Ce soir Apolline a reçu un texte sur son mail personnel, il était signé par l’un des plus grands champions olympiques français : Frank Adisson, médaille d’or de canoë‐kayak à Atlanta en 1996 avec son compère Wilfried Forgues. Ce texte coup de gueule sous forme de long plaidoyer pour la pureté de l’Olympisme pose clairement le cadre du débat qui, à notre avis, ne va faire que se durcir d’ici à l’ouverture des Jeux à Pékin. Pour ceux qui s’étonneraient de la présence de ce texte dans nos colonnes, qu’ils récupèrent les images du passage de la flamme à Londres et la tête de Tim Henman, sourire crispé au moment d’effectuer son relais sous escorte policière. Ils comprendront un peu mieux le coup de gueule de Frank écrit après avoir vu le même spectacle se reproduire à Paris.
Athlètes en otages
J’ai participé à trois Jeux Olympiques, fait des médailles à deux, et j’ai eu la chance en 2004 d’être porteur de la flamme Olympique. De tous ces événements, je garde le souvenir d’une ambiance magique, extraordinaire de fête et de générosité, de plaisir pur. Je suis sans doute une illustration parfaite de l’idéal Olympique : je me suis entraîné comme un fou pendant 17 ans, mais je n’étais qu’amateur et travaillait à côté, et depuis que j’ai arrêté je suis revenu à la vie « civile » pour gagner ma vie et vivre en famille comme tout le monde. Avec toujours au cœur cet amour de l’Olympisme qui me fait rêver depuis l’enfance. C’est pourquoi j’ai pleuré de voir cette mascarade de parcours de flamme Olympique, moi qui ai remis le flambeau à Stéphane Diagana en 2004 dans la Tour Eiffel.
Embêter le mouvement Olympique pour embêter la Chine…le calcul est simple, et l’objectif « Tibet » semble mériter ce moyen médiatique de défendre une cause. Oui, sauf qu’une fois encore, on prend les athlètes en otage. Certes ils ne sont pas indifférents à la cause du Tibet, certes les valeurs de liberté et d’égalité leur sont chères, puisqu’ils se battent pour la plupart d’entre eux dans le plus strict respect de l’idéal Olympique, si pur et si beau.
Mais dans sa jeune vie, lorsqu’on va participer aux JO, on a déjà beaucoup sacrifié à cet idéal de donner le meilleur de soi même, et si on a la chance de participer à deux ou trois Olympiades, c’est bien le maximum. Si on veut y être compétitif, on a tout mis de côté pour se donner à 100 %. Alors pourquoi devenir l’instrument politiques des autres ? S’il y a des problèmes, c’est aux hommes politiques, à l’action politique citoyenne, aux acteurs économiques qu’il faut demander de réagir. Ils sont là pour ça, et même s’ils n’ont pas le tambour médiatique des JO, ce sont eux qui peuvent être efficaces.
Le piège est double pour le pauvre athlète qui est – comme celui à qui il est promis monts et merveilles – le seul à croire en son idéal Olympien. Car le non initié se sentira légitime à prendre le sport en otage : les dirigeants Olympiques, s’ils ont pris cette décision, n’avaient en tête que des arrières pensées économiques, politiques, stratégiques. Mais sachez que eux aussi ont pris les athlètes en otage, eux aussi se nourrissent sur la bête, eux aussi jouent une partie de billard à trois bande où dans leur grande lâcheté ils demandent aux sportifs de porter haut des valeurs admirables pour faire avancer leurs petites combines.
Alors de grâce, les uns et les autres, cessez de vous tirailler pour profiter au mieux de votre beau bébé médiatique, laissez le vivre un peu. Pensez, vous qui découvrez la noble cause du Tibet et la jouissance d’être du côté des gentils, que vous privez certains athlètes d’un rêve extraordinaire, celui de porter la flamme Olympique, de communier avec les autres sportifs et de faire partie de cette belle chaîne. Adressez‐vous directement à nos hommes politiques pour qu’ils tiennent leur ligne de conduite de campagne électorale. Témoignez de votre courroux auprès des acteurs économiques qui accompagnaient notre Président lors de son voyage en Chine : les gros contrats qui s’y sont négociés peuvent aussi être de beaux otages…
Et si, outre demander aux autres de faire des efforts à votre place, vous avez envie d’agir, amis artistes faites‐le dans vos salles de spectacle, amis donneurs de leçon faites‐le en votre nom, amis consommateurs vérifiez que le T‑shirt que vous venez d’acheter, le four à micro ondes ou les baskets du petit dernier à 8 euros ne proviennent pas de Chine. Vous avez un champ d’action et de parole qui est le vôtre, il sera courageux de le prendre, et de laisser les athlètes choisir celui qui leur est propre. Car le dilemme qui est le leur est déjà assez lourd à porter comme ça, quand on a besoin d’être à fond sans arrière pensée au départ d’une compétition. On a également besoin, vous le savez bien, du soutien de tous derrière soi. L’histoire, elle, retiendra le nom des médaillés.
Frank Adisson
Publié le mercredi 21 mai 2008 à 16:05