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Edgar Grospiron : « Le coach est quelqu’un qui accom­pagne le dialogue intérieur »

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Très honnête joueur de tennis dans sa jeunesse, mais encore plus doué en ski où il demeure le dernier Français cham­pion olym­pique des bosses en 1992, Edgar Grospiron a bifurqué vers une carrière d’intervenant auprès de grosses entre­prises. L’occasion de parler de coach et de coaching avec un expert épicu­rien, un vrai. 

Edgar, est‐ce que nous sommes tous coachs ?

Non. (Silence) Non, non. Je vais d’ailleurs faire réfé­rence à ma propre expé­rience. Pendant beau­coup de temps, je n’ai pas été coach et pour être honnête, je ne me consi­dère toujours pas comme un coach. Un coach cela requiert des compé­tences. Ces compé­tences, je suis allé les prendre dans des insti­tuts de forma­tion, mais dans ces insti­tuts, il y a telle­ment de choses à apprendre que tu te sens très vite tout petit. Deuxio, pour avoir des réflexes de coach, il faut beau­coup prati­quer ce métier‐là. Bien sûr il existe des coachs innés, des meneurs d’hommes natu­rels, qui ont le nez, qui ont la lecture de l’individu, une percep­tion très fine des compor­te­ments. Et puis tu as des gens qui n’ont rien d’inné en terme de coaching et c’est mon cas. Mais grâce aux outils que tu acquières, tu gagnes en confiance jusqu’au jour où tu sens que tu peux devenir un bon coach selon la défi­ni­tion suivante : quelqu’un capable d’accompagner le dialogue du client ou du patient, tout en favo­ri­sant l’autonomie de ce client. 

Quelle est la diffé­rence entre un coach et un entraî­neur ?

Dans le sport, on parle de l’entraîneur, qu’en anglais on appelle le coach, et qui est le déten­teur d’une science qu’il transmet à ses athlètes. Un coach dans le sens où on l’entend en France et dans le monde de l’entreprise, ce n’est pas quelqu’un qui détient une science à trans­mettre, mais plutôt une bonne connais­sance de la psycho­logie des compor­te­ments et des person­na­lités, et qui accom­pagne le dialogue du client. On a tous un dialogue interne, on se parle, on s’encourage, parfois on se décou­rage, on se pose des ques­tions, on se demande comment réagir. Tout cela fait un dialogue qui se produit dans la tête de chacun, et le coach accom­pagne ce dialogue, qui permet une prise de conscience ou l’éclaircissement de zones d’ombre. Prenons un exemple : je suis en prise avec tel colla­bo­ra­teur et je sens bien que ce que je lui dis crée plus de problèmes que de solu­tions. Cette zone d’ombre est inté­res­sante pour le coach, elle doit lui permettre d’éclairer la situa­tion en prenant en consi­dé­ra­tion les attentes de chacun et en se deman­dant si en faisant diffé­rem­ment, il se passe­rait autre chose. On teste, on regarde. C’est ça un coach, il se pose ces questions‐là et moi j’ai rencontré très peu d’entraîneurs capables de ça. Ce sont des gens qui restent souvent sur leur expé­rience de base et qui pensent que ce modèle doit s’appliquer à tout le monde. C’est pour ça qu’ils ont des athlètes avec qui ça marche et d’autres non, et qu’il y a beau­coup de déchet. 

Lors de ta carrière spor­tive, quels sont les exemples de coaching que tu as vécus et que tu as resservis aux cadres d’entreprise que tu rencontres ?

Il y a eu un moment déter­mi­nant dans ma carrière, c’est le jour où je suis devenu cham­pion du monde. Tant que je ne l’étais pas, je ne pensais qu’à ça, j’attendais ce moment‐là, j’étais au taquet pour ça. Mes coachs me disaient quoi faire, je le faisais sans me poser de ques­tions. Et puis le jour où je suis devenu cham­pion du monde, mes coaches, Nano Pourtier et Philippe Bron, qui étaient très direc­tifs et auto­cra­tiques, ont tout à coup changé de percep­tion, m’ont amené à réflé­chir en me disant « Maintenant que t’es le meilleur, il faut que tu cherches à être un petit peu meilleur tous les jours, tout seul et pas par rapport aux autres ». Pour mûrir ce chan­ge­ment dans ma tronche, il a fallu du temps parce que moi je ne compre­nais pas, j’étais bon, j’avais fait le plus dur, je pouvais faci­le­ment rester en haut juste en conte­nant les assauts des autres, ça suffi­rait. Mais non il m’expliquait que devenir leader c’était bien moins diffi­cile que de le rester. Il a donc fallu changer le mode de percep­tion de mon sport et ma façon de l’envisager.

T’as fait comment ?

Ah bah j’ai pris des coups dans la gueule (Rires). Je suis le genre de gars qui a besoin de véri­fier si la bougie te brûle les doigts quand tu la touches pour ne plus la toucher (Rires). Il faut toujours que je défie tous les cadres. Mais le truc qui est fort, c’est que mes entraî­neurs ont eux aussi changé leur atti­tude. Jusque là ils n’envoyaient qu’un message descen­dant, « tu dois faire comme ci et comme ça », et là tout à coup, ils se sont mis en dessous de moi et m’ont posé des ques­tions : « Qu’est-ce que t’as fait de bien ? Qu’est-ce que tu veux améliorer ? ». Ils m’ont obligé à changer ma position. 

Quel est le paral­lèle avec l’entreprise ?

Ce paral­lèle il est évident parce que dans l’entreprise, le coach c’est le manager et ce manager est toujours confronté à ces deux mêmes situa­tions : soit il manage des juniors qui ont tout à apprendre du métier et il va être descen­dant au niveau de ses messages, soit il manage un expert ou un senior, c’est‐à‐dire un mec qui sait, et là il a intérêt à se posi­tionner en dessous et à poser des ques­tions à partir de l’expérience du senior et non à partir de la sienne. Mais ce n’est pas parce qu’un senior est un expert dans son métier qu’il ne peut pas progresser. Il peut être comme un Nadal, il a beau être le meilleur du monde, il a encore des marges de progres­sion qui sont fara­mi­neuses. Mais faire cela, ça néces­site d’être accom­pagné, et c’est le coach qui détient ce rôle. 

Du point de vue mental et depuis que tu as arrêté ta carrière, qu’est-ce que tu as appris dans le cadre de tes inter­ven­tions ?

Depuis que je fais ce métier, je fais 25 à 30 jours de forma­tion par an. C’est le cas ce week‐end où je pars à Orlando et où je vais travailler avec un des cinq meilleurs confé­ren­ciers du monde. Mais par exemple le dernier sémi­naire de forma­tion portait sur autre chose, sur ce que tu exprimes physi­que­ment quand tu prends la parole. Donc on ne travaille pas le message, mais la façon de le faire passer. J’ai égale­ment suivi une forma­tion de théâtre parce que la prise de parole est très proche du théâtre et chacune de ces forma­tions t’aident à mettre en place l’efficacité de ton message. 


Mais est‐ce que l’efficacité de ton message, elle ne vient pas de la crédi­bi­lité de la carte cham­pion olym­pique ? Est‐ce que tu serais crédible si t’avais fini 4ème à chaque compé­ti­tion ?

Oui, si j’avais voulu leur parler de la défaite, j’aurais été très crédible (rires). Ce qu’il faut comprendre, c’est que c’est rare­ment le contenu qui est impor­tant pour les gens, comparé à la ques­tion de savoir si on croit au bonhomme. On dit souvent que ce qui fait la diffé­rence dans la compé­ti­tion, c’est le fait que le vain­queur y ait cru encore plus que tous les autres. Eh bien dans tous les métiers, c’est pareil. Tu vois Nadal, il croit à toutes les histoires de son oncle depuis qu’il est tout petit. C’est vrai, c’est faux, c’est pas grave, il y croit, et c’est ça qui est impor­tant. Moi quand j’arrive en confé­rence, je sais que les gens vont croire en ce que je dis. Je pour­rais leur dire des conne­ries, ils auraient plus de mal à lâcher leur croyance en moi qu’à être critique. Les croyances qu’on a en soi forgent notre vision du monde et on a besoin de se sentir confor­table avec ces croyances. La vision du monde n’est pas basée sur la réalité, elle est basée sur les croyances de chacun. 

Mais qu’est-ce qui sépa­re­rait alors le coach du gourou ?

Pour moi c’est la dépen­dance. Un gourou te rend dépen­dant, un coach te rend autonome. 

Mais la foi en soi sur une certaine acti­vité, ça peut se trans­former en naïveté sur une autre ? On sait que Nadal est très naïf.

Oui, mais on s’en fout. Si ces croyances lui donnent une force supplé­men­taire, c’est pas plus bête que quelqu’un qui croit en sa bonne étoile. (Silence) Le problème, c’est quand on ne croit en rien. Ce qu’il faut voir, c’est si ce en quoi tu crois te fait avancer dans une direc­tion posi­tive, est source d’épanouissement pour toi et pour ceux qui t’entourent.

Tu es connu pour quelque chose d’assez unique dans le sport fran­çais, cette hyper confiance en toi. A part Jo Tsonga, est‐ce que tu en connais d’autres comme toi ?

(Sourires) Pour moi la confiance c’est une alchimie assez parti­cu­lière où les croyances y sont juste­ment pour beau­coup. Alors il y a trois types de croyances : les croyances ressources, les croyances inhi­bi­trices et les croyances neutres. Les croyances ressources c’est simple. Moi je me disais par exemple : « Le mental, il y en a qui l’ont et d’autres qui ne l’ont pas. Moi je suis né avec, c’est bon ». J’aurais pu croire l’inverse, ça aurait donné des résul­tats complè­te­ment diffé­rents. Mais je croyais à ça, et si ma croyance ne se confir­mait pas, je me disais : c’est pas grave. Par contre si elle se confir­mait, je disais à tout le monde : vous avez vu, j’ai raison ! J’avais une autre croyance de ressource c’est de penser que j’étais meilleur en course qu’à l’entraînement. Donc je pouvais faire des entraî­ne­ments pourris, c’était pas grave, j’étais meilleur en course. Si tu prends l’ensemble des courses, cette croyance‐là n’était pas véri­fiable et il y a sûre­ment des courses où j’étais moins bon qu’à l’entraînement, mais je croyais en ça. Une croyance inhi­bi­trice par contre, c’est de dire « Je suis meilleur à l’entraînement qu’en course », et là c’est la merde (rires). Ou alors de te dire « J’aime pas skier quand il fait soleil ». C’est con, hein ! mais les croyances c’est toujours con. Et puis la croyance neutre, c’est de te dire « La neige est blanche ». Or elle n’est pas toujours blanche, mais parfois jaune ou marron. Mais ça n’a pas d’impact sur le résultat. 

En paral­lèle du ski, tu as fait pas mal de tennis à Annecy, pour­quoi es‐tu devenu cham­pion olym­pique en ski et pas en tennis ?

C’est très simple. Quand j’avais des skis, mes parents me regar­daient avec l’œil qui brille et quand j’avais une raquette, ça les faisait marrer mais sans plus. 

Pourtant tes parents étaient des passionnés de tennis ?

Oui, mais au tennis j’allais pour les accom­pa­gner alors qu’au ski c’est eux qui m’accompagnaient. (Sourires) Non mais c’est énorme, le regard des parents ! En mana­ge­ment, on dit « un travail ou une acti­vité ne m’intéresse que si ça inté­resse celui qui m’intéresse ». Mes parents étant des gens qui m’intéressent, je m’intéressais à des choses qui eux les inté­res­saient et dans lequel je sentais un regard très fort de leur part. Et puis comme je suis un épicu­rien, je me désin­té­res­sais forte­ment des envi­ron­ne­ments anxio­gènes, alors je te dis pas à l’école (rires) Quand je rentrais de l’école avec mon carnet de notes et que je les voyais avec un petit nuage noir au‐dessus de la tête, ça m’aidait à faire du ski (rires).


Mais qu’est-ce que tu as retenu du tennis
 ?

Que c’est un sport diffi­cile. Tu es seul et confronté à un adver­saire, et à chaque point tu peux retourner le match. Et en même temps ce que je trouve inté­res­sant dans le tennis, c’est qu’il y a une gestion du rythme, du tempo du match qui est phéno­ménal. Je crois qu’un grand joueur de tennis, c’est un mec qui a la maîtrise du tempo du match. Il sait gérer son effort, ses hausses et ses baisses de forme pendant le match. Nadal, tu sens qu’il a une vision de ses matches. 

Tu rappe­lais après la victoire de Tsonga contre Nadal en Australie qu’on ne pouvait juger son vrai niveau qu’à l’aune d’une phrase de Sampras : « Il y a dix jours où je suis sur un nuage, dix jours où j’en mets pas une dedans, et mon vrai niveau se situe entre les deux ». Sampras a aussi dit qu’il faut gagner les matches mêmes quand on joue mal, et que pour lui, Gasquet, n’accepte pas ça. Est‐ce qu’il t’es arrivé de gagner en skiant comme une merde ?

Oui, ça m’est arrivé mais tu n’es pas très satis­fait de gagner sans avoir donné le meilleur de toi‐même, à cause de mauvaises raisons ou plutôt de bonnes mauvaises raisons (sourire). C’est toujours inté­res­sant de voir que t’as de la marge et que tu peux battre les mecs même en n’étant pas au meilleur de ta forme, mais ce n’est pas une situa­tion dans laquelle il faut s’installer.

Pour finir, quels joueurs te touchent dans le tennis actuel ?

Je trouve que ce que font les Français, c’est super. Il y a une vraie équipe, une vraie école, un phéno­mène de groupe. Pour l’instant on a plus de succès indi­vi­duels que par équipe, on l’a vu avec la Coupe Davis, mais ce n’est pas parce qu’ils ont été un peu moins bons un jour qu’ils seront mauvais tous les jours. On a tendance à enterrer les gens à la première contre‐performance. Ce qui me dérange là‐dedans c’est qu’on oublie que la défaite c’est l’étape néces­saire vers la victoire plus tard. J’avais un entraî­neur qui disait très juste­ment « Il y a toujours une victoire dans la défaite et une défaite dans la victoire ». Le truc, c’est que la défaite comme la victoire, ce n’est qu’une vue de l’esprit. Tu peux perdre des matches en étant très satis­fait de ce que tu as fait. Ce qui est impor­tant c’est l’expérience et qu’est-ce que tu fais de cette expé­rience. Parce qu’un mec comme Nadal, c’est un mec qui évolue dans le temps, qui se construit, qui mûrit à travers les expé­riences, ses hauts mais aussi ses bas. J’aime beau­coup les gens qui ont une démarche construc­tive sachant que les situa­tions ne se répètent jamais. Elles auront encore évolué parce que tu es diffé­rent, tu es riche des échecs d’hier et conscient des choses à mettre en place. Tu n’es peut‐être pas dans la bonne voie, mais tu avances. Et la bonne voie, à un moment tu la trouveras.