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Patrick Mouratoglou : « Le tennis féminin n’a jamais proposé tant de styles différent »

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Patrick Mouratoglou, Directeur de l’aca­démie éponyme, inter­vient régu­liè­re­ment dans de nombreux médias, appor­tant son regard sur le tennis féminin, qu’il côtoie depuis bien des années. Pour GrandChelem et WeLoveTennis, il apporte ses réponses aux diffé­rentes problé­ma­tiques actuelles.

Un entre­tien réalisé dans le cadre du numéro 21 de GrandChelem, à retrouver ici.

A suivre : entre­tiens avec Régis Brunet, Marc Moroux, Alexandra Fusai, Ons Jabeur, Elina Svitolina et Sam Sumyk.

Ce sont très souvent des hommes qui coachent les femmes, tu es toi‐même dans ce cas. Pourquoi ?

Déjà, il y a peu de coaches femmes. Ensuite, les hommes ont un niveau de jeu supé­rieur à celui des femmes et sont souvent appelés à servir de sparring‐partners. Et puis, pour une femme, il n’est certai­ne­ment pas simple de se singu­la­riser dans un milieu où l’on est vite catalogué. 

Que réponds‐tu à ceux qui disent que le tennis féminin est trop monocorde ?

Je réponds que je ne suis pas d’accord. Le tennis féminin a suivi diffé­rents courants, comme le tennis masculin, d’ailleurs. D’une manière géné­rale, le tennis est devenu plus mono­corde, avec une homo­gé­néi­sa­tion des surfaces. Ca a contraint les joueurs à devoir frapper fort du fond du court, en mettant beau­coup d’effet, pour être perfor­mant. Chez les femmes, à l’avènement des sœurs Williams, la mode consis­tait à frapper fort des deux côtés, ce qui a été le cas pour de nombreuses géné­ra­tions. Aujourd’hui, dans le top 10, on a des frap­peuses du fond – Serena ou Venus –, des contreuses‐tacticiennes – Wozniacki ou Zvonareva –, des filles qui jouent vite en prenant la balle au sommet du rebond – Clijsters –, des filles au style tout en varia­tions – Schiavone ou Henin, avant qu’elle arrête –, des filles qui enchainent service‐kické‐coup droit enroulé – Stosur… Je crois qu’au contraire, le tennis féminin n’a jamais proposé tant de styles différents.

Caroline Wozniacki est numéro une mondiale sans victoire en Grand Chelem. Il y a une réforme au niveau du système de points à mener ? Cette situa­tion est quasi­ment impos­sible chez les hommes…

Caroline a réalisé une très grande année, qui lui a permis d’atteindre la première place mondiale, mais sans remporter de titre du Grand Chelem. Son cas n’est pas unique puisque, avant elle, Jankovic, Mauresmo – elle s’est bien rattrapée par la suite – et Safina ont évolué dans la même confi­gu­ra­tion. C’est vrai que ça me choque, person­nel­le­ment, qu’une joueuse occupe cette place sans même avoir atteint une finale de Grand Chelem dans l’année. Alors que, dans le même temps, une autre en a remporté deux… Il est temps de se pencher sur une réforme du mode d’attribution des points WTA. Ca pose un vrai problème de crédibilité. 

Des orga­ni­sa­teurs de tournoi aime­raient mieux protéger les joueuses dites « bankables », avec, notam­ment, plus de byes. Qu’en penses‐tu ?

Je ne pense pas que les joueuses bankables aient besoin d’être proté­gées. Je pense, en revanche, qu’il faut trouver un moyen pour qu’elles s’investissent réel­le­ment à chaque tournoi qu’elles disputent. Quitte à ce qu’elles jouent moins. 

Est‐ce que le retour rapide d’an­ciennes joueuses au plus haut niveau ne déva­lo­rise pas le circuit ?

Si tu parles de Justine et Kim, je pense que ce sont deux cham­pionnes d’exception. Parties préci­pi­tam­ment, elles ont laissé un vide que personne n’a pu combler. Aucune joueuse n’en avait la capa­cité. Elles sont deux athlètes énormes sur le plan physique, deux grosses compé­ti­trices. Leur départ à la retraite n’a pas permis aux jeunes d’éclore car, pour cela, il faut de la concur­rence au plus haut niveau, ce qui a forte­ment manqué en leur absence. Bien sûr, ça choque le public qu’elles reviennent si vite au sommet, mais elles sont véri­ta­ble­ment des phénomènes.

Toi qui es dans le milieu, tu penses qu’aujourd’hui, être le coach d’une joueuse, c’est une spécia­lité à part entière ?

Je comprends qu’on puisse se poser cette ques­tion. Le tennis masculin est très diffé­rent du tennis féminin. Je dirais même qu’il ne s’agit pas réel­le­ment du même sport. Il se joue dans les mêmes condi­tions, mais avec des qualités tota­le­ment diffé­rentes. Pour coacher une femme, il faut aimer et comprendre le tennis féminin en lui‐même. Pour ma part, j’ai travaillé avec des hommes et des femmes. Si la démarche est la même, notre compor­te­ment, en revanche, doit être adapté. Lorsqu’un coach travaille dans le milieu du tennis féminin, il a beau­coup plus de propo­si­tions de colla­bo­ra­tion au sein de ce même milieu, ce qui pousse les coaches à se spécia­liser, volon­tai­re­ment ou pas.

On dit les filles plus émotives. Tu as pu le constater ?

Les femmes sont plus sensibles que les hommes, oui. Elles ne réagissent pas de la même manière à ce qu’elles peuvent perce­voir comme une critique. Elles mettent beau­coup d’émotion dans leur impli­ca­tion profes­sion­nelle. Nous nous devons d’être plus nuancés dans nos propos. Pour ce qui est de leur gestion des matches, elles sont décrites comme plus émotives, car elles expriment souvent leurs senti­ments sans tabous, elles exté­rio­risent plus faci­le­ment, elles ne sont pas bridées par des consi­dé­ra­tions d’égo masculin. Elles pleurent faci­le­ment. A mon sens, l’aspect mental prend une part impor­tante dans le résultat d’une majo­rité de matches, tant dans le tennis masculin que féminin,. C’est pour cette raison que notre prépa­ra­tion des tour­nois doit être la plus profes­sion­nelle et perfor­mante possible. En tant que coach, je me dois de tout mettre en œuvre pour que ma joueuse arrive sur l’épreuve, prête à performer, afin de dimi­nuer le niveau de stress lié à la compé­ti­tion. Lorsqu’on passe un examen, qu’on a bien travaillé et qu’on se sent prêt, on est toujours moins sensible à la pression.


Les sœurs Williams ont une respon­sa­bi­lité dans l’état du tennis féminin, aujourd’hui ? Certains le pensent, quand d’autres disent que le circuit masculin, avec Federer et Nadal, déva­lo­rise natu­rel­le­ment son pendant féminin…

Le tennis masculin connaît une décennie de rêve. Après Sampras et Agassi, qui ont occupé le devant de la scène, c’est Nadal et Federer qui règnent sur le tennis mondial. Leurs styles et leurs person­na­lités sont diffé­rentes et rendent le tennis masculin passion­nant à suivre. Le tennis féminin a, de son côté, souf­fert du départ à la retraite de nombreuses cham­pionnes : Henin, Clijsters, Davenport, Hingis. Avant de voir deux d’entre elles revenir, ce qui produit une confu­sion certaine. Aujourd’hui, Serena, Sharapova ou Clijsters ne jouent que par inter­mit­tence. Ce circuit manque de passion pour le jeu. C’est l’inverse, chez les hommes, avec Federer et Nadal qui se reven­diquent amou­reux du tennis. Il serait inté­res­sant que la WTA commu­nique sur le jeu des cham­pionnes, plutôt que sur leur dimen­sion glamour. Pour moi, on ne peut pas jeter la pierre aux sœurs Williams. Elles ont énor­mé­ment apporté au jeu et conti­nuent de le faire, à tel point qu’on est nombreux à s’inquiéter, vrai­ment, de ce qui se passera lorsqu’elles annon­ce­ront leur retraite. Rien qu’au niveau des droits télé qu’elles génèrent… Elles pèsent très lourd dans l’économie géné­rale du tennis féminin.

Après l’arrivée sur le circuit des pays de l’est, à quoi peut‐on s’attendre ?

Depuis dix ans, déjà, on nous parle d’une vague venant de l’Asie, en parti­cu­lier, de la Chine. Elle n’arrive pas vrai­ment parce que ce pays ne possède pas la connais­sance tech­nique du tennis. Peu de tech­ni­ciens étran­gers ont pu demeurer en Chine pour apporter leur savoir… Cependant, de nombreuses jeunes Chinoises s’entraînent et le niveau général de connais­sance augmente. Pour ce qui est des pays de l’est, le tennis y était vu comme un moyen de s’en sortir sur le plan finan­cier. C’est la raison pour laquelle les joueuses de ces pays sont si moti­vées, si profes­sion­nelles dès leur plus jeune âge. Ca permet à beau­coup d’entre elles de réussir à percer. Elles conti­nue­ront d’être très présentes dans les années à venir.

Est‐ce qu’une joueuse ne joue pas, avant tout, pour faire plaisir à son père ? (Rires)

Il existe mille raisons pour se lancer dans une carrière de haut niveau. Dans tous les cas, il y a, au moins au départ, la volonté de plaire à ses parents et leur montrer ce dont on est capable. Garçons, comme filles, en passent par là. En revanche, l’amour de la compé­ti­tion et celui de ce sport doivent un jour prendre le relais. Trop de joueuses entrent dans une carrière profes­sion­nelle pour des raisons finan­cières. Et ce que fait la WTA, en ne valo­ri­sant que l’aspect glamour du tennis féminin, détourne beau­coup de joueuses de l’essence de ce sport.