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Hommage > Thomas Muster : « Oui, j’ai peur pour Nadal »

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Retour sur cette inter­view de Thomas Muster, en 2008… L’occasion de se replonger dans une grande année de tennis ! Tschüss, l’ami Thomas !

Ah l’Autriche, la Vienne du début du siècle, Freud, 5 leçons sur la psycha­na­lyse, Musil, L’homme sans qualité, Schnitzler, Traumnovelle, et puis… et puis quoi après ? Plus rien. Plus rien d’autre que quelques skieurs hop‐hop‐hop et un joueur de tennis rhaaa‐hurkkk‐grrrrrr : Thomas Muster. Le genre que vous n’aimez pas croiser sur un terrain en terre : mal luné, mal rasé, avec des paluches de bucheron à débiter dix pieds de sapins avec une seule main, la gauche. Tiens, c’est juste­ment par ça qu’on a commencé pour faire le bilan de l’année 2008 avec l’an­cien vain­queur de Roland Garros.

Thomas, pendant ta carrière tu étais gaucher. Quel est l’avan­tage d’être gaucher en tennis ? 

D’abord je suis toujours gaucher, encore aujourd’hui (Rires) Fondamentalement je crois que l’avan­tage ça reste de servir à gauche sur les points impor­tants pour s’ou­vrir le court. A mon époque, tout le monde n’avait pas un super revers donc c’était un avan­tage. Mais aujourd’hui il n’y a plus de revers très faible, tout le monde a deux bons coups. Selon moi il n’y a plus un très grand avan­tage à être gaucher. 

Mais est‐ce que tu dis la même chose quand tu vois le problème de Federer en revers sur les coups droits liftés de Nadal ? 

(Hésitant) Mais à la limite Nadal a le même problème en revers sur le coup droit croisé de Federer. Théoriquement à ce niveau‐là, on est censé avoir un jeu suffi­sam­ment costaud pour pouvoir contourner ses faiblesses. Moi j’ado­rais tourner autour de mon revers pour jouer mon coup droit et pour cacher ma faiblesse. Mais il est vrai que Nadal comme Marcelo Rios a une capa­cité à trouver de très bons angles en coup droit. Son coup droit est son coup fort, il pilote tout l’échange avec et il a la capa­cité d’aller cher­cher très loin sur le revers de Federer. Et dans ce cas c’est effec­ti­ve­ment un vrai avan­tage. Si le revers de Federer est une faiblesse – ce sur quoi on peut discuter – c’est à lui de compenser par son jeu de jambes. 

Est‐ce qu’il y a une esthé­tique du coup droit de gaucher ? Rios, Nadal, et toi avez une façon très parti­cu­lière de faire votre coup droit ? 

Oui, mais tu viens de citer tous les gens dont le coup droit est l’arme favo­rite dans le jeu. 

Donc j’exa­gère ?

Oui, un peu. (Rires) Regarde Jimmy Connors et John McEnroe, ils ont un coup droit un peu vieille école. On peut même consi­dérer qu’ils avaient un meilleur revers que coup droit. Et de l’autre côté, je peux citer plein de droi­tiers qui ont un super coup droit. 

On ferme la paren­thèse sur les gauchers. Quel est pour toi le moment impor­tant de cette saison 2007 ? 

On a vu à nouveau un Nadal domi­na­teur sur terre battue, et on a vu d’autres joueurs resserrer le fossé avec les deux premiers. 

Qui ?

Djokovic. On a égale­ment vu Nadal se rappro­cher à Wimbledon. On a vu un Federer solide, peut‐être moins domi­na­teur que dans le passé, mais vain­queur à la fin. A deux doigts de tomber contre Nadal à Wimbledon, avec 7 balles de break contre Djokovic à l’Us Open, il gagne mais l’écart se réduit. 

D’où ça vient selon toi ?

Je ne sais pas. Il y a de nouveaux gars qui arrivent. Je pense qu’ils savent un peu mieux comment jouer Federer. Mais à part ça, je ne peux pas vrai­ment te dire. J’ai un immense respect pour lui, c’est un immense cham­pion qui a gagné telle­ment de Grands Chelems. Moi je n’en ai gagné qu’un. On est là à cher­cher la petite bête mais il n’y a pas grand‐chose à dire. Quel joueur ! Il faut comprendre que chaque année, le mec travaille pour conti­nuer à être perfor­mant et battre tous les records. Les attentes sont colos­sales. Et puis on vieillit, tu sais. On a 25 ans, puis 26 ans, puis 27 ans. Chaque année, il faut se remettre en cause. On doit trouver une autre moti­va­tion. On doit voyager. On doit jouer les matches. On adore jouer au tennis, mais chaque jour on doit être au top, être au top, être au top, et encore, et encore. Et puis un jour, un mec arrive qui te bat et les autres commencent à se dire que c’est possible. Les temps sont un peu plus durs chaque année. 

Alors en cher­chant la petite bête, si tu étais le coach de Federer, quel serait la partie du jeu que tu essaie­rais de travailler avec lui ? 

(Sourires)

Il n’y a rien à améliorer ?

(En Terminator pince sans rire) « Il y a toujours quelque chose à améliorer ». Il sait qu’il doit s’amé­liorer, car si tu ne t’amé­liores plus, tu recules. 

Oui, mais juste­ment comment faire quand on est au top ? 

Ah mais c’est ça qui est dur ! Tu dois te relancer, sans cesse te remo­tiver si tu veux garder tout le monde à distance. Le problème, c’est que tu dois le faire alors que tu dois voyager, répondre aux inter­views, tout ce genre de solli­ci­ta­tions qui sont épui­santes. Et si tu ne le fais pas, tu seras battu. Moi si j’étais son coach, je ferais juste en sorte qu’il préserve sa moti­va­tion et surtout son plaisir de jouer au tennis. 

Maintenant si tu étais le coach de son adver­saire, quels seraient tes conseils tactiques ? 

Oh, ça dépend de chaque joueur. 

Eh bien si c’était toi qui jouais Federer, qu’est‐ce que tu ferais ? 

Ecoute, je le jouerai à plusieurs niveaux. D’abord quand tu vois les joueurs face à lui, ils ont tendance à surjouer, à en faire trop et à un moment ils explosent. Contre Federer, il faut être rapide, très cohé­rent sur tes inten­tions et tenir. Il ne faut pas jouer Roger Federer, il faut jouer au tennis. Actuellement les gars ne jouent pas au tennis, ils jouent Federer. Ils se disent « Oh, je vais jouer le meilleur joueur du monde. Il est presque imbat­table », et donc beau­coup de joueurs arrivent sur le terrain en étant persuadés qu’ils ne pour­ront pas gagner. Ils perdent un break et c’est fini, ils donnent le match. 

Est‐ce que ça t’es arrivé de te dire en voyant les yeux de ton adver­saire : « Ce mec‐là a peur de jouer Thomas Muster ?». 

Ah oui ça m’est arrivé. Les gars se disaient sur terre : « Si je concède un break et si le match est en 5 set, je ne le rever­rais pas ». Donc ils prenaient trop de risques, et me rendaient le match facile. Au lieu de jouer à 100%, ils voulaient jouer à 120%, et moi en face je n’avais qu’à jouer… à 50% (Rires)

Es‐tu surpris par le résultat de Nadal à Wimbledon ? 

Non.

Comment peut‐on expli­quer un tel résultat de la part d’un supposé « joueur de terre battue » ? 

Non, mais faut arrêter avec ça. Ce n’est pas un joueur de terre battue. Un gars qui arrive en finale de Wimbledon deux fois… 

Mais le court a changé à Wimbledon

Mais tout a changé à Wimbledon ! Le court, les balles. Bien sûr Nadal a gagné trois fois Roland Garros, mais après deux finales, à Wimbledon tu ne peux plus dire qu’il est un joueur de terre battue. Il est un joueur de toutes surfaces. On ne va pas appeler Federer un spécia­liste des courts en dur sous prétexte qu’il n’a pas gagné Roland Garros. Si je disais ça, Federer répon­drait « Mais qu’est‐ce qu’il raconte, Thomas Muster ? » (Rires)

Est‐ce qu’on vit un moment impor­tant du tennis en ce moment ? 

Le tennis a toujours connu des hauts et des bas. Chaque géné­ra­tion a l’im­pres­sion de réin­venter le tennis, et la précé­dente dit que rien ne va plus. Moi j’ai toujours eu l’im­pres­sion d’en­tendre ça. Quand on est arrivé, ils ont dit que c’était l’ère du tennis puis­sance, et que le tennis était fini. 

Ca vous a vexé ? 

Non mais le tennis évolue, il évolue tout le tems. On ne peut pas comparer Niki Lauda avec… 

…Gerhard Berger

Oui, et Gerhard Berger avec Hamilton. Techniquement, dans les maté­riaux, dans l’ap­proche profes­sionnel, tout change. 

Et ces chan­ge­ments, c’est bien ? Ca rend le jeu plus excitant ? 

Si tu comprends le jeu, oui. Bien sûr, ça sert plus fort, les coups font plus mal, c’est un jeu diffé­rent, mais ce n’est pas un jeu mauvais. A l’époque des raquettes en bois, c’était « Droite, gauche, droite, gauche », mais parce que tu étais obligé de jouer comme ça avec une raquette en bois. Tu n’avais pas suffi­sam­ment de force pour faire bouger le jeu plus vite. 

Tu joues encore avec des raquettes en bois ? 

Oui, ça m’arrive. 

Et alors ?

Pas trop long­temps, parce que si je frappe la balle comme actuel­le­ment, je risque de casser la raquette en deux (Rires) Ah oui ! Parce que tu joues avec un tel maté­riel, telle­ment léger, telle­ment flexible, que quand tu récu­pères ça, tu as l’im­pres­sion de jouer avec une batte de base‐ball. Quand je pense qu’on a joué avec ça, quand je pense que les mecs jouaient sans grip de raquettes, la main direc­te­ment sur le manche en bois. 

Oui Lew Hoad taillait son grip avec un couteau pour mieux tenir sa raquette

Oui, incroyable. Quand tu vois ça, ça parait loin mais c’est quand même à portée d’une seule vie humaine. 

Qui aimes‐tu dans le tennis actuel ? 

J’aime Nadal. J’aime Nadal. Parce que moi quand je suis arrivé sur le circuit, comme j’étais gaucher, j’avais une sorte d’idole qui était Guillermo Vilas. Puis Henri est arrivé. J’admirais son jeu. 

Qui, Henri Leconte ? 

Oui, Henri, il était plus vieux que moi. J’ai joué Henri pour la première fois à 17 ans à Kitzbühel et j’ai vrai­ment aimé ce gars. Et aujourd’hui quand je regarde le jeu de Nadal, j’aime bien parce que je sais à peu près tout ce qu’il va faire, je peux le sentir, je sens quel va être son prochain coup, je peux prati­que­ment lire dans ses pensées. 

Vous l’avez rencontré, vous avez discuté avec lui ? 

Oui, un petit peu. Quand il a gagné son premier Roland‐Garros. Je me suis égale­ment un peu entraîné avec lui. C’est un grand joueur, un garçon très gentil, mais physi­que­ment ça va lui coûter très cher de conti­nuer à se battre comme il le fait. 

Est‐ce que vous avez peur pour son avenir sur le circuit ? 

(Coupant) Oui. Oui, parce qu’il est très lourd, très physique et la forme de jeu qu’il joue est très coûteuse en terme d’énergie. Regardez ce qui est arrivé à Chang, à Courier, à Kuerten. Tous ces joueurs ont duré 3, 4, 5 ans car leur style de tennis deman­dait beau­coup au corps. Quand tu vois Federer, c’est ace, service gagnant, ace et nette­ment moins de courses à faire que les autres. Goran Ivanisevic c,‘était la même chose. On va voir combien de temps ça va durer pour Nadal. D’ailleurs c’est une bonne ques­tion pour le tennis en général : combien de temps peut durer une carrière ? 

Justement est‐ce que c’est possible de faire tout ça en restant humain, sans aide, si tu vois ce que je veux dire ? 

Je ne sais pas. Je n’ai pas envie de commenter ça. 

Mais combien de temps ça peut durer une carrière ? 

C’est une bonne ques­tion. Combien de temps tu peux durer avant que quel­qu’un de plus frais, pas forcé­ment de plus costaud, de plus frais puisse te battre ? Car dans les 2, 3 ans, il peut avoir une bles­sure et arrive un nouveau joueur, je ne sais pas, un Sud‐américain qui a 18 ans, qui est frais et qui te bat. Je ne crois pas à quel­qu’un de plus costaud que Nadal, mais je crois à quel­qu’un de plus frais. 

Pour finir, on a cette image de toi en train de serrer la main de tout le monde après votre finale, tu étais l’homme le plus heureux du monde ? 

C’était un jour extra­or­di­naire pour moi. Quand je suis venu jouer Roland Garros pour la première fois, je ne pensais jamais que je gagnerai un jour ce tournoi. Dans ma tête c’était impos­sible. Mais quand tu réalises ce rêve‐là, celui de ta vie, et que tu le fais à 28 ans après avoir attendu tant d’année, tu as enfin toute la pres­sion qui retombe. C’est comme Goran qui gagne Wimbledon, il a telle­ment attendu ce moment. C’était une expé­rience incroyable de gagner un Grand Chelem. Je pense qu’en gagner dix ou un, ça ne change rien, c’est toujours le premier dont tu te souviens. 

Mais y a t‑il une forme d’eu­phorie quand on arrive dans les vestiaires. On est supposé hurler de joie, non ? 

Non. Pas moi. 

(Rires)

Non, bien sûr j’ai eu une montée d’adré­na­line mais d’une façon très calme. Je n’étais pas déchaîné, en train de courir dans le vestiaire à boire du cham­pagne, non. 

Mais pour tes parents ? 

Bien sûr que c’était très émou­vant, mais ça prend une telle énergie que tout le monde est cuit. J’ai pris une petite coupe de cham­pagne mais j’étais telle­ment fatigué que je suis allé au lit. 

(Début de fou rire). 

Par contre le jour suivant, c’est le jour le plus agréable. Tu repenses à ta finale. 

Mais tu n’es pas resté à Paris ?

Non, non, on est rentré en Autriche où il y avait une petite récep­tion entre amis, et c’était tout. Une coupe de cham­pagne et je suis allé au lit à 10 heures. 

(Milieu de fou rire)

Et c’était bouclé… 

(Pic du fou rire et Muster de plus en plus Terminator espiègle)

Ah si, le lende­main, je suis allé à la pêche. 

(Fin du fou rire) Comme Mecir

Oui, oui à la pêche. (Sourires) Je suis allé pêcher à 6 heures du matin. On a ramené du poisson et à midi on a nourri les 20 personnes qu’on avait invi­tées pour faire la fête avec tous les pois­sons qu’on avait pêché le matin. (Sourires) De toute façon, j’avais prévenu tous les jour­na­listes de la presse autri­chienne à la fin de mon match : « Prenez vos photos, posez vos ques­tions parce qu’a­près je ne veux plus qu’on m’ap­pelle pendant une semaine ». C’est ce qu’ils ont fait et c’était parfait.