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Pierre Barouh : « La vraie élégance de Federer, c’est qu’on ne sente pas l’effort »

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Auteur‐interprète de La bicy­clette, compo­si­teur de la musique d’Un homme et une femme, réali­sa­teur de Saravah, produc­teur de Jacques Higelin ou Brigitte Fontaine, mais surtout volleyeur de haut niveau ayant goûté avec passion au tennis et au squash, Pierre Barouh est l’âme la plus vaga­bonde du paysage fran­çais, et un vrai prosé­lyte de la reli­gion Federer. Cet inter­view a été publié dans le cadre de notre dossier Federer, l’ar­tiste, dans le numéro 14 de GC

Pierre, quand est‐ce que tu as commencé le tennis ? 

J’ai commencé un peu tardi­ve­ment. J’ai fait une carrière de joueur de volley‐ball, et je suis venu au tennis juste après. Je suis obligé de rappeler que je suis né en 1934 et pour un petit banlieu­sard de Levallois‐Perret, le tennis était un sport plutôt privi­légié à cette époque. On ne trou­vait pas des courts aussi faci­le­ment qu’aujourd’hui. Mais je m’en sortais bien avec une balle. Je n’ai pas de grande qualité physique mais avec le volley, j’ai toujours eu de très bonnes qualités de coor­di­na­tion. Et puis après le tennis, j’ai décou­vert le squash, à une époque où il n’y en avait qu’un seul à Paris, rue Lauriston. Et comme je suis d’un prosé­ly­tisme insup­por­table, je l’ai fait décou­vrir à plein de gens dont l’ami Pierre Barthes. J’ai frimé pendant trois jours face à lui mais après il m’a très vite mis la pâté. 


Tes idoles ? 

Oh, plein de gens, mais je dois dire que mes amitiés avec Pierre ou d’autres m’amenaient à ne pas rater un seul Roland Garros. En paral­lèle de la quin­zaine était orga­nisé le tournoi des artistes que je jouais chaque année, et que j’ai même remporté. Côté joueurs, j’aimais beau­coup Noah. Il y avait un vrai panache dans son jeu. Leconte égale­ment, qui faisait tout, les points et les fautes. Il n’avait besoin de personne. (Rires) Et puis j’avais adoré l’espièglerie de Chang face à Lendl. Son service à la cuillère sur le premier service (Rires). Sur le deuxième service à la rigueur pour­quoi pas, mais sur le premier…


A l’époque, tu as fait une chanson sur Guillermo Vilas, pour­quoi lui ? 

L’organisateur du tournoi des artistes avait demandé aux chan­teurs qui jouaient au tennis d’écrire une chanson pour les joueurs. Et tout le monde avait choisi Borg ou McEnroe. Mais il n’y avait rien pour Vilas, alors j’ai écrit une chanson sur lui pour rappeler qu’il était le premier des grands tennismen sud‐américains. C’est lui qui a ouvert la porte au tennis latino. 


Mais est‐ce que tu serais aujourd’hui capable d’écrire une chanson sur Federer ou sur Nadal ? 

Moi j’ai besoin de me sentir provoqué. J’ai écrit une chanson qui s’appelait « Le tennis » parce que je me sentais provoqué par le sport. Ca m’intéresse toujours tout en essayant d’éviter le côté « Youpi », « Olé Olé ». Dans le Vilas, il y a un texte parlé qui dit « Moi qui déteste les frontières/Je ne souhaite pas que le sport/Ne soit plus qu’un pauvre transfert/Des guerres et de l’import-export ». Il y a un vrai regard sur ce que repré­sente le sport qui pour moi, tout au long de ma vie, a signifié quelque chose d’important.


Cet été, juste avant que tu chantes au Palais Idéal du Facteur Cheval, tu nous as parlé de Federer avec des mots qu’on n’avait jamais entendu, es‐tu un Federien ?


J’aime beau­coup Federer. J’aime beau­coup Nadal aussi hein ! Parce que chez Nadal, il y a une volonté incroyable et une passion qui l’envahit, mais Federer c’est mon préféré. 


Pourquoi ? 

Parce qu’il est dans une logique qui m’est obses­sion­nelle et qui ne concerne pas que le sport. Pour moi, la vraie élégance dans quelque domaine que ce soit, c’est qu’on ne sente pas l’effort. C’est vrai pour l’écriture, c’est vrai pour les chan­teur, c’est vrai pour les acteurs et Federer est exac­te­ment dans cette mouvance. Je prends toujours l’exemple du gardien de but. Il y en a un qui prend trois buts par match mais qui fait des grandes envo­lées spec­ta­cu­laires, et l’autre qu’on ne remarque pas parce qu’il est tout le temps sur la trajec­toire de la balle, il est d’une sobriété exem­plaire. Et pour moi, Federer est l’illustration de ça. Le novice qui va le regarder jouer se dit « Tiens, je pour­rais m’y mettre parce que ce qu’il fait me semble simple et évident ». Il y a cette élégance‐là. Chez Nadal, on sent l’effort. Ca ne veut pas dire que ce n’est pas bien. Ce n’est pas péjo­ratif hein ! mais cette notion d’élégance est importante. 


Est‐ce que ça résonne avec ta façon de procéder pour écrire des chansons ? 

Oui, je dis souvent que la contrainte doit solli­citer l’imagination, donc quand j’écris, je m’impose des contraintes incroyables. Certaines qui sont évidentes comme les rimes, d’autres qui sont beau­coup plus person­nelles comme le jeu des alli­té­ra­tions. Il y a des gens comme Georges Brassens qui m’ont appris ça. Brassens a presque tout écrit en octo­syl­labes et il y a certaines chan­sons où ce fou obses­sionnel de l’écriture fait arriver des rimes extrê­me­ment riches au bout du 4ème pied. Regarder une chanson aussi connue que le Vieux Léon. « Y a tout à l’heure/Quinze ans d’malheur/Mon vieux Léon/Que tu es parti/Au paradis /D’l’accordéon/Parti bon train/Voir si l’bastrin‐/gue et la java/Avaient gardé/Droit de cité/Chez Jéhovah ». Rimes riches hein ! mais, élégance, tout est au service du portrait que Brassens dessine, de la fresque qu’il est en train de tracer. Cette chanson‐là, il a dû rester quatre, cinq, six mois dessus, mais ça coule, ton imagi­na­tion est solli­citée, et tu t’embarques dans le voyage sans une seconde pouvoir cerner à quel point il a dû ramer sur son texte. C’est ça l’élégance.


Mais il y a quand même une spéci­fi­cité chez le sportif et même chez Federer, c’est la ques­tion de l’efficacité, quelque soit l’esthétisme. Il y a des moments où Federer va devoir le mettre le bleu de chauffe et se passer d’élégance.

Oui, mais moi je n’arrive pas à disso­cier cela chez lui. Il y a des moments où il est au charbon, mais on ne va plus voir chez lui les mouve­ments brusques ou les mouve­ments de révolte spec­ta­cu­laire qu’il y avait chez McEnroe. Tout reste dans la sobriété même en étant en diffi­culté. Et puis encore une fois il y a ces gestes tech­niques éblouis­sants qui te paraissent complè­te­ment évidents. McEnroe, j’ai adoré, un très grand tennisman, avec un orgueil surdi­men­sionné, mais Federer c’est irrem­pla­çable, c’est le top, c’est parfait. 

Alors est‐ce que la perfec­tion de Federer n’a pas un gros défaut : il est suisse (Rires)

(Rires) Tu sais que dans mon dernier album qui s’appelle « Daltonien », j’écris ça : « Daltonien, cela te va très bien, toi qui ne veut dépendre des couleurs dési­gnant les humains à qui tendre la main »

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