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Le jour où Nadal est vrai­ment devenu grand (une histoire fran­çaise pour les enfants de 8 ans)

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Il se passe quelque chose de bizarre ces derniers temps, vous ne trouvez pas ? Tout le monde se met à trouver Rafael Nadal génial. Apolline ne comprend pas. Aurait‐elle raté une étape ? 

Il se passe que ces dernières semaines votre copine préférée était encore en goguette dans je ne sais quel trou sombre et perdu : ah oui, une salle de montage. Et visi­ble­ment pendant qu’elle était à la cave il s’est passé quelque chose au sommet du tennis mondial. Non, non, ne roulez pas votre Apolline dans la farine pour voir où elle mouille, ça fait deux ans qu’elle lit les articles de Welovetennis et de GrandChelem, qu’elle lit aussi les posts, et là en à peine un mois il y a quelque chose qui a bougé. Apolline lit des trucs aussi incroyables que Nadal est un « formi­dable cham­pion », « qui impres­sionne par son respect pour le jeu et les adver­saires », et « qui a toujours un mot gentil pour tout le monde ». Quoi encore ? Ah si, avec son lasso de coup droit, il a « inventé un coup » (sic !), il a même « trois coups droits » (resic !), son revers est devenu « mons­trueux » (reresic et dix de der). Mais qu’est‐ce qu’il se passe, mes enfants ? 

Ah d’ac­cord… Rafael Nadal va devenir numéro 1 mondial. Mais fallait commencer par ça ! Pourquoi personne ne prévient Apolline alors qu’elle est la plus nada­lienne d’entre toutes ? Nadal va détrôner Federer et on ne lui dit rien. Personne ne lui envoie de message dans sa grotte à images. Le rêve qu’Apolline a soutenu, promu, poussé à bout de bras pendant deux ans se réalise enfin et il ne se trouve plus un lecteur pour venir s’as­ti­quer la manche sur les forums de la polé­mique inter­mi­nable. Et même, stupé­fac­tion ! voilà main­te­nant le futur numéro 2, le vilain chalenger, ce fils de Bâle que l’on accable désor­mais de tous les défauts. Federer posi­tive après une défaite comme il l’a toujours fait depuis le début de sa carrière, mais là ça ne va plus, faudrait qu’il change son discours. Federer botte en touche sur une énième ques­tion à la con d’un jour­na­liste sur son rival comme il l’a toujours fait depuis le début de sa carrière mais non c’est pas ça qu’il fallait faire. D’ailleurs jamais Nadal, le grand et gentil Rafael Nadal n’au­rait dit ça, il aurait eu un mot gentil pour le gentil jour­na­liste qui lui posait une ques­tion sur son gentil adver­saire, le gentil Federer. 

Que rajouter à ce flori­lèges de compli­ments ? Que faire, qu’é­crire, quelle plus‐value apporter quand tout est désor­mais rédigé et cache­tonné du sceau d’une masse de nada­liens de la 25ème heure ? A quoi pour­rait encore servir votre Apolline Céleste, fleur de Narcisse et d’Echo ? Peut‐être à faire un peu de jour­na­lisme, c’est à dire éviter l’amnésie. 

D’abord rappeler qu’il y a plein de moments dans ces trois dernières années où Rafael Nadal a été en passe de de prendre le leader­ship sur Roger Federer, au‐delà de la ques­tion même du clas­se­ment. Ca s’est en fait joué chaque année à Wimbledon. Et comme Apolline n’a pas lu ça dans beau­coup de medias, elle va le répéter à qui veut bien l’en­tendre, bien le comprendre, bien se souvenir. Si on analyse bien chaque finale, point par point, en regar­dant au détail qui est en train de prendre la partie en main, ça fait déjà deux ans que Rafael Nadal devrait avoir battu Roger Federer à Wimbledon. En 2006 (au début du 4ème set), et encore plus en 2007 (au début du 5ème), Rafa est en train de se bouffer l’ami Roger. C’est l’Espagnol qui mène la danse, c’est lui qui s’ins­talle sa stra­tégie. Que Federer ait été capable de sortir à ce moment‐là sa palette de coups magiques pour mettre un terme à la plai­san­terie, c’est son génie, reconnu, confirmé, adoubé, mais ça ne chan­geait rien à la morale de l’his­toire : le patron symbo­lique c’était déjà Nadal, et si la victoire était tombée en prime de cette main‐mise sur le match, la situa­tion aurait été semblable à ce qu’il se passe aujourd’hui. Federer en conve­nait déjà dès la confé­rence de presse de Wimbledon 2006 : « Si j’avais perdu aujourd’hui, cela aurait été un grand choc pour moi ». Apolline affirme pour­tant que Federer aurait plus ou moins gagné 2 ans sur la remise en cause qu’il va devoir faire pour reprendre son sceptre, ce qui est la meilleure nouvelle que le tennis peut rece­voir et qui est une des raisons pour laquelle Apolline a telle­ment poussé pour que Nadal devienne numéro 1 mondial. Là main­te­nant ça va être le vrai fight. Là, on va vrai­ment voir à qui on a à faire. Et un petit conseil aux lecteurs de WLT, n’en­terrez pas Federer trop vite. Nadal numéro 1, tout change, toutes les tablettes de lecture sont à réviser, tous les para­mètres à recal­culer. Si Federer gagne à Pékin et à New‐York, il aura effec­ti­ve­ment fait une bonne année au regard de la grosse frayeur qu’il a dû avoir en passant en février devant Monsieur le docteur. 

Mais il faut aussi rappeler que cette emprise de Nadal sur Federer n’ex­plique pas tout, qu’il y a des matches moins connus qui sont plus impor­tants que d’autres si on prend bien la peine d’écouter les rares aveux que peuvent faire les cham­pions sur ce sujet. Cette année, Nadal a eu la gentillesse de nous lâcher le déclic de sa pompe à confiance. Le match primor­dial, clef pour sa saison 2008, fut celui contre Jo‐Wilfried Tsonga. Non, pas l’im­mense fessée de l’Open d’Australie – qui les évène­ments aidant, permet de confirmer rétros­pec­ti­ve­ment à quel point Tsonga est de cette race de cham­pion qui nous manque terri­ble­ment. Bon réta­blis­se­ment, Jo.- mais leur revanche un mois et demi plus tard à Indian Wells. Mené 5–3 au 3ème dans un match où malgré le score serré, Nadal se fait à nouveau marcher dessus par Tsonga, l’Espagnol sort une parade de défenses extra­ter­restres sur les 4 derniers jeux et l’emporte à la gnac. Ce qui doit mettre alors la puce à l’oreille, c’est cette façon que le Majorquin a de se mettre à genoux après avoir serré la main du Français. Rien à voir avec son habi­tude de célé­brer les finales cul par terre. Non, là on sent que c’est le râle du guer­rier, la génu­flexion du gladia­teur, du mec qui s’est vu mourir une deuxième fois avec tout le petit complexe que cela aurait engendré derrière. Pas éton­nant dans ces consé­quences de lire de sa propre bouche juste avant Roland que c’est ce match‐là qui lui avait remis la tête à l’endroit. 

Mais l’his­toire fran­çaise n’est pas là. Si Apolline n’a cessé de préciser son atta­che­ment à Nadal depuis deux ans, en expli­quant ce qui se jouait en terme d’iden­ti­fi­ca­tion à l’Espagnol, c’est qu’un cham­pion n’est et ne sera jamais juste un mec qui excelle dans sa disci­pline, c’est aussi un gars dont la virtuo­sité doit rentrer en adéqua­tion avec tout le reste, le physique, le mental, l’en­tou­rage, la prépa­ra­tion, le discours, l’at­ti­tude, les fringues, le look, le panta­shop, la coupe de cheveux. A ce stade, tout est impor­tant – et si vous ne comprenez pas ça, demandez vous si vous étiez golfeur en herbe sur qui vous seriez en mesure de vous iden­ti­fier aujourd’hui – paren­thèse close bien avant que vous trou­viez qui que ce soit à vous mettre sous la dent. C’est de la mysté­rieuse alchimie du corps en mouve­ment que nait la possi­bi­lité de s’iden­ti­fier, de flasher litté­ra­le­ment sur un cham­pion alors même qu’on aura parfois rien à voir avec lui. Et c’est de cette possible iden­ti­fi­ca­tion que nait la passion, la grande passion dont tout décou­lera, du fana­tisme des suppor­ters jusqu’à la possi­bi­lité écono­mique de la créa­tion d’un portail de tennis commu­nau­taire. Sans ces cham­pions que nous admi­rons pour leur Geste, pas de public, pas d’en­fants qui se mettent à jouer du jour au lende­main sur une seule image vue à la télé, pas de parents accros qui les accom­pagnent, pas de tour­nois, pas de stades pleins, pas de jour­naux de tennis, pas de busi­ness tennis. Or on ne cessera de le répéter, mais celui qui fait rentrer les gamins dans les clubs et qui les scotchent devant le poste depuis quatre ans, celui qu’Apolline vous a décrit comme le glucose vers lequel se tourne natu­rel­le­ment le nourisson à la sortie du sein, c’est Nadal. Pas tout seul bien sûr, mais avec un véri­table impact d’iden­ti­fi­ca­tion. Nadal reste l’ami des enfants. 

La bonne nouvelle, c’est que les enfants ne sont pas en train de se tromper sur la morale à retenir de son histoire. Nous, pauvres têtes de linotte, amou­reuses de McEnroe, avions toutes eu notre période « Je sers les pieds paral­lèle à la ligne » avant de nous rendre compte que ce n’était pas là que se jouait l’ori­gi­na­lité de l’Américain et surtout son effi­ca­cité dans le jeu ; les enfants des années 2000 font preuve de nette­ment plus de jugeotte. C’est la confir­ma­tion qui nous est venue de Patrick Simon, l’an­cien coach d’Amélie Mauresmo, aujourd’hui respon­sable de la détec­tion des 7–10 ans à la Fédération Française de tennis. Dans le cadre de la grande enquête « Etes‐vous Federer ? Etes‐vous Nadal ? » que nous prépa­rons pour le numéro de septembre, l’en­trai­neur national nous faisait derniè­re­ment la synthèse d’un week‐end en Bretagne ou il avait vu les meilleurs fran­çais s’af­fonter : « Sur tous les courts, j’ai vu des gamins qui ne lâchaient plus un point, une bagarre perma­nente » et de nous signaler le cas hallu­ci­nant d’un petit d’homme âgé de 8 ans qui n’avait cessé de se répéter à chaque point : « Allez, mon coco, c’est pas fini, tu peux revenir ». A 8 ans. Suivez mon regard. 

« Tu peux revenir », voilà ce que le corps de Rafael Nadal trans­pire télé­vi­suel­le­ment. Et c’est pour ça qu’il est grand.

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