AccueilInterviewsYuri Sapronov, le mécène du tennis ukrainien

Yuri Sapronov, le mécène du tennis ukrainien

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Elina Svitolina est soutenue par Yuri Sapronov depuis l’âge de 11 ans.

Businessman redou­table et homme poli­tique reconnu, Yuri Sapronov investit sans compter depuis bientôt 15 ans dans le tennis ukrai­nien. En vrai passionné, il rêve que son pays, secoué par des conflits internes persis­tants, renoue avec sa tradi­tion tennis­tique. A la tête de nombreuses écoles de tennis et protec­teur de plusieurs joueurs, Sapronov semble avoir un certain talent pour repérer les grands de demain. Après Dolgopolov ou les sœurs Bondarenko, c’est, aujourd’hui, sa protégée Elina Svitolina (19 ans et 38ème à la WTA) qui lui apporte entière satis­fac­tion. Rencontre avec ce person­nage charis­ma­tique, prêt à toutes les folies pour booster le tennis ukrainien.

La dernière fois qu’on vous a inter­viewé, c’était en 2010, pour la victoire d’Elina Svitolina à Roland Garros Junior. Vous nous aviez alors confié : « Ça y est ! Maintenant, j’en suis certain, Elina fera partie des toutes meilleures joueuses mondiales. » Aujourd’hui, elle est Top 30… Pari réussi ?

J’ai 20 ans d’ex­pé­rience avec les joueurs. Je me suis occupé de beau­coup de filles, comme Tatiana Perebiyenis ou les sœurs Bondarenko. J’ai pu voir, au fil des années, les erreurs de mana­ge­ment qui ont été commises avec ces joueuses. Avec Elina, on n’est pas pressés et on ne se presse pas. Son entou­rage d’Elina est constitué exclu­si­ve­ment de personnes posi­tives. Aujourd’hui, je suis déjà très fier de la voir évoluer au plus haut niveau. Je continue à penser que, même si elle n’at­teint pas la première place mondiale, elle sera vite dans le Top 5.

Être Top 5 signifie qu’elle devra dominer une nouvelle géné­ra­tion de joueuses qui s’an­nonce très talentueuse…

C’est vrai. La concur­rence est impi­toyable. Cette année, lorsque je suis allé à Roland Garros, je ne suis pas allé voir Serena Williams ou Maria Sharapova. Non, moi, je suis allé jeter un coup d’œil chez les jeunes. Les matins, j’es­pion­nais les entraî­ne­ments de filles en pleine progres­sion comme Eugenie Bouchard, Madison Keys, Caroline Garcia ou Garbine Muguruza. Et j’ai été très impres­sionné par les progrès de toutes ces futures cham­pionnes. Aujourd’hui, l’exemple à suivre, c’est évidem­ment Bouchard. Cette fille a vrai­ment quelque chose. Elina l’a battue lors de leurs deux dernières confron­ta­tions. On en discute souvent ensemble et je n’ar­rête pas de lui répéter que, s’il elle l’a battue plusieurs fois, c’est qu’elle est capable de jouer comme elle – et même mieux. Et que l’ob­jectif du Top 10 est donc réali­sable. Maintenant !

En parlant d’Elina, vous avez signé un nouveau contrat de cinq ans avec elle. Quels sont les objec­tifs communs de cette collaboration ?

Ce contrat a permis d’étendre son champ d’ac­tion, puis­qu’elle est aujourd’hui l’am­bas­sa­drice de mon resort, l’hôtel Superior. D’ailleurs, elle en porte le badge pendant les matches. C’est sa seule contrainte en tant que repré­sen­tante de l’éta­blis­se­ment. En contre­partie, quand elle arrive à Kharkov, tout est gratuit pour elle et son staff. Les courts sont mis à sa dispo­si­tion, plusieurs chambres d’hôtel lui sont réser­vées et elle a un accès illi­mité au spa et aux struc­tures de remise en forme.

« Aujourd’hui, l’exemple à suivre, c’est évidem­ment Bouchard. Cette fille a vrai­ment quelque chose. »

Alors, la construc­tion de ce fameux terrain en gazon (NDLR : Yuri Sapronov a fait construire un court en gazon, réplique de ceux de Wimbledon, dans son hôtel, à Kharkhov), c’est aussi pour Elina ?

Oui. On a construit ce court pour elle, pour ses 10 jours de prépa­ra­tion qui précèdent Wimbledon. Mon rôle, c’est de mettre à dispo­si­tion les meilleurs instru­ments pour qu’elle et son équipe travaillent au mieux. C’est mon champ d’ac­tion. J’avance les fonds et je prends les décisions.

Ce matin, on a pu voir une ving­taine de jeunes joueurs échanger des balles avec elle sur ce court. L’idée, c’est aussi de créer des vocations ?

Elina commence à être très connue à Kharkov et en Ukraine. Son exemple pousse forcé­ment des enfants à rêver d’une carrière pro, d’au­tant qu’il existe quelques écoles de tennis avec une tradi­tion de forma­tion très forte. J’essaie de repérer ces talents à travers mon pays. Et quand j’en trouve un, je mets les moyens pour l’aider. Je fais des offres qu’on ne peut pas refuser (rires). Ça s’est passé ainsi avec Elina. Je l’avais repérée dans un tournoi à Odessa, elle n’avait que 11 ans. Je lui ai fait signer un contrat de sept ans où je prenais tout en charge finan­ciè­re­ment. Imaginez le risque que j’ai pris !… Beaucoup de jeunes, même très talen­tueux, arrêtent le tennis ou s’éva­nouissent dans les profon­deurs du clas­se­ment entre 10 et 18 ans. Mais j’étais confiant, et je ne le regrette pas aujourd’hui.

On a l’im­pres­sion qu’il y a plus de filles que de garçons dans cette nouvelle géné­ra­tion ukrainienne…

Je suis sans doute coupable de cette situa­tion. En 2000, quand j’ai décidé d’in­vestir dans le tennis – enfin, c’était plus du mécénat que de l’in­ves­tis­se­ment (rires) –, j’ai commencé à faire des calculs. En bon busi­nessman, j’ai comparé le coût de la prise en charge d’une joueuse et celui d’un joueur. J’ai constaté qu’il fallait investir deux à deux fois et demie moins pour une fille que pour un garçon. Pour une joueuse entre 11 et 14 ans, je devais sortir entre 20 à 25 000 par an, alors que, pour un garçon, nous étions déjà à quasi­ment 50 000 . D’ailleurs, j’ai aussi spon­so­risé Alexandre Dolgopolov entre 16 et 18 ans. Son cycle annuel me reve­nait à environ 75 000 . C’est une expé­rience pure­ment empi­rique, mais c’est ce qui explique, à mon sens, l’éclo­sion plus impor­tante de jeunes joueuses que de jeunes joueurs. A moins que je ne me sois trompé dans mes calculs (rires)…

« Il faut investir deux à deux fois et demie moins pour une fille que pour un garçon. »

Quelle est le rôle de votre fédé­ra­tion dans la détec­tion et l’aide aux joueurs ? En faites‐vous partie ?

Nous avons, depuis peu, un nouveau Président, Sergei Lagur. On me propose tout le temps d’être Vice‐Président, mais je refuse systé­ma­ti­que­ment. De toute façon, je fais déjà plus que ne le ferait n’im­porte quel vice‐président insti­tu­tionnel. Lagur est quel­qu’un de sage et un bon busi­nessman. Il y a eu beau­coup de critiques envers la fédé­ra­tion ukrai­nienne, mais il est quel­qu’un de très prag­ma­tique, qui a une vision sur le long terme. Tout l’in­verse de moi qui possède un côté plus roman­tique, plus impré­vi­sible… D’ailleurs, j’ai décidé de construire quatre autres courts en gazon sur le terrain du resort. On va essayer de monter un tournoi sur gazon en Ukraine. Il faut dire que j’ai encore des hectares de forêt à ma dispo­si­tion, il faut bien que j’en fasse quelque chose ! Mais je m’emballe. Je dois encore faire des calculs. Avec l’argent des quatre nouveaux courts en gazon, tu peux monter à peu près cinq tour­nois de 10 et 25 000 , alors…

Est‐ce qu’un joueur emblé­ma­tique, comme Andrei Medvedev, est impliqué dans le tennis ukrainien ?

Ces dernières années, Andrei a passé son temps à Barcelone où il s’est occupé d’un joueur, Bogdan Didenko. Il travaille désor­mais avec l’équipe natio­nale junior ukrai­nienne. Mais j’ai le senti­ment qu’il sera bientôt Capitaine de Coupe Davis. Il a du charisme et il béné­ficie d’une très bonne aura au niveau inter­na­tional. Il n’a peut être pas encore de résul­tats en tant qu’en­traî­neur, mais je pense qu’il fera un très bon capitaine.

Difficile de ne pas évoquer la situa­tion actuelle en Ukraine. Vu de France, le conflit semble extrême. Comment peut‐on assurer une sécu­rité opti­male à la 35ème joueuse mondiale quand elle choisit de revenir s’en­traîner dans son pays ?

Les gens peuvent être très étonnés qu’une joueuse du niveau d’Elina revienne dans sa ville, Kharkov, alors qu’il y a des conflits armés à une centaine de kilo­mètres, c’est vrai. Il faut comprendre que Kharkov a une menta­lité très diffé­rente. Kharkov, c’est une ville pro‐ukrainienne. Non, qu’est ce que je dis, c’est une ville ukrai­nienne ! Et c’est surtout une ville intel­li­gente. Il y a 1 500 000 habi­tants, dont 300 000 étudiants. Elle a été capi­tale du pays. Il y a un grand milieu poétique, théâ­tral, une vie cultu­relle très dense. J’espère, et je prie tous les jours, pour qu’il n’y ait pas d’exac­tions ici.

On vous sent très patriote. Pour revenir au tennis, à choisir, vous préfé­re­riez une victoire d’Elina Svitolina en Grand Chelem ou une victoire en Fed Cup ?

Vous savez, je suis avant tout Ukrainien. Ma fortune, je l’ai construite en Europe et en Russie. Mais, mon argent, je le réin­vestis quasi‐exclusivement en Ukraine. Et, en combi­nant l’amour de mon pays et mon amour pour le tennis, ma plus belle satis­fac­tion serait de voir l’Ukraine l’emporter en Fed Cup. Une rencontre contre la Russie. Elina battrait Sharapova au terme du cinquième match décisif. Après cela, je suis désolé pour Elina et les autres joueuses, mais je donne­rais ma démis­sion avec le senti­ment du devoir accompli.