AccueilInterviewsP.Huon : "Je suis un capitaine formateur"

P.Huon : « Je suis un capi­taine formateur »

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Alors que nous avons vécu un superbe week‐end de Coupe Davis et que la Fed Cup arrive à son tour, la rédac­tion de WeLoveTennis vous propose un dossier sur les capi­taines. Rouages essen­tiels à tout bon fonc­tion­ne­ment d’une équipe, les capi­taines sont indis­pen­sables. Première inter­view réalisée dans Grand Chelem numéro 32 avec Philippe Huon, capi­taine du TC Quimperlé, cham­pion de France 2012.

Quand cette aven­ture a‑t‐elle débuté ?

Tout a commencé il y a plus de 15 ans… Je suis venu au TC Quimperlé, car le discours de Philippe Brézac, le Président de l’époque (NDLR : égale­ment le papa de Charles‐Antoine Brézac), m’avait séduit. Il y avait un groupe de jeunes joueurs qui ne deman­dait qu’à se perfec­tionner. On me donnait un diamant brut que je devais tailler et polir. Au début, l’ob­jectif, c’était de consti­tuer une équipe capable de monter en Championnat de France, au mieux en Nationale 1B. Puis, les succès nous ont poussés plus loin dans la démarche. En paral­lèle, les joueurs du club ont continué à progresser. Mais il fallait faire évoluer le projet, car, à ce niveau, il était néces­saire de faire appel à des joueurs exté­rieurs pour être compé­ti­tifs. C’est pour ça qu’on a mis en place une commis­sion spéciale. Nous ne voulions pas que l’équipe première coûte un centime au club. 

Plus que le Capitaine, on peut dire que vous êtes le forma­teur de cette équipe…

J’ai toujours gardé, en moi, une âme de forma­teur et, ce, même si j’ai toujours suivi et coaché des équipes. Je suis un Capitaine forma­teur, j’ai envie de dire. Vous savez, c’est très compliqué de créer un esprit de groupe dans un sport aussi indi­vi­duel que le tennis. En revanche, quand l’os­sa­ture de votre équipe est la même depuis plusieurs années, c’est plus simple. C’est ce qui s’est passé au TC Quimperlé. On ne récu­père jamais nos joueurs à la dernière minute, la veille d’une rencontre (rires) ! Au contraire, je consi­dère que la période de prépa­ra­tion où l’on est tous ensemble est primor­diale. Ca sert à inté­grer les nouveaux arri­vants. Et ça me permet aussi de faire passer des messages sur l’idée de confiance en soi, par exemple, et de confiance dans le groupe.

Dans votre posi­tion, on imagine que vous vous êtes servi de l’image de David contre Goliath, du petit qui défie les gros ?

Evidemment, j’en ai joué et c’est bien normal. D’abord, parce que c’est une réalité. Mais aussi parce que ça parle aux joueurs. Ca crée une vraie ambi­tion. Mon rôle, ça a été de créer un climat propice aux échanges et à la discussion.

Un bon Capitaine, c’est donc quelqu’un qui sait aussi écouter ?

Fort heureu­se­ment ! C’est même une des bases de mon métier. Je n’ai jamais cherché à imposer des choses. Ces joueurs sont des profes­sion­nels, ils ont, certes, besoin de conseils, mais leur expé­rience est aussi très forte. Il faut ainsi savoir rester à sa place, tout en essayant de les orienter, d’être proche d’eux.

Comment ça se traduit sur le banc ?

Avec les joueurs du cru, je suis plus directif, car je les connais trop bien. J’essaie d’être le plus juste possible, néan­moins, de poser ma voix. Et, je le répète, de leur donner de la confiance. C’est le mot clef : la confiance. Avec Mathieu Rodrigues (443ème mondial), par exemple, on a réussi à mettre en place une qualité de dialogue qui s’est avérée déci­sive et a permis de faire basculer des rencontres, cette saison. Vous savez, le joueur de tennis est seul sur le court. Mais il ressent souvent un réel besoin de parler, quelle que soit la physio­nomie du match. Le moment sur le banc, c’est celui du dialogue. Il est extrê­me­ment précieux. 

Et le public dans tout ça ? Un Capitaine doit savoir le maîtriser ?

Maîtriser, je ne sais pas, mais faire appel à lui quand il sent que ça peut améliorer la situa­tion, c’est certain. Et je ne me suis pas gêné pour le faire. Quelques fois, sur le banc, notre énergie n’est pas suffi­sante. Le public est alors un allié pour faire bouger les choses. Et, à Quimperlé, de ce coté‐là, on est gâtés ! Notre iden­tité, notre envie et, surtout, nos racines bretonnes peuvent faire la diffé­rence ! (Rires)

C’est alors plus facile d’être Capitaine dans un club où la vie est forte et animée, avec un public en appui et un véri­table impact à l’échelle de la ville…

Ca, c’est sûr ! Quand mes joueurs rentrent sur un court, ils ont une vraie respon­sa­bi­lité vis‐à‐vis de beau­coup de monde. Il n’y a qu’à voir comment nous avons été accueillis à notre retour avec le trophée… C’était complè­te­ment dingue. Oui, le Capitaine doit jouer là‐dessus. Si, en Coupe Davis, le joueur défend le drapeau trico­lore, à Quimperlé, il défend nos valeurs, celles du club où il a grandi ou celles du club qui l’a accueilli. Maintenant, avec les joueurs étran­gers, on a une gestion particulière.

C’est‐à‐dire ?

On travaille nous‐mêmes, on ne fait pas appel à des agents. On veut vrai­ment que le joueur épouse notre état d’es­prit. D’ailleurs, de mon côté, ma mission ne s’ar­rête pas aux matches par équipes. J’essaie d’entretenir un suivi avec eux au cours de la saison. C’est impor­tant. Il faut que le joueur comprenne qu’il y a un vrai lien entre lui et son capi­taine dans les moments forts, comme dans les moments plus difficiles. 

Il y a un gros travail en amont ? Tableau noir, vidéos, etc.

En général, on a suffi­sam­ment d’in­for­ma­tions sur nos adver­saires. Mais je m’at­tache quand même à mettre des plans d’ac­tion en place, sans que ce soit figé. Là encore, c’est un dialogue avec le joueur. Mais l’er­reur serait aussi de trop se foca­liser sur l’ad­ver­saire. Le plus impor­tant, c’est avant tout de s’ins­taller dans la partie. Un bon Capitaine, c’est celui qui met son joueur dans les meilleures condi­tions physiques, mentales et tactiques. Pour le reste, il y a la vérité du terrain et, là, il s’agit d’ana­lyser, de cher­cher ce qui peut clocher ou d’ac­com­pa­gner la réus­site. Ce n’est pas parce que tout marche bien qu’il ne faut pas le dire. Positiver est aussi une arme efficace ! 

Vous prenez des notes ?

Non, ce n’est pas mon style, je fonc­tionne plutôt dans l’ins­tant, au ressenti. C’est, je crois, une de mes qualités (rires).

On a beau­coup parlé du rôle du Capitaine, mais on a oublié l’essentiel… Très bête­ment, le Capitaine, c’est avant tout celui qui compose l’équipe…

Ah ! On y vient ! Je croyais qu’on allait faire l’im­passe (rires). Oui, le Capitaine fait des choix. S’il peut, quand même, se faire conseiller, au final, il est le seul à décider et, surtout, à en prendre la responsabilité. 

Ca a été dur cette saison ?

Oui, notam­ment pour la compo­si­tion des doubles. Pour les simples, on peut se fier au clas­se­ment ou à l’état de forme. Le double, c’est diffé­rent. C’est une alchimie plutôt étrange. Face au TC Paris, en finale, j’étais vrai­ment face à un vrai dilemme. En poule, alors qu’on menait trois à un, nos deux paires avaient été lami­nées. Là, en finale, rebe­lote, on mène trois à un… Je sais qu’on est à une victoire du titre. J’ai décidé de changer. Et ça a fonctionné !

Qu’est-ce que vous répondez si je vous dis que GrandChelem a décidé de vous élire Capitaine de l’année 2012 ?

Je répon­drais que… c’est un honneur ! (Rires) Plus sérieu­se­ment, cette épopée, c’est avant tout une aven­ture humaine. Après le titre, j’ai reçu des messages de la terre entière. Sam Sumyk m’a appelé du Qatar, Ronan Lafaix m’a féli­cité… Vraiment, j’ai senti que ça faisait plaisir à beau­coup de monde. Pour résumer tout ça, je retien­drais une phrase de Charles‐Antoine Brézac, lors de son petit discours à Quimperlé pour notre céré­monie – elle résume tout. « Si on a réussi à toucher le Graal, c’est parce qu’on avait envie de donner du plaisir et qu’en donnant du plaisir, on en prenait aussi beau­coup. » Tout est dit. Être un bon Capitaine avec une équipe de cette qualité, avec de telles valeurs, ça devient presque naturel. J’en ai la chair de poule en y repen­sant… Quelle aven­ture ! Vraiment, je suis fier de tout ce qu’on a accompli. Ca confirme que, dans le sport, quels que soient vos moyens, vous pouvez faire bouger les lignes, bous­culer des montagnes et une hiérar­chie établie. C’est récon­for­tant. C’est pour ça que je continue à ensei­gner avec une telle rage et une telle passion !