très inspiré de ce qu’on voit à la télé au sommet du jeu. 


Oui, mais soyons quand même un peu clair. Les huit meilleurs joueuses et joueurs fran­çais sont en train de jouer devant nous, et il n’y a qu’un seul revers à une main.

Oui, c’est vrai, ces enfants qui ont 12 ans sont issues d’un programme né il y a 5 ans où n’existait pas le prin­cipe de balles inter­mé­diaires. Cette année sera la première où on va jouer avec ces balles aux cham­pion­nats de France à Blois et je milite depuis un an pour leur utili­sa­tion afin qu’on puisse favo­riser les meilleurs coups possibles. 


Je veux dire par là qu’on sort quand même d’une longue phase de l’idéologie du revers à deux mains.

Oui cette préco­cité des enfants se confron­tait à un maté­riel trop lourd et ils ont tous pris la raquette à deux mains. 

Mais juste­ment pour revenir sur des revers comme ceux de Monfils ou de Tsonga qui leur ont rapporté des résul­tats chez les jeunes, est‐ce que ça ne se retourne pas contre eux aujourd’hui avec une impres­sion de coup faible qui les freine dans leur progres­sion ?

Oui, tout à fait, et je remarque d’ailleurs qu’on a des exigences sur les revers à une main qu’on n’a pas sur les revers à deux mains. Nous, on pense qu’en lais­sant les enfants faire ce qu’ils veulent parce que c’est un revers à deux mains, on crée un coup qui sera limi­tatif au plus haut niveau. Désormais sur un revers à deux mains, on veut une prise de la main droite qui soit une prise fermée et qui permette de lâcher la deuxième main soit pour faire un revers chopé, soit pour aller volleyer dans de bonnes condi­tions. On pense que la main gauche doit être éduquée, c’est‐à‐dire qu’on doit faire des séances de coup droit de la main gauche pour affiner l’efficacité. On est conscient que ce coup, il démarre avec la main droite et il y a un moment où la main gauche prend le relais. Au niveau des appuis au sol, on veut égale­ment éviter les pieds en barrage parce que ce sont des pieds qui empêchent le trans­fert, qui peuvent trop solli­citer les genoux. Pour l’avenir, on ne plus laisser aller un revers à deux mains faire ce qu’il veut. 


Quels sont les joueurs exem­plaires dont vous parlez à vos jeunes ?

Murray, Nalbandian ou Nadal sont des joueurs inté­res­sants parce qu’ils ont une prise de la main en‐dessous tout à fait correct, ce sont des joueurs qui ont une vrai acti­vité entre les mains, les appuis sont justes, n’empêchent pas le jeu vers l’avant. Et de la même façon, on pense que la prépa­ra­tion du revers, à l’ancienne avec la main en bas ou la prépa­ra­tion recti­ligne, est devenue obso­lète. Il faut lancer le geste par le haut, même si ca passe un peu moins haut que le revers à une main, car dans ce revers ce sont les grand dorsaux qui sont solli­cités. D’ailleurs on le voit à l’instant devant nous, la prise est correcte, la main en dessous guide, et la boucle est bouclée. 

Alors parlons juste­ment du revers où on lâche une main, ça peut‐être un revers chopé, une volée de revers, une amortie. Quand on voit l’amortie de Nalbandian ou la volée de Tsonga, on ne s’inquiète pas, mais quand on voit par contre tous ces coups‐là par Alizé Cornet, ça flotte terri­ble­ment.

C’est évident que ces coups tech­niques demandent un travail spéci­fique que le joueur à une main fait toute la journée. Si le joueur à deux mains ne passe que 15 à 20% du temps à jouer ces coups‐là, ça va se compli­quer. Au‐delà de ça, il y a tout le problème du choix de ce coup. A quel moment vais‐je devoir lâcher ma main ? On sent chez le joueur à deux mains qu’il se pose plus de ques­tions. Et puis quelque part, il faut réussir à faire la démarche mentale de se dire que quand on lâche sa main, ce n’est pas un aveu de faiblesse. Ca doit être un coup supplé­men­taire à sa pano­plie tech­nique, pas un coup par défaut de celui qu’on fait d’habitude.

Oui, sauf que tous les entrai­neurs chez les filles vont faire sentir que dans la bataille du fond de court, le chop est malvenu et qu’on est jamais très bien barré dans l’échange quand on sort un chop.

Ma posi­tion est la suivante, prin­ci­pa­le­ment en regar­dant ce zéro revers à deux mains sur vingt chez les filles, c’est qu’il faut se projeter et faire un peu de pros­pec­tive. Est‐ce que dans 10 ans, ça va être la suren­chère de la frappe à deux mains, encore, encore, et encore, ou est‐ce qu’on ne va pas voir arriver ces revers chopés qui vont casser la cadence ? 

Sacré pari.

Oui, nous, on se place sur cette analyse. Les gaba­rits vont être plus grands, mais ces gaba­rits vont avoir du mal à courir vers l’avant. Ces filles qui ne s’orientent que sur de la frappe lourde et du revers à deux mains, il faut les faire venir vers l’avant. Il faut trouver les solu­tions pour venir casser ce jeu mono­corde et ces grandes diago­nales. Il y a des zones nouvelles à toucher et du rythme à casser. Voilà notre option pour les prochaines années. 

Si un joueur à −4−6 devait rencon­trer Venus Williams et était interdit de frapper plus fort qu’elle, mais de la contre­carrer par la tactique, les effets, les zones de jeu, il ferait quoi pour la battre ?

Je pense qu’effectivement il y aurait plus de jeu sur les contre‐pieds, beau­coup plus d’amortis, beau­coup plus de jeu court croisé, plus de montées à contretemps. 

Alors pour­quoi les autres joueuses ne le font pas ?

Parce que dans leur système de pensée et de forma­tion, elles sont dans des gammes, dans un jeu en cadence où elles donnent l’impression qu’assumer sa supé­rio­rité c’est plus facile en frap­pant et en rentrant dans un registre qu’elles imaginent « masculin », et non dans un registre de finesse. 


Mais est‐ce que les plus jeunes ne se disent pas surtout que ce registre de finesse ne payera pas dans les compé­ti­tions de jeunes ?

Mais bien sûr, et c’est là où on revient toujours au même problème. On gagne chez les jeunes avec des systèmes de jeu qui sont assez vite réper­to­riés et on repousse toujours les créa­teurs, à moins qu’ils aient une telle marge qu’ils peuvent se dire que ça payera quand même. 

C’est le cas de cette petite demoi­selle de la Côté d’Azur devant nous, Vinciane Rémy, c’est la seule qui joue son revers à une main mais ça fait 6–0 pour son adver­saire dans le premier set (NDLR : elle rempor­tera le deuxième 6–2 et perdra le troi­sième 7–5 contre Victoria Muntean).

On est exac­te­ment au cœur du débat. Se projeter sur Vinciane pour les cinq prochaines années, c’est im‐pos‐si‐ble. Elle n’a pas sa puberté, elle a un revers à une main et elle est une créa­trice, face à Victoria qui est un peu plus mature, qui a un revers à deux mains et qui joue très simple, qui fait ce qu’elle sait faire. Le score est pour l’instant sans appel. Le pari est donc impro­non­çable et notre seule chance c’est d’être dans une Fédération riche qui gardera Victoria et Vinciane encore plusieurs années. 


Oui, sinon il n’y aurait pas de Gilles Simon aujourd’hui.

Exactement. Un de nos préceptes, c’est que si son respecte la passion, le goût du jeu, l’amour du jeu, on a le temps de donner du temps aux enfants. Ce que la Fédé se permet, le niveau en dessous c’est‐à‐dire la Ligue peut se le permette aussi, et en‐dessous encore. Tout le monde a le temps de rester un ou deux ans supplé­men­taires dans sa struc­ture de base. Mais Vinciane, c’est l’exemple parfait. La gamine se bat, elle ne jette pas la raquette, elle aime le jeu, il n’y a rien à dire mais aujourd’hui elle souffre un peu. Nous, on ne s’affole pas sur ce genre de cas. Elle est réper­to­riée dans notre programme, elle sera aidée l’année prochaine. 

Alors concer­nant un style de revers, les amortis de revers, qu’avez-vous pensé de celles de Federer à Roland, tirées parfois de derrière la ligne de fond ?

Oui, et il en a tiré autant en coup droit ce qui était assez nouveau alors qu’il était plutôt habitué à les lâcher côté revers. Aujourd’hui c’est ce qui nous conforte dans notre vision, les joueurs du top qui progressent encore, enri­chissent leur jeu : Nadal avec son revers lâché, sa volée, son petit jeu, Federer et son amorti. On ne les a pas vus frapper plus tôt, frapper plus fort, on les a vus enri­chir le jeu. 

Dernier geste tech­nique, la volée. On voit des volées de revers de Simon et de Monfils flotter, on voit même Federer perdre sa volée de coup droit en début d’année. Pour avoir joué avec McEnroe, il vous rappelle tout de suite de ce qu’est une volée, et on a l’impression réelle que ce coup n’est plus assez pratiqué.

Oui, on a l’impression que ce geste s’est dété­rioré avec l’arrivée du maté­riel et le déve­lop­pe­ment des qualités physiques. Au moment où se perdait des volées tran­chées, posées dans la zone, arri­vaient des volées liftées qui faisaient mouche. En fait on s’aperçoit que les joueurs n’ont même pas le temps d’aller plus prêt que ça ! La volée devient de plus en plus diffi­cile à contrôler. Quand Agassi balance un missile en retour, la raquette faut la tenir ! Alors que quand c’était des raquettes en bois, McEnroe avait le temps. 

Avantage aux joueurs de fond.

Oui, c’est incon­tes­table. Le maté­riel a avan­tagé les joueurs de fond. Les volleyeurs sont toujours confrontés à une ques­tion de contrôle et de tenue de main alors que les mecs au fond ont réussi grâce au nylon à frapper de toute leur force et à mettre la balle dedans. Le problème est là. Un autre se pose déjà , quand on a 10 ans et que la longueur du court n’est pas adaptée aux enfants, c’est qu’on se fait lober. Donc on a 10 ans, on a l’envie de monter mais on se fait massacrer. 

Donc, ques­tion, est‐ce qu’aujourd’hui on peut encore faire service volée pendant 15 jours à Roland ou à Wimbledon ?

Non, je pense que c’est impos­sible. On a vrai­ment ralenti les surfaces. Il y a une étude qui a été faite entre 2003 et 2008. Je cari­ca­ture mais en gros, en 5 ans, le service de Federer a perdu 30 miles de vitesse et 50 centi­mètres de hauteur de rond. Donc quelqu’un qui ferait ça sur 15 jours va s’user sur 7 matches. Même en indoor, ce n’est pas super rapide. On a nos joueurs qui reviennent et qui ont mal aux fessiers, ils ont l’impression de jouer dans du sable (Sourires).

Pour finir, on est devant nos futurs espoirs, qu’est-ce que vous regardez en premier quand vous venez voir ces jeunes ? 

J’essaye de regarder un premier bloc : l’amour du jeu, le plaisir de jouer, le respect de l’adversaire, ces choses qui vont leur permettre de voyager long­temps. Deuxième bloc : ils ont dix ans pour arriver au sommet, il faut quand même être le plus effi­cace possible. Je suis sensible au joueur qui met le moins d’énergie, le plus de faci­lité dans ses victoires, en terme tech­nique bien entendu. Parce que qui dit effi­cience dit préven­tion dans les bles­sures et progrès possibles. Si on est effi­cace mais qu’on est tout le temps en force, il y aura de la bles­sure un mois, deux mois, six mois, un an. Mais ce qui est diffi­cile dans ces jeunes caté­go­ries, c’est de ne pas se laisse impres­sionner par ses varia­tions physio­lo­giques entre celles qui ont déjà eu leur matu­rité et ceux qui ont démarré plus tard. Il faut être patient. 

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