Il y a des moments magiques dans une vie. Il y a des hommes magiques pour vous les faire vivre. Il y a des marques magiques pour les organiser.
Il y a deux semaines. Dunlop , marque historique du tennis, maque partenaire du tournoi de Roland Garros, envoie à Apolline un mail qu’elle lit une fois, qu’elle lit deux fois, qu’elle lit trois fois et à la troisième fois, elle dit avec toute sa sobriété federienne : « Ma foi, c’est fort intéressant ». L’équipe de Dunlop France lui propose de jouer avec John McEnroe. Pourquoi elle ? Pourquoi John ? Il y aurait plein de raisons professionnelles à envisager, mais Apolline n’y verra que midi à sa porte. Elle a passé cinq ans sur le cas McEnroe, elle est une des rares à avoir pensé à l’anniversaire des 50 ans de John en écrivant un texte pas trop mal branlé sur le phénomène, bref John et Apolline il y a une petite histoire, une petite amourette qui date de 30 ans et qui vaut bien qu’un matin, Apolline se mette en face de John raquette en main. Dunlop ne lui aurait pas proposé cette chance‐là qu’elle l’envisagerait encore aujourd’hui comme un rêve à réaliser prochainement. Et Apolline a toujours réalisé ses rêves. Ils ont pris le temps qu’il fallait, mais elle y est toujours arrivée. Par la grâce des éléments certes, ici une lumineuse idée de cadeau de l’équipe de chez Dunlop, mais surtout beaucoup de passion et beaucoup de travail si on analyse la mécanique des fluides et des rencontres.
« Do you still work hard », c’est la première question que John a d’ailleurs posé à Apolline, une fois que celle‐ci lui avait rappelé qui elle était. Oui, il se souvenait bien de cette jeune fille qui avait fait Le Crépuscule des Dieux, oui il se souvenait même qu’elle l’avait coursé pendant un an pour avoir 15 minutes avec lui dans un couloir de métro à Monte‐Carlo. McEnroe, le charisme, le Napoléonien, celui qui se souvient de tout était allé direct à l’essentiel. Continuait‐elle de « travailler dur » pour son art, celui du cinéma, dont il avait apprécié d’être l’objet, « a great work, même si je n’aime pas la fin du film, parce que je perds toujours ». Apolline vous avais dit qu’elle tremblerait. Là c’était de bonheur et parce que John était d’humeur absolument charmante, la discussion a dérivé sur Nadal, Federer, les questions des internautes (Apolline pense encore à vous, même quand elle pense à elle) et les génies. Apolline ne dévoilera pas grand‐chose de la conversation qui fera l’objet d’un long hommage dans le numéro de septembre. Elle peut juste vous dire que cette interview s’est faite pendant le stretching et les étirements conjoints de John et d’Apolline sur le banc du court 18, et que les photos faites par notre amie Chryslène Caillaud sont vraiment sympas. Mais quand même, quelques petites bribes ici ou là. John n’a pas caché qu’il était vraiment tombé sur le cul avec la défaite d’un Nadal qu’il pensait imbattable à Roland Garros. Il n’a voulu parler des propres causes de sa première retraite à la fin de l’année 1986 que pour parler d’enfants, des problèmes que vous avez quand vous fondez une famille, et dire que cette situation, Federer va bientôt la connaitre, et « il va vite comprendre ce que c’est », et enfin avec son humour implacable, John a reconnu que s’il admirait beaucoup les génies cités dans le papier du GrandChelem numéro 13 (Napoléon, Picasso, Fischer, Rimbaud, Einstein), il ne les connaissait pas « personnellement ». Ses génies à lui c’était Michael Jordan et Nelson Mandela. Pas mal non plus. On se quittait après une séance de signatures de tout ce qu’Apolline peut avoir de collector à faire embaumer : la copie Master de son film que John légendera avec un truc qui l’a fait rougir une deuxième fois (« Thanks for the memories »), l’article de GrandChelem 13, la Dunlop Maxply de Laurent Trupiano (qui a toutes les raquettes ayant gagné un Grand Chelem) et enfin le poster à la James Dean de John à New‐York, Rebel with a cause, pour un autre grand fan de John, qui ce soir peut s’endormir devant son cadre avec son nom dessus et l’autographe de sa vie. En quittant Apolline, John lui a dit un dernier truc qu’elle répète depuis 24 heures à toutes ses copines : « Et puis vous êtes un bon joueur, hein, j’ai vu ça ». Décidément, John voit tout.
Oui, parce qu’évidemment vous attendez la chute de ce papier. John et Apolline sur le terrain, ça a donné quoi ? Pas besoin de parler du vainqueur, vous connaissez son nom. Mais pour la victime expiatoire de ce petit échauffement, un pied monstrueux à recevoir une balle magique qui vous arrive tendue sur le revers, la balle suivante un peu plus fort pour vous tester un peu plus, et à chaque balle que vous renvoyez dans la cadence et la longueur, John pousse encore plus loin jusqu’à ce que vous explosiez. Pas de cadeau, pas de sourire, pas de répit, la suivante vous allumera encore plus. John est le seul être au monde à se comporter ainsi. Et personne ne le respecterait à ce point s’il en était autrement. Mais pour avoir reçu le compliment du paragraphe précédent, votre Apolline a plutôt pas mal tenu le choc. Il y a juste un truc qu’elle va vous raconter où John l’a ridiculisé « à la John », mais c’est important de le raconter parce que sinon les enfants ne comprennent pas pourquoi McEnroe est un cas unique au monde. A la fin de l’entrainement est fatalement arrivée l’heure des points. Il faut déjà imaginer l’émotion qui vous empare quand McEnroe se met à l’adresse au service, bascule son corps d’avant en arrière et que vous vous mettez en face de lui pour votre retour. C’est un moment de magie pure où toutes les images de votre vie, toutes ces heures à s’enquiller les services de John remontent à la surface. Là aussi vous pourriez croire que Mac va vous servir dans la raquette, mais pas du tout, il sert à une bonne puissance sur un des angles du court. Coup de chance, Apolline était dessus, elle renvoie donc la balle sur le revers de John. Là s’engage une série assez amusante de revers chopés long de ligne de gaucher sur droitier, et coup de chance encore, Apolline est dans une de ses filières « old‐style » préférées (les jeunes ne jouent plus comme ça, c’est pour ça qu’Apolline les bat). McEnroe le voit bien qui au quatrième revers chopé pousse la plaisanterie à allonger de plus en plus la balle, alors Apolline un peu euphorique vu l’esthétisme surannée de la séquence, joue une balle de revers chopé croisé flottant qui – miracle quand tu es là, je te tiens accroché à moi – tombe comme une merde sur la ligne de fond. Elle se replace. Et là elle comprend ce qu’est le génie spécifique de McEnroe, pourquoi il est le seul joueur au monde qui « joue au tennis ». A cause de sa prise unique et du fait de ne jouer qu’au poignet, John maquille son coup, change la direction au dernier moment, et la met exactement là où vous n’êtes pas avec une science des angles qui lui permet de finir le point en trois frappes. Il joue au tennis, c’est‐à‐dire que vous ne savez jamais où il va vous la mettre. Le temps qu’Apolline se replace, McEnroe du bout opposé du court, a laissé retomber la balle et jusqu’au dernier moment n’a pas filé une information. Quand il a dévoilé son intention, c’était déjà fini. Coup droit croisé ultra‐court à contre‐pied ! Depuis la ligne de fond ! Apolline est restée sur place. Un gag ! Plus tard, c’est une leçon de volées qu’il est venu donner à votre servante. Tchac court croisé à droite, vous êtes à 4 mètres. Tchac court croisé à gauche, vous êtes toujours à 4 mètres. Personne au monde, pas même Federer, ne sait résumer la fonction de la volée à cette essence de gestuelle conclusive, ce coup de serpe qui prend la ligne à chaque fois. C’est claqué devant soi en toute décontraction, ça fait un bruit d’avion furtif et encore une fois, ça va là où vous n’êtes pas. Si vous y êtes quand même, vous n’avez tellement pas le temps de vous organiser que vous la remettrez là où John vous attend au filet, et il fera tchac de l’autre côté, et là vous serez à dix mètres, sous le rire contenu de votre photographe.
McEnroe est le tennis. McEnroe joue au tennis. Merci à Dunlop de permettre de comprendre pourquoi et comment. Jamais Apolline n’oubliera ce coup droit croisé court et ce dernier regard, profond, respectueux –oserait‐elle dire « viril » – échangé à l’heure de se quitter.
« Take care, John. Work hard, Apolline ».
Publié le samedi 6 juin 2009 à 10:26