AccueilInterviewsNadal : "Nous devrions être ouverts à certaines évolution"

Nadal : « Nous devrions être ouverts à certaines évolution »

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Toni Nadal est sans aucun doute l’un des plus grands coaches de l’his­toire. Aux côtés de Rafa, son neveu, qu’il a pris sous son aile dès le plus jeune âge et accom­pagné jusqu’aux sommets, cet amou­reux de la forma­tion s’est construit un palmarès et une expé­rience uniques. Avec, pour maîtres mots, des prin­cipes forts qui dépassent le cadre du tennis. GrandChelem a rencontré ce monu­ment du coaching en face à face pour un entre­tien fleuve. A cette occa­sion, nous avons proposé aux inter­nautes de notre site Welovetennis.fr de lui poser leurs ques­tions. Auxquelles nous avons adjoint nos propres inter­ro­ga­tions. Résultat : un vrai docu­ment à conserver et discuter entre fans de la petite balle jaune.

Toni Nadal : première partie de l’entretien.
Toni Nadal : deuxième partie de l’entretien.

Cette inter­view vous est proposée en parte­na­riat avec le E‑coaching, sur kdotennis.com.

Toni, cela fait plus d’une ving­taine d’an­nées que tu entraînes Rafa. C’est un joueur facile à supporter et à entraîner ? (Rafan13)

Oui, c’est très proba­ble­ment le joueur du circuit le plus facile à entraîner. Il n’est pas compliqué, il a une bonne éduca­tion, il est poli, aimable. Il est facile à entraîner et je pense, d’ailleurs, que j’au­rais du mal à en entraîner un autre. Je ne sais pas si j’en aurais le courage… Quand je vois les jeunes qui demandent à leur entraî­neur de leur apporter des bouteilles d’eau, de leur porter leur sac… Et l’en­traî­neur s’exé­cute ! Moi, je ne peux pas accepter ce genre de choses. J’observe vrai­ment un chan­ge­ment de menta­lité… Avec Rafa, c’est possible. Comme je le dis, c’est le joueur le mieux éduqué du circuit. Et je ne dis pas cela parce que nous sommes de la même famille, non. Bien d’autres pour­ront le confirmer. Il n’a jamais eu de problèmes avec les personnes qui l’en­tourent, que ce soit avec son kiné, avec le coach qui me supplée… Ce n’est pas pour rien qu’il a la même équipe depuis toujours !

Vous ne vous disputez jamais (rires) ?

Non, non, jamais, j’ai un très fort carac­tère, je dis ce que je pense, mais ça ne va pas jusqu’à la dispute !

Du coup, je suppose que Rafa n’a jamais pensé à changer d’en­traî­neur ? (Sébastien)

C’est à lui qu’il faudrait poser la ques­tion (rires). Je crois que non, mais il faudrait lui demander confirmation !

Cette bonne entente qu’on sent entre vous deux, elle est aussi due à la rela­tion fusion­nelle que vous avez ? Beaucoup de nos inter­nautes ont relevé le fait que tu employais le pronom « nous » plutôt que « il » pour parler de Rafa… (Benda)

Je dis nous ? Je ne m’en rends pas vrai­ment compte (rires). Vous savez, je travaille avec Rafa depuis qu’il a trois ans… C’est aussi mon neveu… C’est pour ça que je dis « nous ». Et puis, c’est pour moi qu’il s’est mis au tennis. C’est moi qui l’ai un peu poussé, car il jouait au foot jusqu’à 13 ans, il était passionné. Si je ne lui avais pas mis une raquette entre les mains, aujourd’hui, il ferait du foot. 

Comment se passent les prises de déci­sions ? Rafa a son mot à dire ou tout te revient ? (Sébastien)

C’est tota­le­ment l’in­verse, c’est Rafa qui prend toutes les déci­sions. Je les prenais, moi, à l’époque où j’es­ti­mais qu’il était trop jeune pour juger des choses. Il avait besoin d’un adulte pour le guider. Mais, au fur‐et‑à mesure, durant son adoles­cence, j’ai essayé de faire de son appren­tis­sage du sport un appren­tis­sage des respon­sa­bi­lités. Pour qu’il soit, ensuite, capable de faire ses choix et être seul maître de ses déci­sion. Evidemment, il me consulte quand même sur certains points, mais la déci­sion finale lui appar­tient toujours. C’est le même processus que l’on peut retrouver dans la rela­tion entre un père et son fils. Si le père choisit à la place du fils lors­qu’il est enfant, il doit ensuite, en le voyant grandir, le laisser prendre son envol.

« C’est Rafa qui prend toutes les déci­sions… »

Tu en as déjà parlé un peu, mais tu te senti­rais d’en­traîner un autre joueur, un jour, après une rela­tion aussi forte ? (Clem262010)

J’aimerais travailler avec des enfants. C’est avec eux que l’on peut faire le meilleur boulot. Comme je l’ai dit, un joueur déjà présent sur le circuit est plein de toutes ses habi­tudes. Et, vu la menta­lité de certains et de pas mal de jeunes qui arrivent, je ne sais pas si quel­qu’un m’ac­cep­te­rait comme entraî­neur (rires)… Plus sincè­re­ment, je voudrais travailler avec des groupes dans une fédé­ra­tion. Je pense avoir pas mal de choses à apporter dans ce domaine. L’expérience que j’ai dans le monde du tennis et ma manière de travailler s’adapte mieux aux plus jeunes. 

Tu parles d’un problème de menta­lité chez les jeunes. Mais certains coaches estiment que porter le sac de leur joueur et réserver les courts d’en­traî­ne­ment peuvent faire partie de leur job. Ils estiment qu’ils sont là pour opti­miser la perfor­mance et garantir un certain confort…

Les anciens coaches ne faisaient pas ça. Est‐ce à dire qu’ils ne voulaient pas le meilleur pour leur joueur ? Je ne crois pas. Si je ne porte pas le cartable de mon fils en l’ac­com­pa­gnant à l’école, cela veut dire que je ne l’aime pas ? Est‐ce que porter son cartable l’ai­dera vrai­ment à être plus perfor­mant ? Selon moi, c’est avant tout une ques­tion de respect. Je suis chef d’en­tre­prise et j’ai des employés. Mes employés ont chacun une tâche qu’ils accom­plissent et qu’ils respectent. Je ne vais pas leur demander de cirer mes chaus­sures ou de m’ap­porter à boire. Le gars qui est avocat, il est avocat, ce n’est pas un servi­teur. Et je ne lui deman­de­rais jamais de faire plus que son métier d’avocat. Si Rafa reste assis et que je lui apporte à boire et à manger, il sera content, c’est sûr. Mais ce n’est pas mon travail (rires). Le coach se charge du tennis. Alors voir un jeune joueur marcher devant et son coach, derrière, porter son sac, cela donne une très mauvaise image. Mais je trouve que cela donne une tout autant mauvaise image dans le golf, par exemple, avec le caddie qui porte les affaires. Je dois être de la vieille école (sourire). Et, pour moi, les jeunes doivent respecter les anciens.

« Entraîner un autre joueur ? Vu la menta­lité de certains et de pas mal de jeunes qui arrivent, je ne sais pas si quel­qu’un m’ac­cep­te­rait comme entraî­neur ! »

Pour revenir à l’ac­tua­lité… On t’a pas mal reproché de coacher Rafa pendant ses matches. De lui parler alors que c’est interdit. Qu’est‐ce que tu en penses ? (Pete s’embrase (Spitfire))

Mais c’est quoi, le coaching ? Franchement ! A Melbourne, vous savez ce que je disais à Rafa ? Simplement de bouger et d’être plus éner­gique. Si ça, c’est du coaching… Cette règle existe, oui, mais c’est un vrai problème, selon moi. Je ne connais pas d’autre sport dans lequel tu paies ton voyage pour accom­pa­gner ton cham­pion… pour fina­le­ment rester assis en tribune et ne rien dire. Je pour­rais faci­le­ment contourner la règle, comme certains le font, en mettant au point un langage codé (ironique), avec la posi­tion de mes mains, l’angle de ma casquette… Mais je ne veux pas faire ça. Alors c’est vrai, oui, parfois je parle. Je me permets même de dire « vamos ! » de temps en temps. C’est du coaching ? Oui, si on suit la règle, puisque c’est une stimu­la­tion pour le joueur. Alors je devrais rester les bras croisés comme un simple spec­ta­teur… D’accord, d’accord… 

Chez les filles, la règle a été changée depuis quelques années. Cela te paraît plus juste ?

Bien sûr ! Elle est beau­coup plus adaptée au sport moderne ! Rien que pour le spec­tacle, c’est un plus. Il faudrait quand même comprendre que la vie n’est plus la même qu’il y a cinquante ans. Les choses évoluent. Avant, il n’y avait pas de coaches, la règle était donc légi­time. Mais, aujourd’hui, à quoi sert un coach silencieux ?

C’est donc essen­tiel de commu­ni­quer avec son joueur…

Non, ce n’est pas essen­tiel en soi. Rafa peut très bien s’en sortir sans que je dise un mot. Mais si tu es impliqué dans ton travail, c’est naturel d’avoir envie de parler à ton joueur. Il ne s’agit pas de parler pour lui dire où envoyer la balle. Ca, ça ne regarde que lui ! Tous les sports évoluent, tous. Sauf le nôtre. Le court a toujours les mêmes dimen­sions, le filet est à la même hauteur. Les règles, d’une manière géné­rale, restent les mêmes alors que la balle va plus vite ou que le maté­riel est bien meilleur… C’est illo­gique qu’il n’y ait pas d’adap­ta­tions progres­sives sur certains points, lors même que l’en­vi­ron­ne­ment de jeu, lui, évolue en perma­nence. Alors pour­quoi les grands diri­geants ne font‐ils rien sur le coaching ? Tous les joueurs ont un coach. Et ce coach, qui est primor­dial dans l’édu­ca­tion du joueur quand il est jeune, devrait devenir un simple spec­ta­teur quand le joueur arrive à l’âge adulte ? C’est incroyable… Selon moi, nous devrions être ouverts à certaines évolutions.

Vous discutez de tout ça entre coaches ?

Pour discuter, il faut savoir écouter. Et je préfère discuter avec des personnes intel­li­gentes qu’avec des personnes inté­res­sées, qui ont des arrières‐pensées – et il y en a quelques unes…

Et avec les diri­geants du tennis ?

Mais ce sont qui, ces diri­geants du tennis ? L’ITF ? Elle se charge surtout des amateurs ou du circuit secon­daire. L’ATP ? Elle fait ce que lui disent certains joueurs, rien de plus (rires) ! Regarde ce qui est arrivé dans le foot­ball : après le Mondial 90, en Italie, on a décidé de changer la règle de la passe au gardien. Les gardiens ne pouvaient plus prendre la balle avec les mains lorsque les joueurs de leur équipe la leur donnaient volon­tai­re­ment. Et, pour­tant, si on avait demandé l’avis des gardiens, ils auraient tous répondus : « Ah non ! Non ! Ne changez pas la règle ! Je ne sais pas jouer avec mes pieds ! » Quand l’ATP demande aux joueurs s’ils veulent changer des choses, ils répondent tous : « Pourquoi changer ? Je suis très bien comme ça. » Résultat : rien n’évolue, rien ne change, ou tout prend un temps incroyable pour faire bouger un tout petit peu les choses. 

Deuxième partie ce mercredi 19 février à 19h00.