Thierry Tulasne, le coach de l’année, celui de Gilles Simon revient pour nous sur le moment où la carrière de son « poulain » a bascule. Il commente point par point l’interview accordée à notre confrère Frédéric Bernes de l’Equipe par celui qui venait de terrasser Rafael Nadal sur ses terres lors d’un match d’anthologie. Décryptages.
« J’ai aussi eu confirmation que ce n’est pas parce que t’es pas beau au début du tournoi que tu ne peux pas aller loin » (NDLR : Cette citation comme celles qui suivront sont tirées de l’interview accordée au journal l’Equipe par Gilles Simon à Madrid à l’issue de sa victoire face à Nadal)
C’est un point très très important. C’est Henri Cochet qui m’avait dit un jour : « Tu seras très fort quand tu auras compris que la plupart des matchs, on les gagne en jouant mal », et cette devise, j’y crois vachement. La plupart du temps, les joueurs sont beaucoup centrés sur les sensations. Quand ils arrivent sur un tournoi, ils essayent de sentir les balles. Souvent ces sensations ne sont pas bonnes en arrivant sur un tournoi pour différentes raisons d’ailleurs : décalage horaire, adaptation à la surface. C’est pour cela que c’est important de parvenir à passer les premiers tours même en jouant mal.
« Le déclic s’est passé à Indianapolis en juillet »
C’est 100% vrai. Quand je suis avec lui, il s’appuie sur ce que je dis. Avant Indianapolis, on n’avait fait que deux jours d’entraînement. Il n’était pas prêt. Mentalement il y était mais mais pas tennistiquement. Il voulait absolument se préparer pour les Masters Séries qui suivaient car ce sont des échéances très importantes quand on vise le top 10. Son objectif c’était de faire le plus de match possibles. Il est donc arrivé à Indianapolis sans trop de préparation mais avec l’idée forte de se coacher lui‐même, de rester positif, de se bagarrer sur chaque point.
« Oui, je peux attaquer et finir les points »
La qualité de base de Gilles Simon c’est le jeu de contre et aussi le fait qu’il soit très dur à déborder. Sachant cela, on a tous les deux bien réfléchi pour progresser dans d’autres registres. On sait aussi que pour battre les meilleurs, il faut jouer juste et donc savoir tout faire : attaquer, volleyer, défendre. Par exemple, il ne savait absolument pas volleyer en revers. C’est pour cela qu’au début de la saison, on a travaillé comme des forcenés. Aujourd’hui il n’a plus d’appréhension.
« Je sais que j’ai une grande endurance »
Gilles Simon a des super tests physiques au niveau de l’endurance et aussi en vivacité. En fait, comme souvent il a été en retard tennistiquement, il restait à l’Insep à s’entraîner. Comme il ratait des tournées à cause de son classement, il faisait beaucoup de courses à pied. Il courait tout le temps. A mon avis, il a développé ces facultés. Moi qui court bien, j’ai du mal à le suivre. C’est le meilleur coureur que j’ai jamais eu.
« Je fais aussi attention à ne pas vouloir tout révolutionner n’importe comment »
C’est un point important, prenons la musculation. Tous les spécialistes m’ont dit qu’il pouvait améliorer sa puissance musculaire d’au moins 10%. On a donc mis en place un plan d’action, mais toujours sans se précipiter. On a fait plutôt du haut du corps car on a peur qu’en faisant du bas du corps, il se fasse mal au genou. Il soulève déjà plus que son poids de corps en développé couché, c’est très bon. On travaille surtout cela pendant l’hiver. On essaye de l’entretenir pendant les tournois mais cela reste compliqué. La surcharge de travail, c’est ce qu’il y a de pire. En plus, comme il fait beaucoup de matchs, c’est compliqué. Maintenant, avec son classement ce sera plus facile.
« Avant, je me sentais comme la gazelle qui doit bouffer le lion. Dans la savane, ça n’arrive jamais ça. »
Je trouve ça génial, cela résume parfaitement son état d’esprit. Gilles est un matcheur, un compétiteur. Cette réflexion résume aussi son état d’esprit. Cette réflexion, c’est du pur Made in Simon.
« Quand j’ai gagné à Marseille l’an dernier, en battant Hewitt et Baghdatis, je me disais : « Ah, tiens, là ça va causer ». Et puis pschitt »
Comme tous les joueurs, Gilles a besoin de reconnaissance. A juste titre, il trouvait que son parcours n’était pas assez valorisé dans les médias. Et tout d’un coup, ça s’inverse, il est donc vachement content. De plus, je pense que certains sont un peu jaloux de la qualité de ses répliques, de ses analyses alors qu’il le fait tout à fait naturellement. Mais quel que soit ce qui se passe, Gilles a une vraie force, c’est qu’il accepte qu’il y ait des gens qui l’aiment et qui ne l’aiment pas, alors que dans ce monde on veut souvent être aimé par tout le monde.
« Je pense que j’ai gagné ma place dans l’équipe dans le sens où j’ai montré que je pouvais assurer »
Je connais bien Guy Forget, l’équipe n’est pas une chasse réservée ou gardée. Il n’y a pas plus impartial que Guy. En tant que capitaine, il sait qu’il peut faire tourner un match grâce à son coaching. C’est pour cela qu’à niveau égal, c’est l’expérience qui prime. Tous les joueurs rêvent de participer à cette épreuve mythique, Gilles le premier. Depuis le début je ne lui répète qu’une chose : quand tu seras prêt, tu joueras. Les joueurs ne se rendent pas compte. Jouer la Coupe Davis c’est une lourde responsabilité, cela vous tombe dessus quand vous êtes sur le court, et quelques fois c’est peut‐être déjà trop tard. Il faut vraiment être prêt, sinon cela peut avoir des conséquences presque dramatiques sur votre carrière.
Comment expliquez le succès du tennis français
D’abord il y a un super système qui part des clubs avec des professeurs passionnés, bien formés, des formations régulière au niveau qui viennent faire des formations,. Le programme avenir également est bien pensé parler, il y a partout des personnes talentueux qui cherchent les meilleurs jeunes. A tout cela il faut rajouter le sport études, mais aussi le système individualisé, enfin dans le haut niveau il y a une concurrence saine entre le Team Lagardère et la Fédération, et j’ai tendance à dire que c’est un peu grâce à Lagardère qu’il y a eu cette émulation. Enfin, les joueurs s’entendent super bien, se respectent beaucoup, contrairement à mon époque où même si Guy, Yannick, Henri étaient des supers potes , je dois bien avouer que j’étais heureux quand ils perdaient. Aujourd’hui c’est pas le cas, il quand un de leurs potes perd, ils sont déçus pour leur copain. Quand Jo fait sa finale à l’Open d’Australie, Gilles est content mais il dit : « Si Jo l’a fait, je peux le faire, Jo n’est pas plus fort que moi. Jo, je connais ses forces ses faiblesses donc je peux le faire. »
Quelle est l’image de la France sur le circuit ?br />
On est super respecté pour notre système de formation, on est questionné. Après, c’est vrai qu’en revanche on a un déficit en terme de capacités à être fort dans les grands évènements sauf en Coupe Davis, un succès en tournoi du Grand Chelem.
Est‐ce que tu penses que si l’un en rapporte un, cela va enclencher un déclic ?
Oui j’y crois vachement à ça..
Tout ton travail avec Gilles est réalisé pour cet objectif ?
Clairement oui, l’objectif c’est gagner un tournoi du GrandChelem même si en France il ne faut pas s’afficher, il faut aller lentement au niveau des objectifs autrement c’est mal interprété. Forcément je sais que Gaël, Gilles, Jo et même Richard ont au fond d’eux cette croyance, celle de gagner un tournoi du Grand Chelem. Notre préparation 2009 est axée là dessus. Gaël est pas loin à Roland Garros, Jo s’il prend le 4e, il gagne, faut continuer à travailler s’améliorer..
Coacher Gilles, cela doit être intéressant !
Oui, mais je me vois bien aussi coacher Gasquet, le rôle d’un coach s’est de se mettre dans la psychologie du joueur tout en gardant ses idées. Quand j’ai coaché Sébastien Grosjean je suis arrivé à me mettre au niveau, à comprendre son fonctionnement. Et c’est vrai que Simon c’est un cadeau pour un entraineur si tu arrives à rentrer dans sa manière de penser. Après moi j’aime ce métier, et je me régale, chaque joueur amène quelque chose de différent. Plus les joeurs sont « durs », plus on apprend, surtout dans la réussite. Et mon objectif en tant que coach c’est de réaliser ses objectifs et après j’ai des rêves comme ce qui s’est pas,sé à Madrid.
Coach c’est mieux que joueur ?
Joueur tu es dans l’action, là c’est plus cérébral, on est actif surtout dans la préparation.
Avoir été joueur de haut niveau cela aide forcément..
Quand tu as été joueur de tennis, et notamment top 10, tu pars avec la connaissance du milieu, du jeu. C’est un vrai avantage. Après je pars aussi avec un handicap. Un égo très développé, une certaine façon de jouer, de fonctionner. Si je me base là‐dessus, je vais dans le mur, trop de coaches oublient que c’est un métier à part, qu’ils ne suffit pas de mettre en place ce qui fonctionne quand on est joueur. C’est vraiment un métier différent, il faut éviter de s’appuyer sur son ressenti de joueur.
Tu joues encore ?
Je ne fais pas fait de tournois, mais je joues tous les jours, je dois jouer −4÷6, je suis un très bon sparring pour Gilles. Cela est un vrai avantage sur le circuit en terme de programmation et d’emploi du temps, on ne courre pas partout pour trouver un partenaire. C’est aussi important parce je ressens des trucs quand je fais des points avec lui, cela me permet de savoir ce qu’il fait mal et bien, c’est aussi important pour connaitre les conditions de jeu. Pour le cordage aussi, je teste et on partage, par rapport à ce que je ressens. Je lui dis moi je tendrai un peu plus etc..
Est‐ce que tu as des modèles en tant que coach ?
Geoges Deniau, Larri Passos, Bob Drett, Paul Annacone, Brad Gilbert.
Que penses‐tu de Patrick Mouratoglou ?
C’est quelqu’un de très passionné, mais qui à beaucoup d’humilité, il prend à droite à gauche, il amène beaucoup, il a soit d’apprendre, de progresser, c’est très positif pour le tennis français…
Coach c’est donc un travail de formation qui est permanent ?
On se nourrit de tout, de discussions, tous les coaches sont comme ça voir, on essaye de voir comment font les autres, de trouver de nouveaux trucs. Je m’arrête jamais, quand j’étais joueur j’étais dans une bulle par rapport aux valeurs humaines, le fait de donner cela m’a enrichit, ma vie sur le circuit est un vrai bonheur.
Publié le lundi 8 décembre 2008 à 10:27