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Sumyk : « Merci Federer ! »

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Lors de la réali­sa­tion de « Roger, mon amour », nous nous sommes inter­rogés sur la notion de clan et son impor­tance dans la carrière de Roger Federer. Pour l’occasion, nous avons mis à contri­bu­tion Sam Sumyk. L’entraîneur d’une numéro un mondiale et leader de son staff qui met en lumière les fonde­ments de l’équipe d’un numéro un mondial. La boucle est bouclée. Entretien – et autant vous dire que notre Sam est en grande forme ! Accrochez‐vous !

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Roger Federer travaille toujours avec un clan très restreint. C’est une clef de sa réussite ?

Je n’aime pas la notion de « clan ». Elle sous‐entend une orga­ni­sa­tion clanique, gérée par un gourou ou, pire, une orga­ni­sa­tion toté­mique. Roger ne doit pas être très éloigné de moi. Pensons toujours « équipe », qu’elle soit impor­tante ou limitée. En l’oc­cur­rence, si Roger a souhaité travailler avec une équipe restreinte, celle‐ci est mani­fes­te­ment équi­li­brée, harmo­nieuse et effi­cace. Son expé­rience person­nelle et son humi­lité natu­relle font qu’il sait s’en­tourer de peu de colla­bo­ra­teurs. Mais c’est du lourd en choix humain… Savoir s’en­tourer de compé­tences, c’est effec­ti­ve­ment une des clefs de sa réus­site. Chacune de ces personnes ont été choi­sies pour un rôle bien précis, avec des compé­tences bien défi­nies… Rôles et compé­tences inter­dé­pen­dants, bien entendu.

La notion de clan favo­rise la perfor­mance, tout en évitant la dispersion ?

La notion de clan, pour moi, c’est toujours une notion de groupe. Le fait d’avoir un team limité évite, effec­ti­ve­ment, la disper­sion. Plus on est nombreux, plus on délègue, plus les parti­ci­pants actifs solli­citent tout ou partie d’un brin de réus­site, tandis que peu prennent en charge les moments diffi­ciles ou l’absence de victoire. Les exemples sont légion. L’équipe réduite, sous l’égide d’une direc­tion saine, permet de distri­buer inti­me­ment le rôle de chacun et, par consé­quence, de tirer le meilleur des poten­tia­lités indi­vi­duelles. C’est, du moins, mon avis personnel sur la ques­tion. A chacun sa méthode, toute­fois, mais force est de recon­naître que cet exemple sert les inté­rêts de Federer. Sa famille revêt une impor­tance capi­tale, aux nombreux facteurs d’équilibre.

Dans le clan d’Azarenka, vous vous êtes visi­ble­ment répartis les rôles, en distin­guant l’as­pect tech­nique de l’as­pect physique. C’est indis­pen­sable pour parvenir au plus haut niveau ?

Les rôles sont bien répartis dans l’équipe, oui. Comment peut‐on y échapper ? Chacun est à sa place dans une fonc­tion précise. La prépa­ra­tion physique, d’un côté, la physio­thé­rapie, de l’autre. Néanmoins, je ne distingue pas les deux, l’art étant préci­sé­ment de les confondre. Ma vision person­nelle m’incite à lier les deux ensembles, sans privi­lé­gier le physique sur la tech­nique, ou l’inverse. Sachant qu’au très haut niveau, atten­tion, il existe plus de deux prota­go­nistes autour de l’athlète. Il vaut mieux coor­donner tout ce petit monde qui œuvre au déve­lop­pe­ment du sportif… et il faut voir ce déve­lop­pe­ment dans sa globa­lité. Toutes ces compé­tences ne doivent faire qu’un. En fait, ce qui est indis­pen­sable pour parvenir au plus haut niveau, c’est d’avoir le ou la meilleure.

« La famille de Federer revêt une impor­tance capitale »

Roger a expliqué que son succès à Wimbledon était lié à son équipe. Qu’est-ce que ça signifie ?

Federer a expliqué son succès à Wimb’ par le travail de son équipe… Le maître, en l’oc­cur­rence, doit savoir de quoi il parle. En fait, il partage cet exploit avec une équipe réduite, mais d’ex­cep­tion­nelle qualité. Quand on vit ces moments rares, on se tourne vers ses proches. Ce sont eux qui, en premier lieu, ne cessent de vous affirmer leur soutien. Grace à ça, grâce à eux, vous conservez votre confiance et vos croyances. C’est le résultat incon­tes­table et incon­testé et la preuve d’une réus­site d’équipe. Il suffit de voir les entraî­ne­ments de Roger pour observer que c’est une équipe unie… 

On a du mal à comprendre ce que signifie la vie en groupe autour d’un athlète de haut niveau ?

La vie autour d’un athlète… Il n’y pas grand chose à comprendre. C’est diffé­rent, selon qu’on se trouve en période d’en­traî­ne­ment, de prépa­ra­tion ou de compé­ti­tion. En compé­ti­tion, l’es­sen­tiel est boulot tennis­tico, bobo et dodo… C’est le plus dur à mettre en place, c’est ici que les indi­vi­dua­lités s’ex­priment le plus. Chacun fait son job, ce qui exclut ou réduit la commu­ni­ca­tion. Le soir est plus propice aux discus­sions et aux points précis à résoudre. En fait, on est obnu­bilés par le résultat de son ou sa protégée. Le but est d’avancer, de toujours cher­cher à s’amé­liorer, de trouver et de se donner les moyens pour. Nous, et bien on passe à l’arrière plan. Il n’y a pas besoin de grands mots. Un regard, une atti­tude, un mot lâché… Ca me va bien. Bref, le quoti­dien se situe toujours dans la recherche de la perfor­mance. Parfois, tous ensemble… Souvent seul.

Dans l’idée de clan, il y a l’idée du secret. C’est fondamental ?

Le clan ou… le groupe, je préfère… L’idée du secret. Il n’y a pas de secrets, mais il y a « méthode ». Il y a « inti­mité », peut‐être, mais pas de secrets. En tennis, comme ailleurs, il n’y a pas de : « Que sais‐tu que je ne sache déjà ? » Il y a, sans aucun doute, des secrets de poli­chi­nelle. Les gens mysté­rieux qui laissent entendre de poten­tiels secrets gardent, au fond de leur âme, leurs errances ou leur mauvaise foi… Et puis, tout secret est fait pour être révélé, non ? A mon sens, « discré­tion » exprime plus juste­ment la réalité… Et, oui, elle est néces­saire au groupe.

Où situer le rôle de ce dernier pour accepter et gérer la pression ?

Le rôle du clan ou le rôle des glands. Très souvent, je pense à l’ou­vrier d’usine, à ces arti­sans et autres qui triment pour nourrir leur famille. Eux parlent égaux. Nous, le même mot : « égos ». Ca se prononce pareil, mais ça n’a pas le même sens. Gérer la pres­sion… quelle pres­sion ? Qui a la pres­sion ? Au bar, peut‐être, comme décon­trac­tant. On fait un métier lucratif, un métier inté­res­sant. Beaucoup voudraient être à notre place. Alors la petite pres­sion dont nous sommes les petites victimes doit se trans­former en quelque chose de ludique. Jouer au tennis reste un plaisir excep­tionnel… Savoir d’où l’on vient aide à supporter ces vicis­si­tudes. Je crois que la seule pres­sion accep­table, c’est le senti­ment de bien faire son boulot. L’exigence.

Le groupe, ça permet aussi de diluer les respon­sa­bi­lités…

Allons‑y, cette fois, pour l’idée de commu­nauté… Dans tout groupe dûment constitué avec des éléments choisis, il s’agit, bien sûr, de délé­guer des respon­sa­bi­lités. Chacun sa spéci­fi­cité, le partage des connais­sances, le souci de tirer vers le haut .Voilà un programme inté­res­sant à construire. De l’al­truisme, de la géné­ro­sité et, plus encore, le partage. C’est ce qui fonde une véri­table équipe. Tout ça, sans réten­tions parti­cu­lières de connais­sances. Federer, dans sa quête, n’en dit pas moins… Il semble se fier à son équipe, le mérite lui en revient… Il a choisi… Comme nous tous, ce fut, pour lui, cher­cher les bonnes personnes et se priver de ce qui ne lui conve­nait pas. La quête d’idéal existe‐t‐elle au tennis ?

« La discré­tion est néces­saire au groupe »

Etre plusieurs, c’est aussi se retrouver en famille quand ça va mal ? La commu­ni­ca­tion dans le clan se joue à des détails, comme tu aimes à le dire…

Effectivement, je confirme, l’es­sen­tiel se joue dans la foul­ti­tude de détails… Des dizaines de para­mètres… Des centaines de points à gérer, des milliers de choses à évacuer. Là se joue le « bien‐aller » et le « mieux » pour son athlète… En sachant, malgré tout, que l’ensemble est injouable. Après, quand tu dis « être à plusieurs, c’est aussi trouver les solu­tions à plusieurs », je m’ins­cris en faux, car il n’y a pas de solu­tions à plusieurs mais une seule solu­tion pour l’ath­lète… Etre le meilleur, le meilleur, au singu­lier et pas de « s » à solu­tion. Dans tous les cas de figure, c’est un groupe, une asso­cia­tion, une entité… mais pas une famille. Une famille, on en a tous une vraie, de sang. Et, quand ca va mal ou moins bien, on y est vrai­ment accueilli, on y retrouve sa place. Sa juste place.

Chez Federer, qu’est‐ce qui t’a toujours le plus impres­sionné ?

Sa simpli­cité… Une merveille. Ce joueur‐là est resté intact. Médiatiquement harcelé, les suppor­ters excités, l’hys­térie collec­tive et j’en passe… Une femme, des fillettes, une partie de tennis, une vie tran­quille, des espaces à lui… Le même qu’à l’ori­gine, je pense. La vérité nue, comme au premier jour. Rare d’être ainsi dans le milieu du tennis. « Authentique » serait aussi un terme appro­prié, ordi­naire dans sa qualité de star, humain, sans doute… et son jeu… Ma Doué, comme on dit chez moi… Un jeu de benjamin où tout coup devient simple et biblique. Ca caresse la balle, ça lifte beau et, en plus, ça place où ça veut, ça va à 10 000 et, surtout plus encore, c’est… intel­li­gent. Jamais rien vu de si beau. A force de le voir et de le revoir produire et repro­duire son tennis de rêve, il est arrivé à nous faire croire que tout ça est, en défi­ni­tive, d’une simpli­cité enfan­tine… magique, gran­diose… Quel bonheur, quel privi­lège j’ai de voir ce mec‐là sur le circuit presque toutes les semaines…

Tu as une anec­dote liée à Roger Federer ?

Non. A part que, lorsque je regarde son revers… Je me dis qu’il a dû s’ins­pirer du mien ! (Rires) Je me demande si Roger n’est pas venu en vacances sur la pres­qu’île de Quiberon et si, ce jour‐là, il ne m’a pas aperçu répéter mes gammes sur l’un des courts muni­ci­paux… (Rires) Bref, vous l’aurez compris, laissez‐moi rêver.

C’est possible qu’un cham­pion veuille gagner pour son clan ? Est‐ce qu’il ne doit pas plutôt être égoïste et vouloir gagner pour lui, avant tout ?

Le ou la cham­pionne ne veut pas, a priori, gagner pour son clan, il veut d’abord gagner pour lui‐même et c’est normal. Ensuite, c’est facul­tatif et ça dépend du patri­moine affectif dont il est doté. S’il est normal que le cham­pion restitue un peu de son triomphe à son team, certains s’en foutent éper­du­ment, consi­dé­rant que leur bétail n’a fait que son boulot. En réalité, les grandes démons­tra­tions affec­tives m’agacent. Je préfère un regard bien­veillant et complice, à l’abri de tous les yeux friands de ces mani­fes­ta­tions. Pour ce qui est de l’égoïsme du cham­pion, je répon­drais ceci… Le cham­pion doit jouer pour lui seul. Si les victoires suivent, il doit partager selon sa manière d’être. En résumé, j’aime le sens où « donner » n’est que « prendre »… Aloha.

« Le cham­pion doit jouer pour lui seul »

Comment on gère les égos au sein d’un clan ? Qui a le dernier mot dans les discussions ?

Les égos… On ne gère pas les égos, on les atténue par leur érosion progres­sive. Il faut toujours faire avec les égos… Qui n’en a pas ? Il n’y a pas de dernier mot, pas plus qu’il n’y a de vain­queur. Vouloir avoir le dernier mot occulte tous les autres en devenir. Il y en aurait un, pour­tant, « adieu », celui qui clôt une histoire… Le clap de fin. Vouloir avoir le dernier mot, c’est de type égotique, vouloir gagner sur le dernier mot, c’est avouer ses peurs… et pour­tant, il y a toujours celui qui termine par un mot… Quels maux ! Par contre, il y a des respon­sa­bi­lités à prendre, des déci­sions finales. Et ça, ça ne peut appar­tenir qu’au coach ou au joueur. Parfois ils le font ensemble, d’un avis commun.

Question bête : tu aurais aimé coacher Federer ?

D’abord, est‐il coachable ? A mon avis, il a plus de connais­sances que tous les coaches de la terre. En fait, j’au­rais aimé l’accompagner, ouais, l’ac­com­pa­gner, son pote, quoi, sachant que j’au­rais plus appris de lui que lui de moi. Etre à côté, paisible, boire un coup avec lui, échanger. Je me vois bien le coacher sur une terrasse, en Suisse, devant un Margaux, un Pessac‐Léognan. Et, s’il n’aime pas ça, une bièrette fera l’af­faire. Ou, pire encore, va pour une tisane. Le souci serait d’être là… apprendre… savoir… partager. Merci Roger.

Parmi ses titres, lequel lui ressemble le plus ?

Il ressemble à ses titres ou ses titres lui ressemblent ? Vaste ques­tion. Le plus grand palmarès du monde. Pas ennemi des terriens, dur ou mou, il s’ac­com­mode, il bouffe même du green, il ne ressemble à personne, en fait. Le plus beau de ses titres, c’est, pour l’ins­tant, les jumelles et Mirka. Le reste n’est qu’anecdotique…

Dernière chose : qu’est-ce que l’on retiendra de Roger, en‐dehors de son palmarès ?

La chance d’avoir vécu cette époque.