Retour sur ce week‐end de Coupe Davis qui aura une fois de plus démontré aux quatre coins de la planète à quel point cette compétition est unique au monde, à quel point il serait hérétique de toucher à un seul de ses cheveux. Formule idéale pour créer des intensités exceptionnelles et niveler tous les styles de jeu par la charge d’émotion qu’elle engendre, elle permet surtout à chaque victoire ou chaque défaite de faire un pré‐bilan de l’état du tennis dans une nation. Voici donc quelques nouvelles du tennis américain et français.
Honneur aux vainqueurs. On a apprécié beaucoup de choses ce week‐end chez les Américains. D’abord il faut remercier Patrick McEnroe d’avoir repris sur le banc le flambeau laissé à la fin des années 90 par son frère sur le terrain. En atteste la présence de John Senior parmi ce public américain bien sympa (enthousiaste tout en respectant l’adversaire), cette famille McEnroe à la patrie dans le sang. John avait sauvé la Coupe Davis, Patrick s’est battu comme un chien depuis une demi‐douzaine d’années pour impliquer les meilleurs joueurs américains. Il peut compter en cela sur son duo Roddick‐Blake et ses jumeaux Bryan, des gars en or qui tiennent la baraque et récoltent depuis un an le fruit d’une fidélité jamais prise en défaut. On ajoutera encore qu’on a vu cette équipe jouer vraiment avec sa tête. Le coup de dés de James Blake au 5ème set, les revers chopés de Roddick sur Mathieu, tout a été fait et conçu pour gagner ce match. L’objectif est réalisé et avec la manière. Un score de 4–1, on ne devrait rien avoir à dire et pourtant on va balancer deux remarques. Une pas drôle et une bien rigolote, mais qui sont finalement les deux faces de la même pièce.
On peut nous raconter ce qu’on veut sur la façon de coacher des uns et des autres au changement de côté, on peut nous dire qu’il est culturel chez les Russes ou chez les Américains de s’assoir à côté de son joueur, de regarder ailleurs, dans le vide ou de dire trois mots rapides pour ne pas gaver le gars de conseils, on peut nous sortir tout ce qu’on veut sur l’individualisme du tennis pendant 48 semaines qui empêcherait de changer les habitudes pendant 4 semaines, mais le truc à la McEnroe ou à la Tarpischev, l’air ailleurs, n’adressant pas un mot au joueur, c’est pas l’attitude de la Coupe Davis. C’est pas ça la Coupe Davis. Et ces mecs‐là peuvent la gagner 27 fois sur le même credo que ça nous empêchera toujours de voir l’équipe des Etats‐Unis ou de Russie comme autre chose qu’une accumulation d’individualités. C’est tellement pas la Coupe Davis que Patrick McEnroe est enfin rentré dans son rôle le samedi… tout simplement parce qu’il n’y avait plus de place sur le banc. On pourrait dire en souriant que c’est ce jour‐là qu’il perd son seul point du week‐end, mais c’est le contraire : c’est ce jour‐là que le mec met un genou à terre devant ses joueurs, centralise les énergies et peut les relancer en cas de flottement. Le reproche vous parait gonflé ? Il vous le paraitra moins quand les Espingouins vont sévèrement secouer le train des Yankees et que le Patrick sera resté le cul vissé sur son siège sans réagir. Pour le reproche un peu plus rigolo et sans aucune conséquence mais qui trahit également son soucis de ne savoir que faire de son corps : Patrick McEnroe et sa façon d’applaudir comme une otarie avec les paumes ouvertes, c’est vraiment l’image du week‐end, une sorte de défi à la génétique. Comment une famille a‑t‐elle pu pondre un gamin aussi racé, aussi fluide que John – de ses applaudissements laconiques au nez des arbitres à sa foulée légendaire – et un autre gamin aussi raide et figé ? Voilà un grand mystère que notre bon Henri Atlan devra éclaircir.
Côté français par contre : pas de mystère, pas de hasard même. Nous avions prévu d’attendre ce week‐end de Coupe Davis pour faire un bilan sur le tennis français. Le bilan, le voilà, il est limpide.
1) En l’absence de tout autre prétendant au poste, Guy Forget reste bien l’homme de la situation, un de ceux qui avec Noah, Dominguez, Barthes, connait le mieux le tennis en France. Apolline a déjà expliqué le petit bémol qu’elle pouvait juste soulever sur le commentateur Forget pendant Roland‐Garros. Sorti de ça, le capitaine français a encore démontré qu’il savait composer avec tous les aléas d’une rencontre de Coupe Davis. Il a fait avec ce qu’il avait, il l’a bien fait et il « couvre » aujourd’hui ses joueurs, ce qu’il ne faisait pas toujours auparavant.
2) Le tennis français va bien. Qu’est‐ce que ça veut dire ? Ca veut dire qu’au‐delà d’une statistique dont on rappelle qu’elle constitue une grande première en France (6 joueurs dans les 40 premiers mondiaux), l’équipe de France a été en mesure d’inquiéter une équipe tenante du titre, composée de deux top 10 en simple et d’un top 1 en double et elle l’a fait sans pouvoir compter sur ses deux leaders supposés.
3) On salue en cela la performance très honorable de Mika Llodra face à Andy Roddick pour une première cap, plus encore le match étourdissant que Paul‐Henri Mathieu a sorti face à James Blake (ce passing en bout de ligne, on s’en souviendra longtemps). Tout le monde sait où se perd le match. Tout le monde sait ce que ça traduit sur le dernier frein à main que Mathieu tient encore chevillé au corps. Pas besoin d’y revenir. On espère juste que notre Alsacien a lu tous les jolis mots que nos Grandchelemnautes lui ont écrit pour lui signifier à quel point cette défaite était pleine d’avenir. Si par contre cela, Mathieu ne le comprend pas alors Mathieu est un con.
4) Mais l’exploit du week‐end, c’est évidemment nos fleurettistes Clément‐Llodra qui l’ont signé. Il va sans dire qu’Apolline était super contente pour Arnaud Clément parce que lui c’est vraiment toute l’âme de la Coupe Davis en un seul joueur. Le plus beau compliment qu’on puisse lui faire, c’est de lui dire que Patrick McEnroe peut en prendre de la graine. Le jour où un de ses deux joueurs de simple ou de double se blessera, on en reparlera. On associe à ce grand exploit le tôlier Llodra qui aura donc perdu son service une fois en 7 sets. Belle statistique. Et derrière ça, hors de toute arithmétique froide, le festival de volées en toucher. Grand bonheur d’avoir un joueur aussi beau à voir que Mika sur un terrain.
5) Et puis il y a bien sûr le grand absent de ce week‐end – encore qu’on oublie qu’il s’est finalement présenté pour le 5ème match, le temps d’arracher un set à James Blake avant de perdre les deux sets d’après : le fameux Richard Gasquet, le petit fantôme de ces trois jours. Soyons sincère, en lisant son interview dans l’équipe de jeudi, on avait déjà préparé les missiles. On avait même passé le week‐end à les affûter en voyant le Ritchie, la tête dans les genoux, bouffer tout son forfait SMS pour répondre à ses copains. Si là aussi, vous vouliez avoir la définition de ce que n’est pas la Coupe Davis, il suffisait juste de mettre une caméra isolée sur le numéro 1 français. Vous aviez le portrait du jour. Mais comme tout le monde lui tombe à bras raccourcis sur le paletot depuis 24 heures et que visiblement le gamin n’a pas l’air au mieux de son état psychologique, Apolline a décidé de ne pas en rajouter. Parlons d’autre chose ; en fait de la même chose mais autrement.
Il y a un bon mois et demi, deux semaines après l’Open d’Australie, Apolline croise Jean‐Louis Haillet au restaurant de Roland Garros au moment où elle doit rencontrer Nicolas Pietrowski, l’entraineur de Leolia Jeanjean. Entre divers sujets abordés, le cas Gasquet revient immanquablement sur la table et Haillet qui connait bien et apprécie beaucoup Richard dit ceci avec un air très embêté : « Je suis un peu inquiet pour Richard, je ne suis pas sûr qu’il va parvenir à rester dans les 10 ». Il n’y a avait rien de méchant là‐dedans, juste que le niveau de l’adversité était sévèrement montée d’un cran depuis l’hiver. Depuis, le temps passe et plus le temps passe, plus cette phrase résonne et résonne encore jusqu’à ce qu’elle prenne une signification qu’Apolline vous propose comme une intuition, une sensation très personnelle recoupée par l’interview de Gasquet et les passages un tantinet jaloux sur son supposé grand copain Tsonga
La défaite de Richard contre Jo à l’Open d’Australie, plus encore l’avènement médiatique de ce dernier après son exploit contre Nadal et l’empreinte prise dans le groupe France dès le premier tour en Roumanie, tout cela est tout simplement en train de tuer Gasquet à petit feu. Rajoutez encore la décision de Forget de trancher dans le vif et de le sortir du clan des titulaires pour lancer Llodra à sa place, et vous avez un gamin complètement perdu et qui révèle l’espace de 3 jours le pire de ce qu’il avait jusque là réussi à cacher.
D’abord que Gasquet n’est pas fou de tennis. Attention on ne dit pas qu’il n’aime pas ce jeu mais pour le traiter, même sur le ton de la boutade, de « sport à la con », il faut quand même avoir une drôle de vision de sa passion. Plus encore que Gasquet ne s’amuse pas sur un terrain de tennis. Attention là aussi on connaît des McEnroe qui ont mis des années à pouvoir savourer l’expression de leur maestria. Mais donner l’impression comme le fait le Biterrois que n’importe quel point, n’importe quel match est un calvaire dont la seule libération est la victoire ou la défaite qu’on savourera de la même façon : en soufflant du répit de 24 heures qu’on vient d’acheter vis à vis des attentes de chacun et de soi‐même. On le dit, c’est tout simplement impossible de concevoir un sport même professionnel de cette façon. Enfin Gasquet n’a pas l’esprit d’équipe. Là encore attention, il n’est pas ce petit égoïste qui ne penserait qu’à sa gueule et poserait ses conditions pour la Coupe Davis (quand on voit un de nos lecteurs prendre l’exemple de Pioline comme essence du joueur de Coupe Davis, on sourit), mais son attitude pendant les trois jours, l’affaire des SMS entre autre hallucination (Forget doit‐il aller jusqu’à devoir éteindre les Blackberry de chacun pendant les matches ?), doit simplement interroger tout le monde sur une question bien plus centrale. Avons‐nous déjà vu Richard Gasquet dérouler autre chose que cette attitude depuis qu’il joue en équipe de France ? Existe‐t‐il une seule photo de lui, debout encourageant à mort ses potes, s’enthousiasmant avec ferveur pour le point du double ? Que celui qui en a déjà vu passer une comme ça dans son journal préféré nous l’envoie pour publication sous huitaine (merci à Patricia qui en a trouvé une en Roumanie. Apolline publie)
Voilà, entre autres, ce que le malaise de cette Coupe Davis a révélé : les terribles défauts de Richard Gasquet, les défauts encrassés et fondamentaux, ceux qui freinent vraiment une carrière, ceux qui font qu’effectivement Richard va avoir du mal à rester dans les 10. Ces défauts dont personne ne veut parler et qu’Apolline avait pourtant écrit noir sur blanc sur un site célèbre de l’Internet français après avoir assisté à une demi‐finale du gamin lors de sa campagne junior de l’US Open 2002. Cela s’appelait « Ainsi parlait le futur numéro 1 mondial ». C’était un texte très nietzschéen, vous auriez adoré, ça parlait de meurtre ; déjà. Alors maintenant on fait quoi ? Eh bien puisqu’avec Richard, on est chez Nietzsche depuis le début, restons y. « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort », ça doit lui dire quelque chose ? Même le petit Ben Arfa, le Richard Gasquet du football, sait ça depuis qu’il s’est mis à fréquenter les livres. C’est d’ailleurs le conseil qu’on donne à notre Ritchie. En lieu et place de la psychanalyse qui le guette, on lui conseille un peu de lecture. Et si, comme nous le pensons,« Tsonga l’a tuer », à lui de saisir par des références livresques et historiques précises que beaucoup de Petit Prince ont eu l’impression un peu paranoïaque de se faire descendre en plein vol avant de comprendre qu’il fallait juste régler leur altimètre. On lui conseille du Millman, du Saint‐Exupery ou tiens, Apolline est pas chienne, du Paolo Coelho. Tous les footeux vous le diront, c’est très bien le Paolo Coelho pour commencer à lire des BD sans images.
Bref il reste encore de grandes années de tennis à Richard Gasquet, surtout de belles années de jeunesse où quand on a 20 ans, la vie est prête à vous tendre les bras en échange d’un simple sourire. C’est ce sourire que Gasquet doit aujourd’hui arriver à repeindre sur son visage. Alors le tennis, ce sport de dingues (et vivent les dingues !), lui sourira à nouveau.
C’est beau comme du Paolo Coelho.
Publié le mercredi 21 mai 2008 à 16:05