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Gilles Moretton : « Le tennis fran­çais a des problèmes de riche »

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Ancien grand cham­pion fran­çais, joueur de coupe davis, orga­ni­sa­teur du Grand Prix de Tennis de Lyon, Gilles Moretton est consi­déré par ses pairs comme l’homme de fer mais l’homme libre du tennis fran­çais. Logique que GrandChelem le choi­sisse comme grand témoin de notre dossier France qui gagne.


Quel est l’état du tennis fran­çais à la fin
de l’année 2008 ?

Je crois qu’on est un pays riche, même
très riche sur le plan du tennis. D’abord
grâce à notre fédé­ra­tion qui est bien
struc­turée, avec des clubs, des réseaux.
C’est vrai­ment le concept de la pyramide.
Quand je dis riche, c’est même plus
que riche. On est déjà riche naturellement,
et en plus il y a des gens comme
Lagardère qui viennent apporter encore
plus de richesses. C’est mon constat. Moi
je suis neutre, je peux parler de tout, je
ne suis « maqué » avec personne. Je ne
vois personne d’autre qui puisse parler
aussi libre­ment que moi. Quand je dis
qu’on est riche, c’est qu’on a la chance
d’avoir une fédé­ra­tion, avec de très
nombreux clubs, des ligues, et tout ce
réseau, et qui a, il faut le souli­gner, une
loco­mo­tive énorme qui est Roland‐Garros.
Alors, ça n’est pas parfait bien sûr,
mais ça fonc­tionne. Et là‐dessus, on a la
chance d’avoir des anciens « connards
 » de joueurs de tennis professionnels,
qui se recon­ver­tissent et qui font des
grands tour­nois. Jean‐François Caujolle
et moi‐même faisons du bon boulot
loca­le­ment. Marseille, ne reven­dique que
Marseille. Moi, je ne reven­dique que le
Rhône‐Alpes. Rien de plus. Et derrière,
on la chance d’avoir un Monsieur Arnaud
Lagardère, qui est un passionné de
tennis, qui vient rajouter une couche supplémentaire.
Aujourd’hui, on est vraiment
gâtés et on a les résul­tats en plus. Peut être
la seule chose ce serait d’avoir mec
dans les trois premiers mondiaux. C’est
tout ce qui nous manque. Cette richesse,
cette densité des tour­nois. On a presque
trop de tour­nois. Ici, j’aurais pu postuler
pour avoir un 500 (NDLR : les 10 tournois
pres­ti­gieux qui accor­de­ront 500 points
au gagnant), mais c’est trop. La France a
telle­ment de tour­nois, un Grand Chelem,
deux Masters Series avec Bercy et Monte‐
Carlo, et trois International Series. Ils
ne peuvent pas nous donner plus. C’est
impos­sible. On est trop riche quoi.


La France aborde‐t‐elle le succès de la
bonne manière ? Simon, rentre dans les
10 et tout le monde lui tombe dessus.

C’est vrai qu’on a une telle densité, qu’on
est blasés. Gilles arrive tard, avec un parcours
initial moins brillant que les autres,
il n’a pas brillé en Grand Chelem, là où
est la lumière dans le tennis. A l’arrivée,
il a un peu de moins de lumière, mais ce
sont les circons­tances qui font ça.

Oui, mais Tsonga a quand même fait une
finale à l’Open d’Australie…

Oui, et la finale de l’AO est quelque
chose de fort. Le plus beau palmarès de
nos joueurs, c’est quand même Pioline,
ne l’oublions pas, même s’il n’était pas
très média­tique. Je ne pense pas que
ce soit un pessi­misme ambiant, c’est
circonstanciel.


Quelle est l’image de la France auprès
des étrangers ?

D’abord, je pense que le Board européen
ne sert stric­te­ment à rien, c’est la raison
pour laquelle j’ai un peu décroché. On
peut émettre des avis, mais il n’a aucun
pouvoir. J’ai travaillé à l’intérieur pendant
très long­temps, je ne me souviens plus
combien de mandats j’ai faits, mais j’y
suis resté pendant 16 ans. On a émis
des avis, mais on ne nous écoute pas,
et moi si on ne m’écoute pas, j’ai autre
chose à faire que de parler. Maintenant
plutôt que de faire des dépla­ce­ments, je
décroche mon télé­phone pour savoir ce
qui s’est dit. Les déci­sions sont prises au
dessus…

Cela veut dire qu’il y a une emprise du
monde améri­cain sur tout ça ?

Je ne sais pas si c’est ça, mais il y a
un manque de consi­dé­ra­tion pour les
plus petits tour­nois. Le fonctionnement
de l’ATP aujourd’hui est anormal. On
ne peut pas avoir une struc­ture qui
est dirigée à la fois par les employés
et les employeurs. C’est impossible.
Aujourd’hui les joueurs sont les employeurs
du système, et à la fois les
employés. Alors, comment voulez vous
que les employeurs tapent sur la gueule
des employés ? Quand ça ne va pas,
quand ils jouent mal ou foutent le bordel
sur un tournoi…

Ca se passe ça ?

Oui, effec­ti­ve­ment ça se passe, et là,
personne ne leur dit rien, puisque
l’employeur-joueur ne peut pas taper
sur l’employé-joueur. L’ATP aujourd’hui
n’a pas le bon fonc­tion­ne­ment. Il devrait
y avoir une réflexion sur ce mode de
fonc­tion­ne­ment. Je pense qu’il devrait y
avoir une auto­rité, et que le patron soit
celui qui paye.

Les années 80 sont celles de l’âge d’or.
McEnroe est venu à Lyon, Sampras
aussi. As‐tu l’impression qu’il y a une
redy­na­mi­sa­tion et un nouvel âge d’or
avec !

En 22 ans, je n’ai pas senti de changements.
Ce que j’ai senti, pour ma petite
partie à Lyon, c’est un réel enthousiasme
autour du tennis. Je ne suis plus
aujourd’hui à 100% dans le tennis, je l’ai
été à un moment donné. Maintenant
quand je viens ici et je vois la joie, l’enthousiasme
des gens pour venir voir du
tennis, des Ouanna, Simon et Tsonga, ça
me ravit. C’est ce qui fait la spéci­fi­cité du
tournoi de Lyon d’ailleurs, par rapport à
un tournoi comme Bercy où le public n’y
connaît stric­te­ment rien, on va le chercher
n’importe où. Ici, il y a un public de
connais­seurs, qui respectent les joueurs
et c’est le plus impor­tant. Pour moi, il n’y
a donc pas de chan­ge­ments, les noms
changent, mais la passion reste la même.

Est‐ce qu’aujourd’hui la dynamique
fran­çaise fait des envieux ? En Espagne,
en Angleterre, ou ailleurs ?

Non, parce que je pense qu’il y a des
pays comme l’Espagne où il y a une
véri­table folie, euphorie autour de tennis.
Les Bruguera et compa­gnie ont fait des
émules. Et puis on le voit, avec le tournoi
de Valence. Quand on voit ce qu’à fait
la ville de Valence, avec ce circuit de
Formule 1 intra‐muros, et ce stade de
tennis. La preuve, c’est qu’ils arrivent
de nulle part, ils postulent pour un ATP
500 et ils l’ont. L’Angleterre avec Murray
va aussi redé­cou­vrir le tennis, bien que
là‐bas ce soit plus diffi­cile parce que les
struc­tures de base du tennis sont absentes,
au niveau fédéral. En France on a
la chance d’avoir ces struc­tures de base
que d’autres n’ont pas. L’Allemagne ne
les a pas, ils ont eu des grands champions
comme Becker ou Graf mais n’ont
pas ces outils. Le tennis italien est aussi
malade de ça, c’est à dire que le tennis
est un sport de riches et a donc une base
restreinte. Nous avons en France une
base très élargie, par le biais de ce qu’à
fait Philippe Chatrier. On a critiqué ses
mesures parce qu’elles ont fait souffrir
les clubs, mais elles ont eu le mérite de
démo­cra­tiser le tennis. Et puis Yannick
Noah, avec ses « Fête le mur » donne la
chance à tous de jouer au tennis. C’est
ce qui fait la richesse de notre pays par
rapport à d’autres.

Tu aime­rais être joueur sur le circuit ?

Non

Pourquoi ?

Parce que j’en ai eu assez de cette vie de
joueur, j’ai assez donné.
Mais si tu avais 20 ans de moins ?
Ah, si j’avais 20 ans de moins. J’ai fait
des erreurs dans ma carrière. Si j’étais
de nouveau joueur, je me serais expatrié
très tôt, parce que la vie est trop facile en
France, surtout à mon époque. Je veux
dire, on était joueur de tennis, on avait
un contrat, une belle voiture, la copine.
On ne s’expatriait pas faci­le­ment. Je
voyais les Australiens de ma génération,
les McNamee, McNamara, Pat Cash et
compa­gnie, s’expatriaient huit mois dans
l’année. Mais si je devais refaire ma vie
de joueur de tennis, je ferais mon sac
et je parti­rais à l’autre bout du monde.
Parce que c’est dans la diffi­culté qu’on
apprend, quand on est à l’autre bout du
monde, tout seul, qu’on a perdu et qu’on
doit attendre le prochain tournoi.

Une dernière petite ques­tion, assez
person­nelle. Quand on dit « On va voir
Moretton », on nous répond « faites
atten­tion, il est dur ».

Je vous retourne la ques­tion. Moi, j’ai le
grand avan­tage d’être arrivé à 50 ans,
d’avoir vécu des périodes. Je sais que
cette image d’homme dur vient de ceux
qui ne me connaissent pas, mais je pense
que je suis (il réflé­chit) je ne vais pas dire
« intègre », parce que ça voudrait dire
que les autres ne le sont pas, mais je suis
authen­tique. Je dis ce que je pense. Et
comme je l’ai dit au début de l’interview,
je n’ai d’intérêts nulle part, donc je m’exprime
librement.