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Lionel Roux : « Un bel exploit à réaliser ! »

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A l’aube d’une rencontre diffi­cile contre l’Espagne, Lionel Roux, entraî­neur de l’équipe de France, nous a accordé un entre­tien exclusif. Il y aborde des sujets très diffé­rents, sans langue de bois et avec beau­coup de passion : Benneteau, qui n’entre plus vrai­ment dans les plans, les chances des Français, le public espa­gnol… Bonne dégustation.

Les faces‐à‐faces entre joueurs comptent à l’heure de décider des titu­laires et des remplaçants ?

Oui, c’est sûr que ça compte, au même titre que les résul­tats sur des matches en cinq sets. En fait, plus géné­ra­le­ment, l’expérience Coupe Davis compte. Un exemple, on sait que Richard (Gasquet) n’aime pas jouer contre Ferrer ou Nadal, on sait aussi que Gilles (Simon) ne peut pas jouer le double… Il faut aussi y penser, au double. 

Le retour de Gasquet en Coupe Davis a été assez chao­tique… On peut imaginer qu’il sera moins tendu qu’en Allemagne s’il est amené à rejouer ?

Il stres­sait beau­coup en Allemagne, c’est vrai. Ses coups ne partaient pas en match, alors qu’à l’entraînement, il jouait très bien. Et il savait depuis long­temps qu’il allait jouer le vendredi, donc il avait eu le temps de se préparer menta­le­ment. Mais ça ne l’a pas empêché de sortir des petites phrases du genre : « Ca fait trois ans et demi que je n’ai pas joué, c’est diffi­cile… » On sentait qu’il y avait beau­coup de stress, mais aussi beau­coup d’envie. Il avait vrai­ment envie, mais vrai­ment. D’ailleurs, il s’en sort parce qu’il s’est accroché jusqu’au dernier point et je suis content pour lui parce qu’il lui aurait été diffi­cile de supporter un échec une nouvelle fois. Cette victoire alors qu’il est derrière, mené deux sets zéro, ça lui a amené encore plus d’énergie pour la suite. Je crois que, même s’il aura toujours cette cica­trice Coupe Davis en lui, là, il l’a un petit peu refermée. Petit à petit, s’il continue comme dans cette voie, il l’effacer complè­te­ment. Sur ce sujet, moi, j’aime bien la phrase que Gaël a sortie lors de sa deuxième rencontre de Coupe Davis : « Le maillot de l’équipe de France, il est lourd. » Et c’est vrai, il est lourd. Parce qu’il y a beau­coup d’attente, parce que ce sont des joueurs talen­tueux qui jouent bien toute l’année, parce qu’on attend beau­coup d’eux en Coupe Davis, y compris dans l’attitude.

Jo Tsonga a des chances de jouer en simple ?

Oui, peut‐être. Ca va être délicat comme choix. Il est en forme, mais tout dépendra de l’équipe. Jo, on a besoin de lui pour le double. Ca dépendra des forces en présence sur le moment. Maintenant, c’est sûr que sur un match comme ça, Jo, il a l’envie. Il n’a jamais rien lâché en Coupe Davis. Il adore ce genre de rendez‐vous, cette bagarre, quand ça sent le souffre. Donc c’est sûr que c’est une rencontre dans laquelle le profil d’un joueur comme Jo peut payer, en simple comme en double.

Michael Llodra a plei­ne­ment rassuré sur son niveau lors du double, en Allemagne ?

Je crois qu’il s’est rassuré lui, avant tout, et peut‐être pas au niveau du jeu, mais de l’attitude. Ca lui a fait du bien de partir de Stuttgart comme un guer­rier victo­rieux. C’est ce qui lui manque un petit peu, Mika, cette flamme, cette envie. Quand tout va bien, ça luge. Quand c’est un peu plus diffi­cile, qu’il se fait breaker, que les choses ne tournent pas en sa faveur, il a un peu plus de mal. Et, à Stuttgart, il a réussi à le faire avec Jo. A Washington aussi, avec Nenad Zimonjic. C’est bien, il emma­ga­sine de la confiance. Aujourd’hui, comme ça, vu les résul­tats, Mika paraît incon­tour­nable en double. Maintenant, c’est sur terre, il faudra aussi qu’il fasse ses preuves à l’entraînement. Lui et Jo, en double, ils sont diffi­ciles à breaker, c’est un bon point. Alors, certes, il y a des petites choses à travailler, mais pas trop non plus : il faut qu’ils jouent avec leurs forces à eux, il ne faut pas que Mika demande à Jo d’être trop joueur de double ou que Jo demande à Mika d’être trop joueur de simple. 

Aujourd’hui, le double fran­çais, c’est donc Tsonga/Llodra ? On dirait que Benneteau est largué…

Bennet’ est loin derrière au clas­se­ment. Il n’a pas de résul­tats probants, aussi bien en simple qu’en double. Aujourd’hui, Bennet’, même si c’est un super coéqui­pier, quelqu’un sur qui on peut compter, il n’entre plus vrai­ment dans les plans du double. Au même titre que la paire Gasquet/Llodra qui n’est pas à l’ordre du jour non plus. On a essayé Jo et Mika ensemble et, même si ça n’a pas été mons­trueux, il y a eu deux victoires, contre les Pays‐Bas et l’Allemagne. Kas‐Petzschner, c’est une bonne équipe quand même ! Et ils leur ont collé trois sets. Alors, aujourd’hui, ça me paraît diffi­cile de s’orienter vers un autre choix, de tester une autre équipe. Maintenant, c’est vrai qu’avec le forfait de Gaël, tout est possible.

On a entendu parler de « défi ultime » pour quali­fier cette rencontre en Espagne. C’est vrai­ment comme ça que vous la voyez, cette demi‐finale ?

De toute façon, l’Espagne, c’est la plus grosse équipe avec la Serbie – parce que Djokovic est injouable en ce moment. Chez eux sur terre, même si ça semble compliqué, moi, je pense qu’il y a un petit coup à faire. Et puis, toutes les séries doivent s’arrêter à un moment donné. Ils en sont à 19 victoires d’affilée, chez eux, sur terre. Ferrer, Gilles et Jo l’ont déjà battu. En double, je pense aussi qu’on est capable de les battre. Donc, voilà, ils sont favoris, mais je pense qu’on n’est pas si loin derrière et qu’on peut les chercher.

Si Nadal joue, les chances fran­çaises sont de l’ordre de 30% ? 40% ?

C’est un terrain un peu glis­sant. On a commencé à en parler le dimanche de Stuttgart avec les joueurs et on n’était pas tous d’accord. Moi, je manque peut‐être de luci­dité, parce que j’y crois telle­ment ! Mais je pense qu’on a une bonne carte à jouer, on a quand même quatre joueurs dans les 15. C’est un bon match et un bel exploit à réaliser. Je me rappelle de la victoire en Australie, en 2001. Il y avait Hewitt qui était numéro 1, Rafter qui devait être 4 ou 5. Ils avaient une équipe de double assez impres­sion­nante, c’était chez eux sur gazon… Si Escudé, Pioline et toute la clique n’y avaient pas cru, ils ne l’auraient pas fait. 

Est‐ce qu’il faut s’attendre à un esprit de revanche côté espa­gnol, après le 5–0 de l’année dernière ?

Un esprit de revanche, oui, un peu, mais sans plus. J’en avais redis­cuté avec Costa, le Capitaine espa­gnol, il nous avait féli­cité du choix de la surface, une surface rapide, un tout petit peu en alti­tude, c’était parfait pour nous. En plus, on a eu un petit peu de réus­site, parce qu’on gagne deux matches très serrés, un en cinq sets contre Ferrer, l’autre en quatre sets très serrés contre Verdasco, le double aussi était très serré… La surface avait beau­coup joué. Il y aura donc un petit esprit de revanche, mais ce n’est pas pour ça qu’ils vont nous balancer des pièces. Les joueurs se respectent quand même vache­ment entre eux. 

Qu’est-ce qu’on peut attendre du public espagnol ?

C’est un public qui va être à fond derrière son équipe et qui va faire du bruit, mais avec beau­coup de respect. C’est un public plus connais­seur que les Serbes, à mon avis, qui est un public plus de spec­tacle et de fête. Le public serbe, sans le criti­quer, il avait envie de faire monter la sauce ; il n’avait pas l’expérience que peut avoir le public espa­gnol. Donc ça va être une belle ambiance, chaude, mais respectueuse. 

Vous allez garder un œil sur l’autre demi‐finale Argentine/Serbie ?

Si on gagne, on sait que, si c’est la Serbie, ce sera à Paris et, si c’est l’Argentine, ce sera à Buenos Aires. Et aller à Buenos Aires, pour une finale, ça peut être même pire que la Serbie l’an passé ! On va donc regarder un peu, mais il ne faut pas brûler les étapes. On a une rencontre à jouer. Et puis, la demie Serbie‐Argentine, en Serbie… Ca me paraît compliqué pour l’Argentine. Mais avec « Picasso » (David Nalbandian), on ne sait jamais ! S’il est bien et s’il a envie, il est capable de mettre tout le monde d’accord. Maintenant, si on bat l’Espagne, je suis partagé. Se retrouver face aux Serbes, pour­quoi pas, mais Djokovic me fatigue un peu.

Ca change tout de jouer devant son public ?

Ca change, oui. A la maison, on sent que les joueurs se trans­cendent. On parle du 13ème homme en foot, mais ça marche aussi avec le tennis. Quand tu te retrouves devant un public hostile, ce n’est pas pareil. Je me rappelle de notre rencontre à Ostrava, contre les Tchèques. C’était ma première expé­rience en tant qu’entraîneur, ça m’avait vache­ment marqué. C’était Gilles qui jouait. Quand il était de notre côté du court, ça allait. Mais quand il allait en face, j’avais l’impression qu’il n’était pas bien. Il y avait 3–4 mecs au‐dessus de lui, en tribune, qui le regar­daient fixe­ment quand il allait prendre ses balles pour servir, ils lui parlaient… Même si tu sais que le mec ne va pas rentrer sur le terrain et te mettre un coup de poing, tu sens cette hostilité. 

On avait senti Gaël se rete­nait, en Serbie, pour ne pas exciter le public…

C’est vrai qu’il était sur la retenue. Ca peut exciter le public adverse, ça peut jouer en sa défa­veur. Il faut trouver un juste milieu, essayer d’être soi‐même, sans en rajouter. Parce que si tu commences à provo­quer le public, là, c’est mort, c’est fini. Même si l’arbitre essaye de calmer le jeu, un public énervé, c’est terrible. Il faut savoir qu’en Espagne, on n’aura pas le Hawk‐Eye, vu que c’est sur terre. Mais ça ne nous inquiète pas trop, trop, non plus, dans la mesure où il y a de très bons arbitres. Et puis, une marque, c’est une marque. Sur cinq sets, il y en a des points à jouer !

La victoire, sur cette rencontre, ça va se jouer à quoi ?

D’abord à la fraî­cheur physique, à mon sens. La tournée améri­caine est éprou­vante, la manière dont on gère la chose va être impor­tante. Après, bien sûr, il y a l’envie. Au fil des discus­sions, on voit bien les gars qui ont plus envie que d’autres, qui ont plus faim. Ca va se jouer sur des petits détails : une bonne ambiance dans l’équipe, une bonne entame de match, un bon match d’entraînement, une bonne présence du staff. Il faut qu’on soit prêts à pallier à tout imprévu. En Autriche, tout allait bien et, puis, il y a une bombe qui sort. Gilles avait fait une inter­view deux mois avant, il n’était pas content. Ca s’est géré en interne, ça a même renforcé un petit peu l’équipe, parce que Gilles est allé parler aux joueurs. Ca a crevé quelques abcès. Même si ça a fait du mal sur le coup, à la fin, ça a fait avancer un peu le schmil­blick. C’est pour ça que j’essaie d’être très proche des joueurs. Il faut les chou­chouter, les écouter, essayer de voir ce qui peut les embêter… Ca peut être un mauvais entraî­ne­ment, une engueu­lade avec leur femme…

Ca aussi, c’est le rôle de l’entraîneur ?

Exactement. Le rôle de l’entraîneur, c’est que le joueur soit au top tout le temps. Quand on me demande mon job, j’explique, juste­ment, qu’il ne s’agit pas seule­ment d’être sur le terrain à parler du coup droit, du revers, etc. C’est aussi et surtout l’organisation, des discus­sions avec les joueurs, sentir leur forme… Je jongle avec plusieurs casquettes : entraî­neur, grand frère, pote… Ca m’est arrivé régu­liè­re­ment d’aller discuter avec un des gars, dans sa chambre, à une heure du mat’.

L’annonce au joueur qu’il est écarté du groupe, qui s’en occupe ?

Ca, c’est le rôle de Guy. Et c’est toujours diffi­cile, il le dit lui‐même. Il est obligé de tran­cher et il faut respecter son choix. Je vois Lièvrement, en rugby, qui a dû écarter un mec comme Marconnet, qui a 90 sélec­tions en équipe de France, pour une coupe du monde en Nouvelle‐Zélande… Le mec, il a 37 ans, c’est peut être sa dernière Coupe du Monde, en Nouvelle‐Zélande, le pays du rugby… Et, derrière, il prend la nouvelle avec beau­coup de dignité, il va en salle de presse… Fait raris­sime, il a même été applaudi par les jour­na­listes. C’est rare ! Mais, voilà, en tennis c’est pareil, à un moment donné, il faut en écarter un.

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