Il va jouer son dernier Roland Garros cette année, le tournoi de la porte d’Auteuil sera d’ailleurs la dernière sortie de sa tournée d’adieux. Gustavo Kuerten, trois fois vainqueur du French Open, ex‐numéro un mondial méritait de nous accompagner pour le lancement de welovetennis.fr.
Guga, est‐ce que c’est pas trop dur pour toi de jouer chaque tournoi en étant obligé de dire au revoir à tout le monde et d’avoir à enchaîner comme ça les adieux jusqu’à Roland Garros ?
Non, je trouve que c’est un plaisir car non seulement je joue le tournoi, mais j’ai le bonheur de me souvenir de tout ce qui m’est arrivé par le passé. Et puis je vais m’arrêter. Pour moi, c’est une partie agréable de ma vie qui va commencer. Maintenant je t’avoue que je suis également content que ça s’arrête avec Roland Garros car je sens que mon corps est vraiment fatigué de jouer depuis tant d’années, surtout dans ces conditions.
Lors de ton premier discours d’adieu à l’Open du Bresil, tu as expliqué que les grands moments étaient bien sûr importants pour toi, mais que ceux où tu as souffert étaient peut‐être encore plus importants. Peux‐tu nous expliquer ça ?
J’ai toujours pensé que plus le challenge à relever était grand, plus on apprenait. Moi, j’ai pu relever tous les défis auxquels j’ai été confronté dans le tennis. Malheureusement, j’ai eu cette blessure qui m’a vraiment diminué, comparé à ce que j’étais avant. J’ai donc dû apprendre au fil des années à vivre avec ça. La vie donne constamment des leçons. On apprend toujours quelque chose. Je trouve que j’ai beaucoup appris ces dernières années et je suis très reconnaissant d’avoir pu me maintenir en condition de jouer tout en restant heureux même si je n’ai pas le niveau que j’aurais voulu. Je pense que c’est une belle expérience qui va beaucoup m’aider pour l’avenir.
Pour revenir sur Roland Garros, à part gagner trois fois le titre, quels sont tes meilleurs souvenirs à Paris ?
J’en ai beaucoup. Dès la première fois que je suis arrivé, j’étais tout excité. J’avais quinze ans quand j’ai débarqué et on a réussi à rentrer, on avait même des billets. J’ai vu Lendl jouer contre Oncins, le joueur brésilien. C’est un très bon souvenir, car dès qu’on a commencé à regarder le match, Oncins a retourné le match et finalement il a gagné au cinquième set le lendemain. L’ambiance là‐bas a toujours été très spéciale pour moi. Dès le début, mon rêve a commencé à prendre réalité. Je me suis senti très vite à portée de ce que je voulais réaliser. Il y a bien sûr eu trois années inoubliables pour moi, mais chaque moment que j’ai passé là‐bas, même les années où je n’ai pas joué mon meilleur tennis, a été important pour moi, car c’est le tournoi qui me motive pour me surpasser le reste de l’année.
As‐tu au moins un mauvais souvenir à Roland Garros ? Quelque chose qui s’est mal passé ?
Oui, j’ai été jeté du court une fois, la seule fois de ma vie, en double. Je crois que c’était en 1998 (Rires). Mais je pense que même cela a été important pour moi, car j’ai pu en tirer des leçons. Même si ce n’est pas un bon souvenir, l’expérience m’a permis d’apprendre à mieux me contrôler plus tard.
C’était quoi le problème ? Tu as eu un avertissement ?
Nous avons eu une discussion sur une balle de break. Je jouais avec Meligeni. Rafter jouait avec Bjorkman. Nous étions en quart de finale. Il y a eu une grosse discussion entre Meligeni et l’arbitre. Ils discutaient et discutaient, etpuis finalement nous avons perdu ce break et j’ai jeté ma raquette. Mais je l’ai lancé trop loin, près de la grille. J’avais visé ma chaise, mais la raquette a rebondi et a failli toucher l’arbitre (Rires)… A la fin, il est venu pour discuter, mais j’en avais marre, j’ai dit non, non, non, je dois partir. Ils m’ont expulsé du match. J’ai perdu mes points et tout…J’ai eu un peu de malchance, mais c’était une bonne leçon.
Pour moi, à part Nadal, tu as été le dernier à battre le meilleur Federer en Grand Chelem (en 2004 à Roland Garros). Comment as‐tu fait et derrière ça, que penses‐tu de la confrontation entre Federer et Nadal depuis trois ans ?
C’était très dur de battre Federer, surtout ces dernières années. Cette année, lui et Nadal perdent un peu plus souvent. Ca redevient un peu plus normal. Mais il est dur à jouer. Bon il n’y a pas de recette. Il faut simplement y aller. Si tu joues contre lui quatre ou cinq fois, tu auras ta chance au moins une ou deux fois. Mais ces trois dernières années, ils ont beaucoup dominé, surtout Federer. C’était un peu exceptionnel. Cette année, les choses sont redevenues plus normales. C’est aussi un peu plus intéressant question jeu.
Mais comment as‐tu réussi à battre Federer en trois sets secs ?
J’ai simplement essayé d’être compétitif. Je pense que j’ai bien joué. Dès le premier set, j’ai contrôlé le match et j’ai mené au score. Ca m’a permis de le mettre dans une position inconfortable. C’était pourtant dur pour moi car j’avais déjà des problèmes avec ma jambe, mais je savais que j’avais ma chance si je pouvais terminer en 3, 4 sets au maximum. Je croyais en mon jeu et en ma tactique qui marchait bien. J’ai réussi à sortir un match solide du début à la fin. C’est probablement mon dernier grand match dans un gros évènement.
On a discuté de toi avec Richard Evans autour l’aspect très dangereux de certaines surfaces. Est‐ce que tu ne penses pas qu’il est de plus en plus éprouvant pour l’organisme de passer de la terre, au ciment, puis à l’herbe et aux surfaces synthétiques. Il y a de plus en plus de blessures, et toi‐même tu avez été numéro un et contraint d’interrompre ta carrière à cause de cela.
(Il prend une grande respiration) Faire du sport à temps plein pousse le corps au bout de ses limites. Ce n’est pas aussi sain que de faire du sport deux fois par semaine, juste pour se maintenir en forme. Au contraire ton corps force tout le temps. Mais ne jouer que sur une seule surface ou uniquement sur terre battue, ne changerait probablement rien au problème. Chacun doit juste faire attention et se préparer pour pouvoir jouer sur des surfaces différentes. En fin de compte c’est à chacun de prendre ses responsabilités. Tu peux jouer 12, 15, 20 tournois, mais personne n’est vraiment obligé de jouer autant. Mais le circuit est dur, il est très physique et les joueurs doivent travailler beaucoup pour se préparer. Le sport à plein temps arrive à un niveau où les joueurs risquent davantage de se blesser.
Tu es triste ou au contraire content d’être à la fin de ta carrière ?
Je suis très content (sourire).
Mais est‐ce que tu ne penses pas qu’il aurait été mieux de ne pas jouer ces derniers tournois où tu risques de perdre sèchement et de ternir ton image ?
Non, ton image vient de ce que tu dégages sur le court, de ce que tu ressens vis à vis du tennis. Ce n’est pas la victoire ou la défaite qui comptent. Il y a des joueurs qui ont gagné des Grands Chelems et dont personne ne parle plus, ni ne se souvient. D’autres ont peut‐être perdu 20 matches d’affilée mais montrent tant de passion pour ce jeu que tout le monde s’en souvient. Je pense que c’est une décision personnelle. Tu dois te sentir heureux, en accord avec toi‐même, sûr de toi. Moi, je sais que je suis très fatigué. Pendant les trois ou quatre dernières années, je me suis battu tout le temps et je sais que j’ai fait de mon mieux. J’ai vraiment essayé de trouver le moyen d’être à nouveau compétitif. Maintenant, je sais que je ne pourrai jamais revenir au niveau que je souhaiterais. Donc pour moi, c’est une chance de pouvoir jouer encore une fois, de ressentir encore toutes ces sensations, d’être avec le public qui vient me voir une dernière fois. Pas seulement le match, ils viennent aussi voir mes entraînements, ils sont proches de moi. C’est aussi leur façon de respecter le jeu. Je trouve que ce ne serait pas amusant si je m’en allais en faisant ma valise, en rentrant à la maison, sans que personne ne sache si je continue à jouer ou pas. Les choses ont toujours été claires dans ma tête. Je vais faire en sorte que ce soit vraiment la fin. Je vais avoir du temps pour moi, pour les autres, je vais tout faire pour que ce soit bien pour moi. Pour le reste, il ne s’agit que de prendre du plaisir et d’avoir la certitude d’avoir choisi la bonne décision. On ne prend pas toujours la bonne, mais au moins il faut prendre le temps de bien réfléchir pour essayer de ne pas se tromper. Jusqu’à présent, je suis enthousiaste. L’important pour moi, ce qui sera très précieux, c’est de me dire lorsque j’aurai arrêté, j’aurais fait ce que j’ai voulu.
Publié le jeudi 15 mai 2008 à 14:50