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Guy Forget : « 0n apprend à nos joueurs à être complet »

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Première pépite d’une longue série d’in­ter­views qui va s’abattre sur vos écrans pendant les deux semaines qui nous séparent de la sortie du GrandChelem numéro 6, notre rencontre annuelle avec le capi­taine de l’équipe de France, Guy Forget. C’était il y a un mois et demi lors du Trophée Lagardère au Racing Club de France. L’occasion de parler de Federer, de Nadal, de Gasquet aussi et d’en finir avec le mythe des gauchers. Parce que ça commence à bien faire… 

Est‐ce que c’est toujours un avan­tage d’être gaucher aujourd’hui ? 

Je pense que ça peut l’être, pas de manière flagrante non plus. Ce n’est pas un avan­tage énorme, mais quand même. Sur les balles de break, sur les services exté­rieurs, dans les moments impor­tants, je pense que ça peut aider. Jouer un gaucher, ça oblige un joueur à changer ses repères. Et comme il y en a très peu, lors­qu’un droi­tier joue un gaucher, il faut qu’il fasse des efforts, notam­ment au niveau de la géomé­trie du terrain, qu’il inverse tout. Donc quand on est gaucher, on peut avoir un petit avan­tage, ça peut désta­bi­liser son adver­saire au début. Maintenant, Sampras, Federer, Agassi, montrent qu’ils y arrivent très bien de la main droite, et ne sont pas perturbés d’af­fronter des gauchers. 

Est‐ce que tu penses que c’est impor­tant, à l’image de Federer, de s’en­traîner avec un gaucher ? 

Il le fait tout simple­ment pour s’ha­bi­tuer à avoir des balles qui viennent, je dirai de la diago­nale du coup droit d’un gaucher sur son revers avec une balle qui est sortante. Alors que face à un droi­tier, il ne reçoit pas ces effets très rebon­dis­sants et ces angles. C’est surtout pour s’ha­bi­tuer à rece­voir une trajec­toire très particulière. 

Pourquoi les gauchers ont un super coup droit ? 

Franchement, je ne sais pas. Il doit y avoir des gauchers qui ont un coup droit moyen et des droi­tiers qui ont eu des coups droits extra­or­di­naires. Je pense notam­ment à Gonzalez, à Sébastien Grosjean, Lendl, Pete Sampras, Roger Federer. Il y a des coups droits qui sont phéno­mé­naux. McEnroe par exemple n’avait pas non plus un coup droit extra­or­di­naire, c’était un ensemble de chose. Le gaucher ce qu’il a, c’est qu’il travaille un peu plus la balle, sur les coups coupés. 

On a toujours l’im­pres­sion que les gauchers ont une prépa­ra­tion bien parti­cu­lière de leur coup droit ? 

Ce qui est drôle, c’est que ça m’est déjà arrivé de regarder un joueur à la télé­vi­sion dans un miroir. Faites l’ex­pé­rience avec Roger Federer, regarder le dans un miroir, comme s’il était gaucher, c’est très rigolo, on ne le recon­naît pas. Le fait de jouer de la main gauche, sur le même geste tech­nique, on dirait vrai­ment que c’est un autre joueur. Je pense aussi qu’on est moins habitué à voir des gauchers. On n’a pas la même percep­tion car ils sont plus rares. 

Petit bilan de l’année. Quel est le moment impor­tant de l’année de tennis, chez les Français ? 

Chez les hommes, peut être la demi‐finale de Richard Gasquet à Wimbledon. Je crois que c’était un beau parcours pour lui, surtout après l’échec à Roland Garros. De rebondir de cette manière en battant un gars comme Andy Roddick en étant mené deux sets zéro. Chez les hommes, on va dire que c’est le résultat marquant. 

Du côté des Françaises ? 

Le fait marquant chez les filles, je dirai pareil : la finale de Bartoli à Wimbledon. Personne ne s’y atten­dait. Dans l’en­semble, il y a eu de très bons résul­tats sur gazon du clan français. 

Comment on l’ex­plique ça ? 

Je crois qu’on a un système et une forma­tion où l’on apprend à nos joueurs à être complet. A jouer tous les coups, prendre la balle tôt, à jouer la volée, peut‐être des fois au détri­ment de la régu­la­rité, du jeu de jambes que les Espagnols et les Argentins ont beau­coup mieux que nous. C’est un constat qui est logique et que l’on va devoir modi­fier si on veut obtenir de très bons résul­tats sur terre. 

Les Espagnols s’en­trainent toute l’année sur terre, même pour préparer la tournée sur ciment. Quand tu poses la ques­tion aux joueurs fran­çais, ils disent que c’est un problème météo­ro­lo­gique, que les terrains en terre battue sous bulle, sont beau­coup plus lents. Ils rajoutent que c’est un problème d’équi­pe­ment et que de toute façon, 80% des tour­nois de la saison sont sur surface rapide. 

Même s’il y a des terrains sous bulle, ce n’est pas non plus du ciment, on pour­rait jouer sur terre. On n’y joue pas. Les joueurs ne le font pas. Moi le premier, l’hiver, je ne faisais pas une prépa­ra­tion sur terre battue. Effectivement, on peut le faire, à Nice, au Cap d’Agde ou à Biarritz, on peut jouer toute l’année dehors. Même s’il fait 12 degré on peut jouer. C’est simple­ment que ce n’est pas dans notre culture, et à un moment donné il faudrait réflé­chir pour modi­fier tout ça. Notamment faire la tournée en Amérique du Sud après l’Open d’Australie pour commencer à trouver des auto­ma­tismes sur terre. Il y a des joueurs qui le font. Je pense à Olivier Patience, et curieu­se­ment c’est l’un de ceux qui a vrai­ment bien joué à Roland Garros. 

En France, il y a beau­coup de joueurs qui sortent chez les jeunes mais qu’est ce qui se passe après pour les emmener vers le très haut niveau ? 

On ne peut pas parler de l’en­semble du tennis fran­çais. Le tennis est un sport indi­vi­duel, ce n’est pas l’équipe de France de rugby ou de foot. Chaque joueur à son entraî­neur, se prépare diffé­rem­ment. On ne peut pas comparer. A l’US Open, je pense que certains n’ont pas été à leur niveau. Je pense que c’est l’étape qui nous reste à fran­chir. On a vrai­ment beau­coup de joueur dans le rop 100, c’est une très bonne chance, mais il ne faut pas se contenter de ça. Il faut se demander comment on peut rentrer dans les 50 voir les 20. Et à mon avis, il y en a pas mal qui peuvent y arriver. 

Comment ?

En travaillant. Quand on perd c’est qu’on n’est pas assez bon. Quand on n’est pas assez bon, on travaille. Je ne connais pas d’autres moyens. Et quand on n’y arrive pas, on doit travailler encore plus. De manière intel­li­gente évidem­ment mais les entraî­neurs sont là pour ça. Mais quand ça ne marche pas, c’est qu’on n’est pas assez bon. Moi, je n’ai pas de solu­tions miracles, ça passe juste pas le travail. 

Patrice Hagealauer et Yannick, nous ont raconté la discus­sion qu’ils on eu avec toi. En te disant que tu avais le talent, qu’il fallait juste que tu t’en persuades. C’est un moment impor­tant ? Est‐ce que cette discus­sion là, on a toujours besoin de l’avoir au moins une fois dans sa vie ? 

Oui je m’en rappelle bien. C’était en Australie suite à une lourde défaite. Cette discus­sion m’a fait réflé­chir de manière encore plus profonde, sur mon impli­ca­tion et ce que je voulais vrai­ment. Quelque part, ça m’a fait tomber les peurs et les craintes que j’avais pour atteindre le très haut niveau. Je pense que le rôle de l’en­traî­neur c’est de faire tomber ces barrières à travers des discus­sions dans les moments impor­tants. Quand on a une défaite impor­tante, on se déva­lo­rise telle­ment qu’à ce moment là on est perméable. On a des remises en ques­tion fortes 

Est‐ce qu’à ce moment là, on comprend qu’on doit surpasser ses peurs successives ? 

Bien sur. Mais je crois qu’il y a un timing. Je pense que cette discus­sion un an plus tôt, je n’aurai pas été prêt à l’en­tendre. Je ne l’aurai pas intégré de la même manière. Ca doit être le bon discours au bon moment, et on doit être prêt à l’en­tendre, pour avoir l’effet escompté. 

Est‐ce que là est la diffi­culté pour Richard et Gael ? Tout le monde veut les aider, mais le plus dur est de trouver le bon moment. 

Tout le monde veut les aider. Moi le premier. J’ai dit des choses à Richard qu’il n’était peut être pas prêt à entendre. C’est dur de trouver le bon moment, mais il faut essayer. Les joueurs doivent comprendre qu’ils sont entourés. Nous aussi on peut faire des erreurs, ne pas avoir le bon timing, qu’on peut se tromper. Mais on a avant tout la volonté de les faire fran­chir des étapes. Il y en a qui arrive. Je ne pense pas que Djokovic se mette tout d’un coup à très très bien jouer, mais il y a un processus qui s’est mis en place. Pour Richard je pense que ça va prendre plus de temps. Il faut le laisser évoluer à sa vitesse, sans pour autant lui faire de cadeau, le brosser dans le sens du poil. On ne peut pas aujourd’hui demander à Richard de penser, de raisonner comme Nadal ou Djokovic qui eux ont déjà intégré un certain nombre de choses. 

Pour parler d’eux, quelle est cette année le grand moment du tennis mondial ? 

Je crois la montée en puis­sance de Djokovic. Moi depuis quelques mois, je suis admi­ratif de cette suite logique. On sent que les progrès sont réalisés de manière très régu­lière. Il est plus serein, il arrive à rigoler. On sent que ce gars, s’il gagne l’Open d’Australie en janvier prochain, tout a été fait en amont pour que ça se produise. Ce ne serait pas un acci­dent. Moi, je vois Novak gagner un tournoi du Grand Chelem dans l’année qui vient. Quand on gagne deux Masters dans l’année, qu’on fait demi à Roland, finale à l’US Open et qu’on peut se retrouver à un point près. On sent qu’il peut gagner. Ca se voit dans son atti­tude. Dans son jeu, il n’a plus de baisse de régime, de coup de pompe comme il en avait avant. Je me rappelle des matches où il bais­sait les bras, il avait des crampes, il n’ar­ri­vait pas à enchaîner. On sent dans tout les secteurs qu’il a évolué. En plus de ça, il arrive avec un certain déta­che­ment, il est charis­ma­tique. Le gars il est fort, et en plus il arrive à rigoler dans les moments impor­tants. Il sait vrai­ment où il veut aller, et il a une grande confiance en lui pour faire ce genre de choses. 

Les progrès de Nadal ? L’année dernière tu nous avais dit que tu savais toujours ce qu’il allait faire avant chaque coup, est‐ce toujours le cas ? 

On sent dans son jeu qu’il est plus agressif, qu’il essaie de faire plus mal sur sa première balle de service. Il a une telle vitesse de dépla­ce­ment, une telle envie, qu’il arrive encore à gagner plein de matches alors que parfois il est vrai­ment mal embarqué. Mais j’ai l’im­pres­sion que petit à petit Djokovic ou des garçons comme ça se rapprochent de lui, obli­geant Rafa à jouer plus offensif. Mats Wilander a fort juste­ment déclaré que le jeu de terre battue de Nadal risquait de baisser. Je le pense aussi. 

Est‐ce qu’on peut être inquiet de la condi­tion physique du personnage ? 

Il a eu deux bles­sures aux genoux, les deux touchés. C’est très trau­ma­ti­sant la manière dont il joue avec ses grandes glis­sades, notam­ment sur ciment. Il met à rude épreuve ses arti­cu­la­tions. Il va se reposer, récu­pérer, mais c’est des signes. Il ne faudrait pas que ce genre de bles­sures se répètent. Il est encore très jeune. 

On a l’im­pres­sion quand tu commentes la finale de Roland, que tu prends ton pied avec Roger et que Rafa t’ennuie ? 

Non, je suis admi­ratif de ce que fait Nadal, il fait beau­coup de bien pour le tennis. Parce que c’est un rouleau compres­seur, que son jeu est carré. Un peu comme jouaient les Allemands au foot. On savait ce qui allait se passer, ils avaient un jeu propre, effi­cace mais pas très spec­ta­cu­laire. Et en face on voyait les Brésiliens avec les petits ponts, les jongles, leur tech­nique. Moi les Brésiliens me faisaient plus rêver que les Allemands. Quand je vois Federer je suis comme tout le monde, j’ai envie de voir comment il va s’y prendre pour casser cet espère de rouleau compres­seur, pour trouver une faille dans la méca­nique hyper bien huilée de Nadal. 

Nadal réalise aussi des coups très spec­ta­cu­laires. On pense notam­ment à son coup de squash à Wimbledon ou son passing le cul par terre en finale … 

On ne peut pas être à son niveau si on n’a pas de talent. Il a beau­coup de talent, il est numéro 2 mondial, il fait des coups incroyables. Mais, pour moi Federer c’est Zidane, c’est Ronaldinho ! Federer il est aujourd’hui numéro 1 mondial depuis des années, et il va encore le rester un bon moment surtout grâce à sa tech­nique hors norme. C’est le plus fort. C’est un phénomène. 

Quel est ton regard sur la finale de Roland. Côté Roger, est‐ce mieux que l’année dernière ? 

Non, j’ai l’im­pres­sion qu’il est convaincu de gagner en jouant de cette manière, en jouant du fond de court. Cela n’en­gage que moi, mais j’ai­merai un moment le voir faire autre chose 

Dès le début du match 

Oui, dès le début de match. D’ailleurs quand il fait 5 sets à Wimbledon, pour moi c’est essen­tiel­le­ment dû à ses choix tactiques. Il le bat quand même sur gazon car il est nette­ment au‐dessus, mais en jouant comme il le fait, il se met en danger. Contre Nadal, je trouve qu’il y aurait d’autres façons de procéder. Quand je vois Mahut contre Nadal, il se dit : « De toute façon je ne peux pas gagner des points du fond, ce n’est pas possible. Je vais prendre des risques sur toutes les balles, je vais monter en chop dès que je peux. Je veux qu’il tire des passings tout le temps, je refuse plus de trois échanges. » Et sur gazon ça a marché. Je pense que Federer dans ce style d’at­taques peut faire mieux que Nicolas Mahut. Il a plus de maîtrise mentale, il se déplace mieux sur le terrain, il volleye au moins aussi bien, il sert pareil et c’est quand même Roger Federer ! 

Lui après l’US Open, il dit que le jeu se ralentit, qu’il est une cible au filet, donc il crée un style de jeu où il est le meilleur. D’ailleurs, certaines de ses rares volées sont limites. 

Ce qui est sûr, c’est que moins il monte au filet, moins il va volleyer bien. Pourquoi Edberg était fort à la volée ? Parce qu’il montait souvent. Alors quand tu n’y vas jamais et puis tout à coup tu montes, t’as plus de chances de te planter. L’objectif du jeu de volée, c’est de dire à ton adver­saire, je refuse ton jeu. D’accord tu vas me sortir 5, 10, 20 passings, mais à un moment donné tu vas en avoir telle­ment marre de me voir foncer au filet que tu vas dégou­piller, et moi je vais te harceler. Et Nadal perd contre ce type de joueur. J’ai vu Connors à l’US Open, il m’a dit qu’il ne compre­nait pas pour­quoi Federer ne jouait pas plus vers l’avant. Nadal lui impose son jeu et Roger subit. Quand tu voyais Lendl‐McEnroe, Edberg‐Becker, Sampras‐Agassi, tu sentais qu’il y avait une oppo­si­tion de style. Là, Federer et Nadal, ils jouent pareil. 

Federer va‐t‐il battre tous les records ? 

Oui je le pense. 

Et il ne lui manquera rien, dans l’ex­pres­sion d’un tennis plus exci­tant ou dans le fait qu’il n’y ait que trois volées en finale de l’US Open… 

Oui mais quelque part on s’en fout. Dans 10 ans on aura oublié tout ça. Lui, il est là pour battre des records. On aime­rait qu’il est son style de jeu à lui, avec la person­na­lité de Becker ou d’Agassi, les plon­geons de Noah et les décla­ra­tions de McEnroe en confé­rence de presse, mais c’est déjà telle­ment phéno­ménal ce qu’il réalise, que parfois ça me gène même de dire qu’il devrait joueur plus offensif contre Nadal. Pour autant, quand Nadal sert son premier jeu contre Federer en finale de Roland Garros et qu’il voit l’autre rester au fond, c’est sûr que le mec il se frotte les mains.