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Patrick Mouratoglou : « Je suis nostal­gique de l’am­biance de club »

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Coach de Serena Williams, patron de l’aca­démie éponyme, Patrick Mouratoglou a accepté d’être le grand témoin de notre dossier. Il a profité de cette occa­sion pour faire le point sur la fusion avec ISP, ses discus­sions avec la Fédération… Enfant de la balle, Patrick Mouratoglou n’a fina­le­ment qu’un seul gros défaut : il aime trop le tennis !

Patrick, que penses‐tu de l’état du tennis en France ?
Sur le plan inter­na­tional, je trouve que le tennis souffre un peu. Le paysage mondial du sport a évolué. Les sports améri­cains ont pris une place impor­tante et nous sommes dans une société de spec­tacle. Le tennis doit évoluer avec son temps pour être plus spec­ta­cu­laire et offrir plus d’émotion aux non‐spécialistes. Malheureusement, au contraire, il se fait de plus en plus conser­va­teur. Le ralen­tis­se­ment des surfaces a limité la diver­sité des styles de jeu. Les règle­ments sont de plus en plus rigides, empê­chant les joueurs de s’exprimer sur le court. Bien entendu, les limites doivent exister, mais je ne pense pas que les excès fassent partie du folk­lore. N’avons nous pas adoré McEnroe ? Personnellement, j’avais aimé cette scène, à Melbourne, où l’on voit Marcos Baghdatis casser toutes ses raquettes sur le court par dépit. Le sport, c’est aussi ça ! De grandes émotions, un peu de folie ! Le public doit pouvoir s’identifier, adorer ou détester. Et, pour ce faire, les athlètes doivent être en mesure de s’exprimer sur le court. Quant à la pratique loisir du tennis, mon constat et mon regret concernent l’état du club de tennis qui ne joue plus autant son rôle que par le passé…

Peux‐tu être plus précis ?
Là, j’en­lève ma casquette de coach du circuit et je retourne un peu à mon enfance. J’ai le souvenir de mon club où je restais des jour­nées entières pour jouer, discuter avec mes amis, regarder les meilleurs… Aujourd’hui, c’est de plus en plus rare. La société a évolué ces 30 dernières années : les prati­quants viennent jouer leur heure de tennis et rentrent chez eux. Le club doit abso­lu­ment rede­venir un lieu de vie convivial.
Je n’ai pas de solu­tions à ce problème, mais il y a sûre­ment des choses à faire. Et je dirais même que l’on n’est pas si mal lotis en France, car certaines struc­tures n’exis­te­raient plus si les muni­ci­pa­lités ne les soute­naient pas. 

Certains estiment qu’il faudrait regrouper certains clubs pour qu’ils rede­viennent de vrais centres de vie…
Je comprends cette idée, mais je pense que notre manière de consommer nous conduit à attendre de tout avoir à portée de main. Je ne suis pas certain que de devoir faire 20 km pour accéder à son club aille dans la bonne direction.

En ayant acquis le Sophia Country Club, près de Nice, tu vas pouvoir recréer ce fameux lieu de vie !
C’est, effec­ti­ve­ment, l’un de nos objec­tifs. La Mouratoglou Tennis Academy regrou­pera des pros, des aspi­rants pros, mais aussi des joueurs de club. Je veux créer, avec mon équipe, un vrai lieu de vie dont le tennis est le centre. Cette infra­struc­ture sera installée sur un site légen­daire du tennis fran­çais, un site auquel je veux qu’on rende toutes ses lettres de noblesse.

Le Sophia Country Club, la fusion avec ISP… Cette année 2015 marque un nouveau départ ?
Oui, le projet est effec­ti­ve­ment passion­nant ! Toute notre équipe est archi‐motivée par ce qui se prépare et ce que nous construi­sons chaque jour.

Peux‐tu nous en dire plus sur cette rencontre avec Charles Auffray et tout le team d’ISP ?
Il y a deux ans, Charles est venu me voir et on a commencé à discuter. Plus on avan­çait, plus les choses semblaient limpides tant nos deux entre­prises se complètent. ISP détient un savoir‐faire reconnu en termes de scola­rité et d’organisation. Mouratoglou, elle, est une marque forte et le haut‐niveau est notre domaine d’expertise. S’unir permet d’être perfor­mant à tous les niveaux et nous donne la possi­bi­lité de nous déve­lopper sereinement.

A Thiverval‐Grignon, ce n’était pas possible ?
C’était une option, mais démé­nager sur la Côte d’Azur a plus de sens. Nous avons la possi­bi­lité de jouer en outdoor toute l’année grâce au climat et ses 300 jours d’ensoleillement par an. Nous pouvons égale­ment construire une académie ultra‐moderne qui répond à la tota­lité des besoins des joueurs. Enfin, aller à Sophia signifie fusionner avec ISP, donc unir nos forces.

C’est‐à‐dire ?
Je ne peux pas tout dévoiler dans les détails, mais notre ambi­tion est devenir la meilleure académie d’Europe, que ce soit en termes de forma­tion, de sport‐étude, de compé­ti­tion, d’ac­cueil des meilleurs joueurs du monde ou de recherche… Pour y parvenir, on va s’ap­puyer sur un complexe unique en son genre. 

Vous auriez pu vous exiler encore plus au soleil pour mener à bien cet ambi­tieux projet…
C’est évident, mais je suis très attaché à mon pays. Je suis Français et, même si cela aurait été beau­coup plus simple ailleurs, j’ai décidé de conti­nuer à investir en France, car j’ai envie de faire bouger les choses, les menta­lités. Créer un tel centre d’ex­per­tise sur le terri­toire des quatre Mousquetaires, c’est aussi envoyer un signal à la planète tennis pour dire que la France reste un pays majeur de notre sport. 

Il est donc loin le temps où tu démar­rais à Montreuil avec Bob Drett…
Oui, c’est vrai, mais j’en garde des souve­nirs fabu­leux. On faisait beau­coup de choses avec des bouts de ficelle, il y avait une ambiance indes­crip­tible. A Montreuil, j’ai rencontré des personnes incroyables. Je pense que disposer des meilleurs outils est un énorme plus, mais notre vraie valeur, c’est l’humain et la compé­tence. Nous ne devons jamais l’oublier.

Tu t’es exprimé, derniè­re­ment, suite à l’af­faire de la Coupe Davis, sur l’idée d’une ouver­ture vers la Fédération Française. Quelle est exac­te­ment ta pensée, car il y a eu quelques remous suite à tes prises de position ?
Mon idée est assez simple, en fait. Je suis Français et j’ai envie que la France brille au plus haut niveau. Ma démarche a donc été d’aller voir la Fédération Française pour lui présenter notre projet et lui expli­quer que nous pouvions trouver des syner­gies entre nos deux struc­tures. On a d’ailleurs été très bien reçus avec Charles (Auffray, direc­teur d’ISP). Ce rendez‐vous s’est avéré très constructif. Mais je ne me suis jamais posi­tionné concer­nant la Coupe Davis. 

On sent que cette idée de synergie te tient à cœur…
La FFT est reconnue dans le monde entier et elle est très souvent copiée. En France, nos systèmes de détec­tion comme de clas­se­ment sont des réfé­rences. Nos tech­ni­ciens sont consi­dérés comme étant parmi les meilleurs de la planète. On est donc très forts pour former de très bons joueurs. Mais la dernière étape manque souvent. Nous avons l’une des plus grosse densité de joueurs dans le Top100 depuis long­temps, des joueurs avec d’immenses qualités, mais nos résul­tats au plus haut niveau manquent. C’est notre respon­sa­bi­lité à tous. 

Et c’est ce que tu veux apporter ?
Je dis juste que notre académie vise l’ex­cel­lence, qu’elle est basée en France, qu’elle sera ouverte à tous les joueurs qui voudront s’y entraîner. Et que si l’on contribue aussi à faire évoluer certaines menta­lités, cela peut permettre à tous de progresser. Je ne donne pas de leçons, j’exprime des opinions avec l’envie de faire avancer les choses. Nous avons la chance, en France, d’avoir beau­coup de compé­tences diverses recon­nues sur le plan mondial dans notre sport. Si elles expriment leur désir de parti­ciper au déve­lop­pe­ment du tennis fran­çais, il serait dommage de nous en passer.

C’était un peu le discours du Team Lagardère à une époque…
Oui, mais le Team Lagardère s’était placé en concur­rent direct de la Fédération. Il y a eu une sorte d’escalade dans les offres faites aux joueurs pour les entraîner. Cela n’a pas été très profi­table sur le long terme. Moi, j’ai, au contraire, envie de colla­borer, de construire, d’échanger. Nous ne sommes pas concur­rents, nous n’avons pas les mêmes objec­tifs et pas les mêmes obli­ga­tions. La Fédération a un rôle social, c’est une très grosse machine avec la gestion de la pratique sur le terri­toire, de la forma­tion des cadres, l’or­ga­ni­sa­tion de Roland Garros. Elle n’est pas unique­ment centrée sur le haut‐niveau. 

Justement, pour parler de compé­ti­tion et de tour­nois, que penses‐tu de ce qui est mis en place dans l’Hexagone ?
J’en garde des souve­nirs extra­or­di­naires. Ma première perf’, ma première contre… Non, celle‐ci, je l’ai oubliée (rires) ! On a, d’ailleurs, l’am­bi­tion de proposer des compé­ti­tions de façon constante sur Sophia Antipolis. Des régle­men­ta­tions nous freinent pour l’instant, mais nous espé­rons que les instances compren­dront que ce que nous mettons en place va dans l’intérêt du tennis français.

Que veux‐tu dire par là ?
Il y a des règle­ments assez stricts qui ne nous auto­risent pas à faire plusieurs tour­nois par an. C’est dommage. C’est un réel frein pour animer son lieu de pratique. Imaginer notre académie avec des compé­ti­tions régu­lières où les passionnés pour­raient jouer en perma­nence, ce serait assez fantas­tique et cela permet­trait à la France de rayonner davantage. 

Vous avez égale­ment l’am­bi­tion d’ac­cueillir des compé­ti­tions internationales ?
L’outil va être unique, donc on veut le faire savoir. On a, notam­ment, un très beau projet qui va voir le jour dans une caté­gorie qui manque d’une grande épreuve : il s’agit des moins de 10 ans. Mais on devrait aussi se posi­tionner sur d’autres types de compé­ti­tions. C’est impor­tant pour nous, car, le tennis, c’est la forma­tion, mais aussi la compétition. 

Pour en revenir au sujet de notre dossier, est‐ce que tu penses que le tennis est assez connu pour son côté « plaisir » ?
Il y a encore du travail à faire (rires) ! Encore une fois, de nombreux sports voient le jour régu­liè­re­ment et vont cher­cher à nous concur­rencer. Il faut être vigi­lants. Et je ne vais pas vous étonner en affir­mant que, pour moi, le tennis est le sport le plus ludique qui soit. C’est, avant tout, un jeu. Tu fais du sport en t’amusant et ça n’a pas de prix ! J’adore faire du jogging, mais, pour être franc, ce n’est pas très fun… Au tennis, on fait courir l’autre. C’est un sport tech­nique avec une grande compo­sante tactique. Un sport vrai­ment unique.

On n’est pas surpris par cette décla­ra­tion d’amour !
Là, tu me char­ries (rires). Mais pour revenir à l’idée de départ – sur laquelle j’ai encore envie d’in­sister : le club reste la clé pour que le tennis garde sa place. On y rencontre ses copains, on fait des duels, on déjeune ensemble. Et puis, on choisit ou non de faire de la compé­ti­tion, de s’iden­ti­fier aux champions. 

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