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Interview WLT > Rémi Barbarin : « C’est impor­tant d’avoir un bon numéro un »

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Membre du staff vain­queur à Melbourne, en 2001, Rémi Barbarin revient, pour GrandChelem 20, sur l’alchimie qu’il faut savoir construire lorsqu’on est loin de ses bases.

Aujourd’hui, il y a deux théo­ries : l’une qui met en avant la diffi­culté de jouer à l’extérieur ; l’autre qui s’appuie sur la dyna­mique et l’esprit qui va se créer en jouant loin de ses terres. Alors, exté­rieur : avan­tage ou incon­vé­nient ?

Moi, j’ai vécu la finale de Nice, en 1999, et celle de Melbourne, en 2001, l’une à domi­cile, l’autre à l’extérieur. Le verdict, c’est que les situa­tions d’une année sur l’autre étaient très diffé­rentes. En 2001, on arri­vait sûr de notre force, notre équipe avait gagné trois matches à l’extérieur. Du coup, le fait de jouer à l’extérieur nous parais­sait parfai­te­ment surmon­table. Et puis, je crois qu’il y avait une envie extra­or­di­naire de jouer là‐bas, dans l’un des pays mythiques de la Coupe Davis. On savait que l’on ne joue­rait pas dans un climat complè­te­ment hostile, qu’on aurait à faire à des connais­seurs. D’autant que, comme le disait Georges Deniau, aller tenter de taper les Australiens chez eux, dans une carrière, ça reste unique. De là, le groupe, qui tour­nait autour de 6–7 joueurs, est resté super soudé tout au long de la prépa­ra­tion. Je me souviens qu’il y avait cinq joueurs, avec Arnaud Clément, qui, fina­le­ment, n’a pas joué la finale, et Mika Llodra, qui était remplaçant‐sparring pour avoir un gaucher pouvant contrer (Wayne) Arthurs. On est parti là‐bas très tôt en vue de se préparer au maximum sur place. Seul Grosjean est arrivé après, vu qu’il jouait le Masters. Moi, j’étais prépa­ra­teur physique de l’équipe. Du côté des joueurs, on avait la géné­ra­tion Escudé, Grosjean, Clément, avec, derrière, Pioline et Santoro. Ils avaient d’ailleurs accepté de s’associer, même s’ils s’entendaient moyen­ne­ment en‐dehors. L’autre point fort de l’équipe, à l’époque, c’était d’avoir un bon numéro un. Sébastien Grosjean venait de gagner Bercy et d’atteindre la finale au Masters. Il pétait la forme et, ça, ça vous donne vrai­ment une grande confiance. Je me souviens aussi que les mecs étaient couchés, tous les soirs, à 22h30. Il y avait un vrai sérieux, ils étaient complè­te­ment dans leur bulle.

Ca a joué le fait d’être aussi loin de la France ?

Oui, ça a joué, fran­che­ment. Tu te retrouves à 13–14, avec le staff et les joueurs. Comme c’était très, très loin, tu avais peu de jour­na­listes la quin­zaine d’avant, ils étaient arrivés assez tard. Peu de gens des familles, aussi, moins de supporters…

Pendant la prépa­ra­tion, tu sentais que vous étiez dans le vrai ?

Sincèrement, je ne dis pas qu’on sentait la victoire arriver, mais je perce­vais un état d’esprit très sain chez tout le monde. On vivait pour tenir et tenir tous ensemble. On avait réservé un étage dans un hôtel, tout en haut… Pendant 15 jours, on mangeait tous ensemble, les repas étaient codi­fiés… On allait très peu au restau­rant. Et il y avait vrai­ment une démarche de vivre bien, tous, en groupe, 24h/24. Voir ça dans un sport indi­vi­duel, sur une période aussi longue, sans jamais de fric­tions ou déra­pages, c’est rare. Tu es obligé d’en conclure qu’il se passe un truc. Il y avait quand même Pioline, Santoro, Escudé, Grosjean, Clément, Llodra… ! (Rires) Des carac­tères forts, chacun dans leur style ! Et, pour­tant, il n’y a jamais eu de soucis. C’est dans ces moments que tu sens tout le poids de l’expérience accu­mulée dans une saison entière de Coupe Davis. On avait gagné trois fois à l’extérieur et même en Belgique, où on avait été mené, on n’avait pas paniqué. Escudé avait aussi sauvé une balle de match contre Bastl, en quarts… 

Quel est le rôle du Capitaine dans une finale, qu’est-ce qu’il peut changer ?

Son rôle est bien plus impor­tant qu’au premier tour. On dit souvent qu’un Grand Chelem, c’est la loupe du circuit sur l’année. Là, une finale de Coupe Davis, c’est un peu pareil. Dès que tu fais une petite erreur, elle est accrue par l’enjeu. Aujourd’hui, Guy a connu des finales en tant que joueur, puis en tant qu’entraîneur. Il est armé pour préparer et anti­ciper celle‐ci au mieux. Mais Guy n’est pas tout seul non plus. Son staff, le doc’, le prépa­ra­teur physique, le kiné… Tous peuvent se laisser dominer par l’enjeu et être moins perfor­mants. Mais regarde : Christophe Ceccaldi, des finales, il en a jouées six ou sept, Poupon égale­ment, Montalvan aussi… Ils sauront trouver les mots et les discours corres­pon­dant à la situa­tion sans trop changer leurs habi­tudes. A l’inverse, quand tu joues ta première, ce n’est jamais facile, tant pour un joueur que pour un membre du staff. 

Tu as l’air de dire qu’il est souvent diffi­cile de faire prendre la mayon­naise dans un groupe…

La mayon­naise, elle prend plutôt bien, chez nous, en France. Après, c’est aussi une histoire de dyna­mique. Comme tu n’as pas des rencontres chaque semaine et qu’il faut attendre des mois et des mois avant de rejouer, tu as une vraie rupture à la moindre défaite. La cohé­sion se construit à travers les rencontres et les succès. C’est ça, le drôle d’équilibre de la Coupe Davis. 

On a pu remar­quer que la Coupe Davis parti­ci­pait à l’éclosion de Gaël. Quelle vision tu as de lui ? Tu penses que la Coupe Davis peut être le déclen­cheur pour un joueur, l’élément qui va le faire passer dans une autre dimension ?

Tout à fait. Pour qu’un joueur change de dimen­sion, il n’y a que les Grands Chelems ou la Coupe Davis qui vaillent vraiment.

C’est le cas pour Gaël ?

Pour moi, Gaël est super fort. Je l’ai eu quatre ans et, à mon sens, il devrait être dans le top 10. Ne lui manque qu’un peu plus de constance. Et, sur un match, il a toujours été très fort. Maintenant, pour passer un cap grâce à la Coupe Davis, il faut se sentir très fort et avoir l’occasion de s’exprimer, c’est ce qui va permettre une prise de conscience et de réitérer les perfor­mances. Pour Mika et Gaël, il y a aussi eu un concours de circons­tances qui les a posi­tionnés avec la confiance du sélec­tion­neur. C’est hyper impor­tant pour que les mecs se sentent en forme et serein avec eux‐mêmes, pour qu’ils puissent remplir leur contrat. Par la suite, le senti­ment de devoir accompli est super fort. D’ailleurs, tu vois qu’à l’inverse – j’avoue que je n’aime pas trop parler de ce match pour lui –, PHM, il avait été propulsé, là, je ne dirais pas sans confiance, mais un peu par défaut, et le fait de perdre ce match contre Youzhny, ça a eu un effet opposé et désas­treux. Depuis, sur les grands rendez‐vous, il a plus de mal à être présent.

On en revient à l’idée que ce match a pesé sur l’ensemble de la carrière de Paul‐Henri. La Coupe Davis, c’est un catalyseur…

Oui. Il y a des joueurs qui ont su saisir leur chance en Coupe Davis dès leurs premières rencontres. C’est le genre de mecs dont on dit qu’ils ont le tempé­ra­ment pour tenir. Mais l’exemple de PHM montre que ça ne se joue pas à grand‐chose… Et, dans son cas, je trouve qu’on oublie trop vite qu’il jouait le 22ème mondial, que c’était loin d’être facile, qu’il passe à deux points du match, que le mec lui fait un service‐volée exté­rieur mons­trueux à 15–30, puis à 30A… Youzhny, depuis, il navigue entre la 10ème et la 20ème place tous les jours de l’année. On oublie que c’est un très grand joueur.

Un pronostic pour cette finale ?

Dur de mettre un pour­cen­tage, mais, pour moi, c’est quasi­ment du 50–50. Nous, on a l’avantage d’avoir un groupe plus dense : on peut perdre un joueur, on sait qu’on sera bon quand même. Eux n’ont pas cette possi­bi­lité, ils misent plus sur des indi­vi­dua­lités. Par contre, ils auront un esprit d’équipe très fort, qui se nour­rira de leur patrio­tisme. Mais je trouve que nos joueurs ont égale­ment montré un intérêt puis­sant, une réelle moti­va­tion pour la Coupe Davis, tant dans le choix de leurs tour­nois, dans leur impli­ca­tion quand ils ne jouaient pas. Ils ont Djokovic, c’est vrai, mais on n’est pas mal non plus en termes d’individualités, avec Monfils, Simon…Ce sont des joueurs suffi­sam­ment forts pour les battre sur un match. D’autant, qu’en plus de tout ça, on a un avan­tage sur le coaching, avec l’expérience de Guy, qui a déjà joué trois finales. Je ne pense pas que le sélec­tion­neur adverse puisse en dire autant… Lui, il sait ce qui s’est passé lors des victoires, comme lors des défaites, il connait la source des déra­pages possibles.