Votre Apolline vous l’avais promis : un petit texte mystique sur Mary Pierce. Lecteur qui veut de l’info, passe ton chemin, ici il n’y aura que des sentiments très intimes.
Quand on rencontre Mary Pierce, on est d’emblée frappée par son sourire, sa sympathie et sa douceur. Voilà une jeune fille timide, discrète, sans trace d’arrogance, qui écoute très attentivement son interlocuteur, qui n’élève jamais la voix. Voilà une fille vraiment sans histoire.
Et pourtant l’histoire de Mary Pierce avec la France aura eu son lot d’incompréhensions et de malentendus. Cela ne transpirera pas des hommages qui vont fleurir sur la tombe de sa première vie de championne de tennis. Les apologues seront amnésiques à l’heure du bilan. Ils auront tort car c’est bien en revenant sur les causes diverses de ces malentendus qu’ils toucheront à quelques vérités premières sur le public. Le malentendu entre la France et Mary Pierce en dit en effet plus sur la première que sur la seconde.
Mary Pierce a combiné trois petits défauts qui irritent profondément les Français : être américaine (même de père canadien) et vivre là‐bas à l’année, ne pas parler parfaitement le français, être très musclée. On aurait pu en rajouter un quatrième : être une gagneuse. C’était encore un défaut rédhibitoire dans les années 70 et 80. Depuis, la France a découvert ce qu’il y avait de fraîcheur et de rayonnement dans la victoire. De Yannick Noah à Sebastien Loeb, remercions tous ceux qui ont entériné l’évident intérêt d’une France qui gagne parfois.
Premier défaut : Mary Pierce est américaine et l’Amérique c’est le meilleur ami‐ennemi français, un truc qui nous fascine et nous irrite avec la même force depuis l’après-guerre, le plan Marshall et les bases américaines. Arrogance équivalente, vision ethnocentriste de l’universalisme, image de soi‐même boursouflée d’histoire, les rapports d’attraction et de répulsion entre les deux pays sont d’autant plus drôles que l’un (la France) ne tape plus et depuis longtemps dans la même catégorie que l’autre (les Etats‐Unis). Mais l’âme et l’histoire diplomatiques des nations ne se discutent pas. Quand Mary Pierce débarque à Roland Garros, elle s’appelle Mary et non pas Marie, elle joue comme toute la génération de jeunes Américaines issues de l’école Bollettieri : gros service, boum en coup droit, boum en revers et à deux mains, confiance en soi éléphantesque. La technique à la française, le joli petit arrondi, le revers à une main, la volée de coup droit croisée, connaît pas, circulez, y a rien à voir. Avant même d’ouvrir la bouche, l’affaire est entendue, Pierce n’est pas une fille de chez nous.
Et c’est quand elle l’ouvre que son cas s’aggrave. Deuxième défaut : Mary ne maîtrise pas le français. C’est le crime de lèse majesté dans le pays de Molière, cette France si attachée à la juste expression, du citoyen comme du champion. Toute trace d’hésitation, toute erreur dans la syntaxe, c’est le signe d’une intégration qui traîne des pieds. On reproche encore à Jane Birkin de ne pas savoir s’il faut prendre le moto quand il fait beau ou le voiture quand il pleut. Alors Pierce et ses balbutiements, on ne vous dit pas le cauchemar. Cette histoire de l’intégration par la langue, symbole clef qui fait de vous un véritable enfant de la République française, n’est pas anodine. Quand Mary remporte Roland Garros en l’an 2000 et décide d’adresser quelques mots en anglais à son camp et à son papa, des sifflets partent du public. Des imbéciles, me direz‐vous ? Alors il y a beaucoup d’imbéciles en France. A moins que ce ne soit les critères de l’intégration à la française qui le soient, qui ne supportent toujours pas qu’une Mary Pierce se considère comme franco‐américaine, comme Jamel Debouzze rappelle qu’entre le Maroc et la France il n’a pas plus à choisir qu’entre son père et sa mère.
Troisième défaut : Mary est musclée, très musclée. On le dit en comparaison de toutes les autres joueuses : Mary Pierce a une musculation de gens qui font de la fonte, beaucoup de fonte. C’est son droit le plus élémentaire, mais le muscle en France, on n’aime pas. Il n’est qu’à voir les railleries des Guignols sur Alain Bernard. Le sportif français doit y arriver non pas avec ses muscles mais avec de l’intelligence, de la stratégie, de l’esprit. Il n’est pas un panzer allemand, il n’est pas un américain bodybuildé, il n’est pas un bûcheron australien, il est un poète, un talentueux, un virtuose qui rend chèvre ses adversaires par tout l’étendue de sa palette technique. La France n’admet qu’un sport pour passer ses pulsions primaires : le rugby ; Chabal y est son nouveau roi. Mais le tennis, ce sport de « gonzesses », de bourges, petites chemisettes coton, bien peignés, déjà chez les hommes on a du mal à se faire aux musclors, alors chez les gonzesses vous n’y pensez pas. Chez les filles, on veut du Virginia Ruzici, du Chris Evert, du Anna Kournikova, de l’épaule fine, de la jambe galbée, de la jupe fendue. Mary Pierce et ses biceps saillants, ça fait pas très French Cancan.
Le plus drôle, c’est que de tout ça, tous ces défauts présupposés, Mary Pierce s’en sera foutu comme de l’an II. D’ailleurs globalement on pourrait dire que tout a glissé sur le corps de la championne pendant sa carrière. Pour certains, Pierce restera d’ailleurs une énigme, un casse‐tête, quelqu’on dont on n’est pas sûr qu’elle a bien compris ce que vous venez de lui dire. Il est vrai que Pierce a toujours été là et un peu ailleurs. Elle a tracé son chemin sans rien dire, a remporté un Grand Chelem (le premier en France depuis 1983, le premier en femmes depuis 1967) dans un complet anonymat, gagné l’autre à Roland Garros devant son public ce qui n’empêchera jamais ledit public de se demander quand est‐ce qu’un Français va gagner à la Porte d’Auteuil (bref les nanas ça ne compte pas, sauf si c’est Mauresmo à Paris, traumatisme oblige), elle a même gagné deux Fed Cup pour la France (signalons au passage que Mary Pierce n’a jamais demandé le passeport canadien alors qu’elle en avait le droit). Bref Mary Pierce a le plus beau palmarès du tennis français depuis la grande Suzanne Lenglen et Apolline l’a longuement expliqué l’an dernier, elle est celle qui a tout débloqué dans le tennis féminin hexagonal. Nathalie Tauziat qui s’arrache sur toute la fin de sa carrière, c’est Mary Pierce. Amélie Mauresmo qui devient numéro 1 mondiale, c’est Mary Pierce. Marion Bartoli qui claque l’année de sa vie en 2007, tout ça c’est l’influence de la locomotive Pierce.
Mary aura‐t‐elle pourtant un stade à son nom dans 30 ans ? Un court ? La reconnaissance statufiée de son personnage hors norme ? Ca m’étonnerait fort. Une allée tout au plus, celle que lui a offert Christian Bîmes au dernier Roland Garros. C’est que d’ici là, on n’aura peut‐être pas apprécié la dernière « excentricité » de la championne. Au lieu de devenir coach ou entraîneur national ou quoi que ce soit de relié au monde formidable du tennis, non Mary Pierce va se consacrer à l’étude de Dieu au sein d’une communauté évangélique protestante à l’Ile Maurice où elle s’est installée depuis une bonne année. Aie, la France est fille de l’Eglise certes mais très rétive à toute doctrine religieuse depuis la séparation de l’Eglise et de l’Etat, peut‐elle accueillir cette information avec bonheur ? On a vu les visages du monde du tennis un peu circonspect après cette annonce. Et un mystère de plus pour le cas Pierce.
Mais pour avoir vu la sérénité affichée par Mary il y a 6 mois, Apolline lui souhaite bon vent, bien certaine que c’est au contraire en travaillant les grands textes religieux et philosophiques qu’elle parviendra à donner à sa deuxième vie un sens aussi profond que la première.
Et quelle première vie !
Apolline te salue, Mary, pleine de grâce, que le Seigneur soit avec toi.
Publié le mercredi 7 janvier 2009 à 20:43