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WLT rencontre… Marc Gicquel

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Marc Gicquel est un vieux bris­card du circuit. Éclos sur le tard au haut niveau, il en a déjà vu beau­coup… Il nous semblait inté­res­sant de l’in­ter­roger sur les matches de la décennie, ce qu’il juge être un grand match et ses préfé­rences en termes de tennis. Réponses avec son franc parler habituel.

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Qu’est‐ce que c’est un grand match, pour toi : une démons­tra­tion d’un joueur en état de grâce ou un duel extrê­me­ment disputé, gagné au bout du suspense ?

Je suis plutôt du second avis. Pour moi, un grand match, c’est une oppo­si­tion entre deux grands joueurs. Une oppo­si­tion, une vraie, qui peut être une oppo­si­tion de style, où il y a de gros points, de gros rallies, des rebon­dis­se­ments, des balles de match sauvées, un finish à 10–8 au cinquième… Je pense tout de suite au Federer‐Nadal, de Wimbledon 2008, avec ces péri­pé­ties et cette fin incroyable. Dans la dernière manche, ça jouait bien des deux côtés – c’est impor­tant. Alors, évidem­ment, voir Federer gagner trois fois 6–1 en jouant un tennis parfait, c’est agréable aussi. Mais, pour moi, un grand match, c’est ça : un match où il se passe plein de choses, couronné de beaux jeux.


Et toi, Marc Gicquel, quel serait le plus grand match en Grand Chelem que tu as vécu sur le court ?

C’est simple, c’était contre Nicolas Kiefer, à Roland Garros 2006, au deuxième tour. Et j’avais perdu ! Mais dans des condi­tions parti­cu­lières. Je perds les deux premiers sets 6–1 6–0, en 35 minutes. Ca se passe sur le Court n°2, qui est vrai­ment bondé, comme souvent. Je gagne la troi­sième manche, 7–5. Il y a quelques inter­rup­tions. Puis, je gagne la quatrième, 6–3. Et je finis par perdre le match 11–9, au cinquième set, sous les yeux d’un public resté du début à la fin pour m’en­cou­rager. Au‐delà du fait que ça jouait très bien en fin de rencontre, j’ai surtout retenu de ce match l’idée de lutte et de bataille : mené deux sets‐zéro, je suis encore en vie, je m’accroche et je reviens, soutenu par le public. J’ai la chance que ce soit en Grand Chelem ! (Rires) Il y avait une super ambiance, de beaux points, le public était derrière moi, m’en­cou­ra­geait, et certaines personnes regar­daient même depuis le Central. Franchement, j’ai adoré ! Je suis sorti du match content d’avoir vécu un moment comme celui‐là. Un peu déçu, certes, mais surtout content.


Il y a aussi un gros match que tu gagnes contre Gaston Gaudio, à l’US Open…

Effectivement, c’est un grand souvenir aussi. L’enjeu, c’était de me quali­fier pour mon premier huitième en Grand Chelem, qui plus est, face à Federer. Je venais de battre Juan Carlos Ferrero et je devais m’attaquer à Gaston Gaudio. On le connaît, c’est un joueur qui a gagné Roland Garros, qui était encore 25ème mondial à l’époque. Sur le terrain, de temps en temps, il était un peu noncha­lant et jouait en marchant… Alors, je gagne le premier set, 6–0, en un quart d’heure. Et puis, il se réveille ! Je perds les deux manches suivantes, 6–4 6–4. Je sauve des balles de break dans la quatrième, avant de la gagner. On part, alors, sur un cinquième et on finit au tie‐break. Ca ne se joue à rien, je fais juste un super jeu décisif. Derrière, je suis gâté, parce que ça me permet­tait d’affronter Federer…


Ce match, contre Roger Federer, à Flushing Meadow, ça doit aussi faire partie de tes plus grands souvenirs ?

C’est sûr ! Le match était prévu sur le Central, en night session, le mardi soir. Mais il avait plu toute la journée, donc on m’avait décalé le lende­main, en journée, sur le Louis Armstrong. J’étais assez tendu en début de match… Pour cause, j’encaisse 12 points d’affilée – ou trois jeux blancs… Sur le premier point que je gagne, je suis, d’ailleurs, ovationné par le public ! (Rires) Après, j’ai réussi à rentrer dans le match et ça a été disputé. Au final, ça fait 6–3 7–6 6–3.


Qu’est‐ce qui t’a impres­sionné, ce jour‐là, dans le jeu de Federer ?

Il fait tout très bien ! Je n’ar­ri­vais pas à lire son service. Et puis, il jouait parfai­te­ment les points impor­tants. Je pense qu’à certains moments, il ne joue pas à fond. Mais il sait monter en régime quand il le faut. Et tout à coup, il accé­lère. Après, il maîtrise beau­coup de choses, de toute façon ; il se déplace super bien, même s’il le montre moins que Nadal, qui a, lui, une vitesse et une puis­sance de dépla­ce­ment incroyables. Quand il touche la balle à la volée, on a rare­ment de deuxième passing à jouer… Lors des cinq minutes d’échauf­fe­ment, j’ai réalisé que c’était lui, en face, et, fran­che­ment, c’était assez impres­sion­nant… D’autant que c’était mon premier huitième de finale. Je venais de rentrer dans les 100, c’était une super expé­rience pour moi. 

Tu as joué contre Novak Djokovic, aussi, il y a long­temps, mais jamais contre Rafael Nadal. C’est quelque chose que tu aime­rais avoir à faire d’ici la fin de ta carrière ?

C’est vrai que j’ai joué pas mal de grands joueurs, Nadal excepté. Même si Djokovic n’était que 35ème quand je l’ai affronté. J’adorerais jouer de nouveau contre les meilleurs, sur de grands courts. C’est ce que tous les joueurs souhaitent, à mon sens : des grands matchs sur des grands courts. J’ai fait Roddick trois fois, Davydenko, trois fois, Murray, deux fois… Nadal, je me suis juste entraîné une fois avec lui. Et, rien que ça, c’était impressionnant !

Et les cinq plus grands matches de la décennie 2001–2011, selon toi ?

C’est dur, ça ! Il va falloir m’aider ! (Rires) Je peux en citer, mais je ne les ai pas forcé­ment regardés. J’ai vu la fin de Roddick‐Federer, à Wimbledon 2009. Il y a aussi Federer‐Nadal, en 2008, qui finit à pas d’heure ! J’avoue ne pas avoir trop de souve­nirs des premières années de la décennie… Par contre, j’aimerais dire un mot sur la finale de l’US, cette année : tout le monde la trouve incroyable, mais, moi, j’ai préféré la demie Federer‐Djokovic. Pourquoi ? D’une part, parce que je préfère le jeu de Federer à celui de Nadal, même si je respecte énor­mé­ment Rafa pour le tennis qu’il pratique et la carrière qu’il a. D’autre part, parce que, quand Federer affronte Djokovic, il sait qu’il va devoir lui rentrer dans la gueule, l’agresser, varier son jeu, monter au filet et tenter service‐volée. Tandis que Nadal, contre Novak, ça va travailler sur de longs échanges. Dans la même veine, il y a Federer‐Djokovic, à Roland. Ca jouait super bien. En plus, c’était la première défaite de Djoko en 2011. Voir Roger heureux comme ça, à la fin du match, avec l’index levé, c’était un grand moment. Après, je ne suis pas forcé­ment objectif, parce que j’aime beau­coup Federer. Par rapport à ce qu’il est, par rapport à l’homme… Je suis moins fan de Djokovic, qui joue, c’est vrai, remar­qua­ble­ment bien. Sinon, comme autres matches, je pren­drais aussi Gaudio‐Coria, à Roland 2004. Le scénario est en tout point drama­tique : Coria mène, puis se crispe et n’y arrive plus, quand Gaudio se libère. C’est un drame dans tous les sens du terme pour Coria, qui le vivra très mal et qui ne s’en remettra pas. D’ailleurs, je l’ai joué quand il essayait de revenir. Il n’ar­ri­vait plus du tout à servir.

Des Français, dans cette décennie de grands matches ?

Oh oui, sûre­ment, avec des matches de Gaël Monfils (Rires) !

Nous, pour notre ouvrage, on en a retenu qu’un seul de Gaël. Celui contre Fognini, à Roland Garros, en 2010. Une rencontre pas forcé­ment excel­lente en termes de niveau de jeu, mais très parti­cu­lière de par son scénario. Par contre, on a sélec­tionné quelques matches de Tsonga, comme Tsonga‐Nadal, à Melbourne, en 2008…

Je ne l’ai malheu­reu­se­ment pas vu, j’étais dans l’avion. Mais j’avais regardé le précé­dent, contre Youzhny. Et puis, de toute façon, Jo avait été énorme sur l’ensemble de l’Australian Open. Pour en revenir aux Français, je me souviens aussi d’un PHM‐Nadal, à Roland Garros, l’année où j’ai perdu face à Kiefer. Je l’avais vu par épisodes. Ils ont joué quatre sets en cinq heures, avec une énorme inten­sité. Embêter Nadal à Paris comme il l’a fait, ce n’est pas donné à tout le monde. Je pren­drais, égale­ment, Mahut‐Isner. C’était un match hallu­ci­nant ! Moi, je me rappelle, j’étais rentré à Paris, j’al­lais promener mon fils au parc, je regar­dais, je reve­nais… et ce n’était toujours pas fini. Ils ont réalisé une perfor­mance unique, que personne ne pourra réitérer. Mais, aussi, Gasquet‐Roddick, en quarts, à Wim’. Je n’ai pas tout vu, je n’étais pas devant. Néanmoins, la perfor­mance de Richard (Gasquet), une quali­fi­ca­tion pour une demi‐finale à Wimbledon et une victoire sur Roddick, dans une fin de match au couteau… Je me souviens de quelques points assez hallu­ci­nants avec des passings revers en bout de course de Gasquet ! Une grosse, grosse performance.


Et si tu devais choisir trois joueurs qui ont marqué la décennie ?

Djokovic, pour moi, est en train de marquer la décennie, même si ça ne fait que deux‐trois ans qu’il évolue au plus haut niveau. Il y a Sampras, mais il est vrai­ment à la limite, puisqu’il a gagné son dernier titre du Grand Chelem en 2002. Roger Federer, c’est une évidence, avec ce qu’il dégage sur et en‐dehors du court. Un très grand cham­pion, aux nombreux records, qui reste agréable avec tout le monde dans les vestiaires, très décon­tracté et acces­sible. Et Rafael Nadal, bien sûr. Immense, sur terre battue, avec ses titres à Roland Garros et à Monte‐Carlo, notam­ment. Un style de jeu diffé­rent de Federer, c’est vrai. Mais, Rafa, c’est aussi un gars qui respecte tout le monde, qui se donne à fond sur tous les tour­nois et qui ne cherche aucune excuse, même diminué. Il met toujours son adver­saire en valeur. C’est vrai­ment un très beau cham­pion. Avec Djokovic, Nadal et Federer, on a trois types qui donnent un bel exemple pour le tennis.

Ces trois‐là ont construit une superbe décennie…

Oui, c’est clair. Mais, du coup, ça devient compliqué pour les autres, derrière (rires) ! Quand on parle des Français qui n’ar­rivent pas à gagner un Grand Chelem, il faut voir les mecs qu’il y a devant… Ce n’est pas évident !

Un petit mot sur le tennis féminin : est‐ce qu’il y a une ou plusieurs joueuses qui vous ont marqué ?

Moi, j’aime beau­coup Kim Clijsters. J’aime la joueuse qu’elle est en‐dehors et sur le court. C’est une fille très souriante, au jeu très physique. Tandis que les Williams Sisters, je ne suis pas fan. Trop de puis­sance. C’est beau, ce qu’elles font, en termes de palmarès, il n’y a pas de souci. Mais je préfè­rais le jeu d’une Justine Henin, par exemple. Un beau jeu, varié, avec des montées au filet, pas stéréotypé…


Tu peux faire un bilan de ton année, perturbée par des blessures ?

C’est vrai que c’est une année déli­cate. J’ai commencé aux alen­tours de la 150ème place, mais j’ai fait un très mauvais mois de janvier, alors que j’avais beau­coup de points à défendre. Je me suis donc retrouvé 199ème. Et, là, j’ai fait un choix : retourner sur le circuit Futures pour disputer deux tour­nois. Ce n’était pas évident, mais je voulais simple­ment gagner des matches à nouveau, me refaire une confiance et prendre quelques points. Ca s’est bien passé, puisque j’ai gagné les deux épreuves. J’ai fait de bons matches, j’ai battu de bons joueurs, notam­ment Kenny de Schepper, qui a fait, ensuite, une très belle saison. Est venu le passage à la terre battue, un moment délicat. Mais, quelques semaines plus tard, j’ai remporté le titre à Bordeaux, un Challenger très relevé. J’y ai dominé des joueurs comme Chardy, Benneteau ou Rosol. C’était une période un peu chan­ceuse, je gagnais des rencontres en reve­nant de très loin et en sauvant des balles de match. A Bordeaux, au premier tour, j’en sauve deux et je remporte le tournoi ; aux qualifs, à Roland Garros, j’en sauve trois au deuxième tour et je rentre dans le tableau comme lucky loser…


Ca donne confiance !

Ca donne confiance, dans la mesure où j’ai enchaîné beau­coup de matches. J’ai retrouvé un bon niveau de tennis. A ce moment‐là, mon objectif était de revenir dans les 100. Après Bordeaux, je me suis retrouvé aux alen­tours de la 130ème place. Je visais l’in­té­gra­tion directe dans le tableau final de l’US Open. Et ça s’est fait au tournoi de Sopot ! J’atteins les demi‐finales, notam­ment, en sauvant des balles de match contre Stéphane Robert. Objectif atteint !

A ce moment‐là, tout va bien ?

Tout va bien, oui. Je me suis accordé des périodes de repos, j’ai bien géré mon calen­drier. Quand j’étais fatigué, j’ai fait sauter des tour­nois, je suis parti en vacances. J’arrive à l’US Open et quatre ou cinq jours avant le tournoi, je sens une douleur au poignet. Je joue, malgré tout, mon premier tour et je le perds contre un Junior, Sock. Derrière, je rentre, je fais des examens et il s’avère que j’ai une tendi­nite au poignet droit. On me pose une attelle ; je l’ai portée pendant un bon moment.

Tu parles d’entraînement… Tu travailles désor­mais avec Thierry Ascione ?

Je m’en­traîne avec lui, en effet. Il s’oc­cupe de moi toute l’année, même si l’on s’adapte selon les tour­nois. Il ne me suit pas non plus toutes les semaines. On a commencé notre colla­bo­ra­tion en février, à Cherbourg. Il m’a proposé de me donner un coup de main ; ça s’est fait et on a continué à travailler ensemble. Ca peut paraître bizarre, parce que c’est quel­qu’un de plus jeune que moi, mais il me connaît très bien. Il n’a pas peur de me dire les choses. Si je me mets à déconner, il ne va pas hésiter à me le signaler.


Tu penses déjà à 2012 ?

Un peu, oui. L’objectif sera de retourner dans le top 100, même si ça ne va pas être facile. La concur­rence est rude et le niveau très élevé. La première des clefs, ce sera donc de bien jouer au tennis, de retrouver un bon niveau, afin de revenir progressivement.

Il n’est donc pas encore ques­tion que tu ranges tes raquettes !

En fait, je fais le point à la fin de chaque année. Là, je reste sur un senti­ment de frus­tra­tion, parce que je suis revenu dans le top 100 en jouant bien, mais j’ai été stoppé net dans mon élan. C’est dur ! Je me dis que je ne peux pas arrêter là‐dessus. Physiquement, hormis cette tendi­nite, je me sens bien. Le physique étant pas mal la base de mon jeu, c’est un para­mètre impor­tant. Tant que j’aurai l’envie, de jouer, de voyager, tant que mon corps répondra présent, je continuerai.