AccueilLe blog d'ApollineLettre de Gaël Monfils aux spectateurs et lecteurs de Welovetennis

Lettre de Gaël Monfils aux spec­ta­teurs et lecteurs de Welovetennis

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C’est un événe­ment assez incroyable qui s’est produit ce soir à la rédac­tion de Welovetennis, Gaël Monfils nous a fait envoyer une lettre juste après sa victoire face à David Ferrer. Et grosse surprise, c’était une lettre de remer­cie­ment. Lisez plutôt. 

Chères lectrices, chers lecteurs de Welovetennis

Je vous écris depuis un salon de Roland Garros où entre la fin de mon match contre David Ferrer et ma séance de stret­ching (eh oui c’est nouveau le stret­ching, mais depuis que je suis en demi‐finale, je prends goût au tennis c’est à dire aux détails), j’ai réussi à m’échapper pour faire dicter cette lettre à mon agent qui l’a fait parvenir à la rédac­trice en chef de Welovetennis, la belle et grande Apolline

J’ai kiffé Pierre qui avant le match a écrit « tu peux tourner le probleme dans tous les sens, mais contre ferrer il va compter jusqu’à 3 et il va voir la balle passer très loin de sa raquette!! parce que ljubicic a été une poule mouillée today!! j’avais l’im­pres­sion de voir le 5eme set Chang lendl 18 finale roland 1989!! »
J’ai kiffé Big Mac qui avant le match a écrit « C’est quand même déses­pé­rant que Monfils doivent jouer des ronds pour mettre la balle dans le court… Change d’en­traî­neur Gaël, jamais Champion ne fera de toi un cham­pion (sic) »
J’ai kiffé annec qui avant le match a écrit « Avec « Monfils, ma rame, ma bataille », on a parfois l’im­pres­sion de revoir les meilleurs moments d’Arantxa Sanchez!!! 3 mètres derrière la ligne de fond et on renvoie, on renvoie… »
J’ai kiffé comme ça pas mal de lectrices et de lecteurs avant le match mais je crois que celui que je kiffle le plus, c’est feodo­larer qui depuis deux jours résume à lui seul par la qualité et la perti­nence de ses posts le niveau global du débat. 

Je vous remercie car vous ne pouvez pas savoir comment vous m’avez motivé. Thierry Champion n’a même pas eu besoin de me faire son petit discours avant le match, il a juste suffi qu’il colle tous ses commen­taires sur le volet de mon casier à Roland. Ce soir je les ai relu et j’ai égale­ment lu tout ce que les mêmes avaient écrit après le match et j’ose l’avouer, j’ai encore plus kiffé. C’était si drôle, si fran­çais, si inco­hé­rent. Et Dieu sait si en terme d’in­co­hé­rence et d’in­cons­tance, je m’y connais. 

Enfin ça c’est ce qu’a dit Apolline il y a deux jours. Je l’aime bien votre Apolline, votre maitresse d’école. Moi aussi je l’ai eu en cours il y a pas long­temps et elle ne me lais­sait rien passer. Mais je ne sais pas, je l’ai toujours fait suffi­sam­ment rire pour qu’elle me pardonne à peu près toutes mes conne­ries. Et des conne­ries j’en ai faites et j’en ai dites ! Un jour, j’ai balancé que je pensais pouvoir gagner un Grand Chelem en jouant au basket tous les soirs. Toute la salle de presse, consternée, a plongé son nez dans ses chaus­sures, mais Apolline elle était morte de rire. Et elle se moquait pas, hein ! elle trou­vait juste ça telle­ment énorme qu’elle m’avait dit « T’es trop chou, Gaël, viens me faire un bisou !». 

Ah vous avez de la chance de l’avoir, votre Apolline, parce que c’est la seule qui a senti ce que j’étais en train de travailler avec Thierry Champion depuis un mois et demi : devenir un super défen­seur pour être un jour un super atta­quant, maitriser parfai­te­ment la liaison entre ces deux phases de jeu et les deux zones de terrain où elles se pratiquent, soit la clef du jeu sur terre battue. En cela elle a saisi qu’a­près tout, mon atten­tisme n’était pas si grave tant que ça m’évi­tait de faire une faute tous les 3 coups. Pour le reste, elle l’a vu mon coup droit à l’en­trai­ne­ment, elle savait que c’était un phéno­mène extra­ter­restre, un truc jamais vu. Elle ne vous a pas non plus parlé de mes volées en suspen­sion pendant l’échauf­fe­ment contre Djokovic. Elle doit vous les garder pour une prochaine chro­nique tech­nique ou tactique. Parce que vous ne le savez peut‐être pas, amies lectrices, amis lecteurs, mais votre Apolline, je l’ai égale­ment vu trainer dans la fosse du Lenglen lors des deux matches de Ferrer contre Hewitt et Stepanek, et elle a vu que les deux avaient passé 5 sets à filer des balles coton­neuses à l’Espagnol, un truc qu’il déteste telle­ment qu’en plein 4ème set contre Hewitt, Ferrer a pété les plombs, commencé à insulter son entrai­neur pendant 5 minutes jusqu’à ce que l’ar­bitre lui foute un point de péna­lité qui a entrainé la perte immé­diate du jeu. Après ça, Ferrer s’est calmé. Pendant dix sets, Ferrer est toujours arrivé à se calmer. Mais pas contre moi. Je lu ai foutu les nerfs en pelote à tout ramener. Un peu comme Nadal. C’est marrant qu’on parle toujours de la couver­ture du terrain de Nadal et jamais de la mienne. Je dis pas que je suis Nadal, mais c’est quand même pas mal ce que je suis allé cher­cher aujourd’hui, surtout ma longueur et on n’en parle jamais, ma lour­deur de balle sur les séries croi­sées. C’est un bon début pour un jeune, non ?

Mais comme Apolline me connait bien, elle sait que je ne suis encore qu’en phase de pré‐maturation, pas même de matu­ra­tion, et que je ne peux pas me trans­former en numéro 1 mondial de la tran­si­tion défense‐attaque, attaque‐défense en un seul jour. Mon match contre Federer sera du bonus gran­deur nature, mais comme je sais qu’elle attend surtout de la constance et de la cohé­rence de ma part… après Roland Garros, je lui promets que je vais faire de mon mieux pour exploiter mon véri­table talent. Sortir de la molle atti­tude qui marque certains jeunes de ma géné­ra­tion, ceux qui de Gulbis à Murray, donnent l’im­pres­sion qu’ils font du tennis mais qu’ils pour­raient tout aussi bien aller faire autre chose. Oui, Apolline a bien dit Gulbis. Oui, Apolline a bien dit Murray. 

Il y a deux jours, dans sa chro­nique martienne pour le journal l’Equipe, Mats Wilander expli­quait ce qui sépare le winner du loser. Il partait évidem­ment de l’exemple du bon étudiant Nadal : « Un winner peut perdre ou gagner, ça ne chan­gera RIEN, abso­lu­ment RIEN à sa façon de faire ou à ce qu’il essaie d’ac­com­plir. Rien ne le fait dévier de son chemin. Et il met tout, victoire ou défaite, dans son sac à expé­rience pour tracer sa route avec. Immuablement […] Un loser, lui, est recon­nais­sable au fait qu’il espère, juste­ment, qu’une victoire chan­gera toute son exis­tence ». On espère qu’à l’instar de ses collègues Gasquet, Llodra, Chardy, Mathieu et consorts, Monfils a compris qu’il n’a pas besoin d’un bon parcours à Roland Garros pour se convaincre une bonne fois pour tous que le tennis c’est sa vie, sa première vie au moins. 

Et ce n’est pas forcé­ment une vie à la con. Un peu de respect pour les gens qui triment vraiment.