Tout est parti d’un post de Patricia se demandant en réaction au texte « Bon demi siècle, Johnny Mac » pourquoi McEnroe ne s’énervait pas ou peu face à Björn Borg. En fait c’est faux, tout a commencé bien avant. A la lecture d’autres posts qui flottaient tout autant sur la question McEnroe. Patricia a juste été l’instant déclencheur, l’instant où tout explose. Il y a toujours un moment où Apolline commence à lire des posts et où elle a les abeilles. Elle va alors réagir… à la McEnroe, c’est‐à‐dire qu’elle va sortir de ses gonds. A chaque fois, avec cette même violence, croissante. Ce sera plus fort qu’elle. Logiquement, vous direz que ça définit une partie du caractère d’Apolline. Elle réagit au quart de tour, elle est colérique, c’est une sale gosse, c’est une Superbrat.
Si vous voulez aller à l’essentiel sur John McEnroe, revenez à cet omega là. John a deux frères dont vous connaissez l’un, Patrick, pour l’avoir longtemps vu sur un terrain et désormais sur une chaise pendant la Coupe Davis, mais on peut vous dire que l’autre, Mark, est aussi placide. Ils ont un père avocat, John Senior, gestionnaire tranquille du patrimoine de ses enfants, un américain à bob Ricard qu’on n’a jamais vraiment vu partir en sucette dans une tribune, même après les titres de son fils. Il y a juste la mère, Kay, qui est un peu spéciale, un peu « exigeante pour cinq » mais pas au point que les deux frangins de John soient devenus des excités du bulbe. John si. Comme Apolline.
On peut appeler ça comme on veut, la génétique, l’ADN, les fées qui se penchent sur le berceau, McEnroe a « naturellement » un caractère de feu, il est impatient, en mission pour la perfection. C’est au‐delà même de son éducation. Il peut d’ailleurs être tout ça en étant également le mec le plus éduqué, le plus sensible du monde, le plus ouvert, le plus charmant. Ca n’a rien d’incompatible. Mais quand vous vous trouvez dans cette zone personnelle, que Patricia appelle « la névrose », où vous commencez à chauffer très vite pour une raison liée à votre temporalité, votre impatience, votre rapport au monde, votre compréhension plus ou moins expéditive des situations, eh bien à un moment ou à un autre, vous allez forcément faire votre grande sortie.
McEnroe est comme ça. Il était comme ça à 5 ans. Il l’était pareil à 10, à 15, à 18 et pour bien marteler le message, on dira qu’il est encore pire aujourd’hui, parce que la maturité ne pondère jamais ce truc‐là. Bien sûr ça réduit le nombre de sorties aériennes par an, mais ça reste d’une violence inouïe quand ça part. Vous sentez le truc monter en vous et ça vous fait un bien fou de lâcher les chevaux. C’est là d’ailleurs toute la perversité à venir et à expliquer dans cette réaction. Plaqué au jeu de tennis, on peut aller vérifier la chose chaque année au Trophée Lagardère : McEnroe racontait déjà en 1984 qu’il essayait de progresser dans son approche, qu’il se rendait compte qu’il avait perdu des matches à cause de ça, mais 25 ans plus tard il n’a pas changé d’un pouce en terme de comportement. TOUT SIMPLEMENT PARCE QU’IL NE PEUT PAS. Quand il sent que le match est en train de lui échapper, c’est la même réaction irréversible en lui. Un mélange de fureur sur lui‐même qu’il ne peut évidemment exprimer qu’en ne s’en prenant à des éléments extérieurs, l’arbitre, les balles, le public. Bien sûr qu’il sait que ça vient de lui, qu’il ne peut s’en prendre qu’à lui, mais sa réaction est animale, il n’est pas programmé pour supporter de faire de telles fautes, et il ne peut pas supporter d’être moins bon que le mec d’en face. C’est une réaction d’un orgueil démesuré, Apolline en convient, mais elle est la réaction la plus « naturelle » qui lui vient. Les éléments extérieurs lui apparaissent alors sources d’agressivité, d’hostilité surnuméraire et c’est la raison pour laquelle McEnroe se comporte alors comme une lionne en furie qui protège son territoire de tout ce qu’elle juge comme une intrusion, tenant tout le monde en joue (public, arbitre, juge de ligne, photographes et même ramasseurs de balle), la balle ou la raquette prêt à sniper pour que plus personne ne bouge. Tout mouvement, tout son, tout murmure, McEnroe l’entendra et le recevra comme une tentative de plus de déstabilisation. Car il voit tout, entend tout, l’abeille au 4ème rang, le mec qui renifle derrière lui, et cette hyper conscience se transforme immédiatement en état de paranoïa. Encore une fois, il sait pertinemment qu’il se trompe, mais vis à vis de l’idée qu’il se fait de son propre jeu, il n’a aucune raison d’aller se rabaisser à aller chercher une excuse en lui. Mais, le plus terrible, et le plus pervers dans la névrose, c’est qu’au regard de son fonctionnement tennistique et de sa façon de se remonter le bourrichon, McEnroe a probablement raison de réagir ainsi. Il a gagné énormément de parties en mettant ces dix minutes de souk total sur le terrain, car ce sont dix minutes où dominé par la temporalité de l’autre, il réagit en imposant de force son agenda, par tous les moyens. Le jeu se retarde alors, McEnroe y discute longuement, avec véhémence, et sans tricher. Sa colère n’est pas feinte et il s’en passerait bien s’il le pouvait. Mais elle est sa zone de confort naturel. Et en cela, il n’a donc pas ou peu de problèmes à l’habiter pour se remettre immédiatement à bien jouer au tennis. L’adversaire, lui, c’est autre chose et cela explique certains écroulements de joueurs face à un Big Mac revenu dans sa ligne de tir en un claquement de doigts. Mais qu’on ne soit pas dupe – et McEnroe ne le fut jamais dans sa carrière – ce fonctionnement ne marche qu’une fois dans la partie, et pas contre n’importe quel adversaire. Quand il jouait des cadors qui le dominaient vraiment, on peut vérifier que jamais McEnroe ne revenait pas, et on ne trouvera pas plus mauvaise statistique de « come‐back » dans l’histoire du tennis. McEnroe n’a jamais retourné une partie avec un set de retard. Seul Yannick Noah aura fait les frais d’une exception lors de la finale de la Coupe Davis à Grenoble en 1982.
Encore aujourd’hui on peut profiter de ces dernières années sur le Senior Tour pour vérifier le détail qui ne trompe pas. McEnroe a 50 ans, il joue encore un tennis que « personne ne connait » (pour reprendre le beau mot de Bill Tilden sur Henri Cochet) mais il joue fatalement des « gamins » de 37, 38 ans qui part le simple fait de l’âge le mettent tout de suite en difficulté et iront jusqu’au bout sans se faire rattraper. Regardez alors la réaction de McEnroe. C’est la même à chaque match suivant un scénario imperturbable. Ca démarre par une série de contestations dès le break concédé au troisième jeu, discussions qui montent crescendo au fil du double break que l’adversaire creuse, puis c’est l’explosion d’insultes sur l’arbitre quand le score devient indigne pour lui. Cette explosion crée alors un effet de trouble chez l’adversaire qui le fait flotter 5 minutes le temps pour McEnroe de débreaker et de se calmer. Mais il perd le set et passe alors en phase Ronchonnement, qui débouchera bientôt sur une certaine forme d’abattement, puis de résignation silencieuse à trois jeux de la fin. Les insultes lui ont‐elle servi à quelque chose dans un sens ou dans l’autre ? Dans ce cas‐là, non, McEnroe dit avoir perdu quelques matches en s’énervant, dont le plus connu face à Lendl, mais il se trompe encore. Quand il commence à s’énerver, c’est qu’il sent qu’il est en train de perdre, en train de fatiguer et qu’il ne sait plus comment arrêter l’hécatombe. Et à part contre des joueurs moyens, ça se finit toujours mal.
Pourquoi alors n’a‑t-il jamais ou très rarement fait ça contre Borg (et si on analyse encore un peu mieux contre Agassi, Sampras, pas plus qu’il ne le ferait contre Federer ou Nadal, mais respectons Patricia, restons en à Borg). Outre le respect, pour ne pas dire l’admiration sans borne que lui inspirait et lui inspire toujours le personnage de Borg (dont il a été le ramasseur de balles à Forest Hill en 1972, dont il avait le poster dans sa chambre et qu’il sollicitera à de multiples reprises pour qu’il fasse son come‐back sur le circuit. On peut d’ailleurs aller lire la comparaison que McEnroe fait sur Borg et Sampras, et on aura une idée précise de ce qui sépare les deux), on ne peut pas comprendre John McEnroe si on ne saisit pas ce qui contrebalance son personnage de névrosé colérique et le rend appréciable et apprécié par ses pairs… « malgré tout » : sa redoutable intelligence, et on la qualifie de redoutable parce qu’elle a là aussi tous les traits d’une belle et grande perversité.
Le jeune McEnroe aime choquer, il aime sentir qu’une certaine partie du public bourgeois du Wimbledon 1977 le siffle quand il insulte les arbitres, il trouve ça marrant, ça l’émoustille, il le dit lui‐même dans son livre et l’a répété devant Apolline. Très bien, mais même quand on est le premier des provocateurs, on a envie d’être aimé par certaines personnes bien précises, celles qui applaudissent à votre génie, celles qui le perçoivent d’emblée, celles que vous respectez parce que ce sont celles qui justement comprennent tout cela du premier coup. Ces personnes‐là vous n’avez jamais envie de les perdre. Celles‐là vous jouez pour elles. Quand en 1977 à Roland Garros, McEnroe joue sa finale de double mixte avec Mary Carillo sur le fameux court numéro 6, le court sous les tilleuls, disparu aujourd’hui (oh, nostalgie), il y a trois pèlerins et quatre tondus autour du terrain. Les autres sont tous en train de regarder la finale homme sur le central. McEnroe le dit noir sur blanc dans sa biographie, c’est une des épreuves les plus humiliantes de sa vie. Une expérience dont il sort « rotten », grillé. Malgré lui, malgré ses provocations pour faire hurler sa grand‐mère, McEnroe veut plaire, McEnroe a toujours voulu plaire. En premier lieu par son jeu. En deuxième par son intelligence, autant sur un terrain qu’en dehors. Toute personne qui l’a rencontré est frappé par cette vivacité d’esprit, son côté « trois coups d’avance », ses réponses de tireur d’élite qui mêlées à une véritable timidité donne ce sentiment de fulgurance et aussi un peu d’arrogance. Mais restons à l’essentiel : McEnroe est intelligent, très intelligent, quelqu’un de très fin et subtil dans son appréciation des situations et des gens, ce qu’il fait tout de suite sentir à son interlocuteur.
Ce qui crée alors le choc des tectoniques intimes, c’est quand McEnroe doit faire cohabiter les deux sentiments qui le traversent au pire des moments, celui où il explose. Quand il joue quelqu’un qu’il ne respecte pas, pas de problème, McEnroe va aller jusqu’au bout de sa colère se foutant totalement que son adversaire ou le public apprécie ou pas. Au contraire, si ça siffle un peu, c’est encore mieux. Mais quand il joue quelqu’un qu’il respecte dans un match clef, McEnroe peut s’énerver violemment… jusqu’au moment où il sent de lui‐même qu’il devient pathétique. Et selon la haute idée qu’il se fait de lui‐même – et c’est encore là une énorme preuve de son orgueil – McEnroe ne veut pas se sentir grotesque dans les yeux du mec d’en face, ni du public. Soit vous le verrez donc s’autodiscipliner de lui‐même pendant tout le match (cela ne démontrera pas que s’il le voulait, il se calmerait, car cette autodiscipline lui pompe une énergie folle pour se contenir, mais il est prêt à faire cette exception contre les deux, trois seigneurs de sa catégorie), soit vous verrez très distinctement ce moment où parti dans une colère de grand chemin il saisit dans la foulée qu’il est en train de se ridiculiser devant son adversaire et devant tout le monde, et pour McEnroe, être ridicule au point de ne plus avoir figure humaine, au point de n’être qu’un petit con surexcité sans cervelle face à un mec qui le domine à la régulière et qui se tient bien, c’est tout simplement impossible.
Preuve à l’appui de ce canevas dès qu’il joue contre Borg, cette anecdote en or narrée par McEnroe lui‐même : « La deuxième ou la troisième fois qu’on s’est joué, à la Nouvelle‐Orléans, il y avait 5–5 dans le 3ème set, et j’étais toute voiles dehors, en train de péter les plombs, et Bjorn m’a fait venir au filet. J’ai pensé. « Mon Dieu, qu’est-ce qu’il va faire ? Il va me dire que je suis le plus grand connard de tous les temps !» Et il m’a juste mis la main autour de l’épaule et m’a dit « C’est OK. Relax ». Il y avait 5–5 dans le 3ème set ! Mais il était amusé par la scène. « C’est Ok », il m’a dit, « c’est un grand match ». Il m’a fait sentir très spécial. Il ne considérait pas ce que je faisais comme pouvant l’affecter. C’était juste ma folie personnelle. Et en plus – c’était la le point central – il était toujours le numéro 1 mondial.
Cette anecdote dit tout du conflit interne de McEnroe quand il veut s’énerver tout en étant respecté, quand le regard de l’autre compte pour lui, quand il admire en secret. Elle dévoile également un autre aspect de John McEnroe dont Apolline a déjà parlé. McEnroe est un trouillard, un beau, un vrai, un grand qui a toujours compensé sa trouille par une incroyable agressivité verbale et physique. Celle qui tient tout le monde à distance et qui fait que vous n’osez pas approcher. Adulé, oui, mais approché, McEnroe n’y tient toujours pas, même aujourd’hui face à ses nombreux fans. Timidité dans la vie, oui, mais surtout vraie peur, vraies chocottes que l’on peut mieux comprendre avec deux scènes. La première est celle où en pleine finale de Roland Garros 1984, McEnroe prend un retour du bout de monde de Lendl et ne trouve rien de mieux que de l’insulter sur l’air du mec cocu comme pas deux. Le Tchèque halluciné, avance évidemment dans le terrain et McEnroe, très malin mais qui n’en mène pas large, tourne alors rapidement les talons et fait le mec qui part demander des balles au fond du court, protégé qu’il se sent par le filet. McEnroe sera en fait toujours protégé par le filet, par cette possibilité de faire de la boxe à distance, de frapper sans pouvoir être frappé en retour, sans qu’on ne l’atteigne jamais vraiment. Mais un jour cette protection va tomber. L’anecdote est célèbre. McEnroe joue Leconte sur le Senior Tour, s’énerve et traite Henri, probablement « d’enfant de dame payée pour prodiguer un peu d’amour sur des sommiers consolidés », enfin pour que Henri Leconte, le plus gentil garçon du monde, s’énerve, il faut vraiment balancer un truc énorme. Riton ne rigole plus et fait alors le tour du filet pour venir s’expliquer avec John sous les encouragements du public et de tous les potes du Senior Tour, assis le long du court, trop contents de voir le salle gosse se faire rosser pour la première fois en place publique. McEnroe, très inquiet, change immédiatement de visage, devient tout pâle et tente de désamorcer la bombe Leconte – toujours son intelligence pour se sauver – et après palabres, Henri décide finalement de lui laisser la vie sauve. Gêné, penaud, McEnroe viendra s’excuser dans les vestiaires.
Voilà, mes enfants, pour le cas McEnroe. Comme vous le constatez, on est loin de l’idolâtrie béate. Mais la question, la vraie, vous la devinez. Comment Apolline peut‐elle savoir tout ça ? Au‐delà même de la documentation, au‐delà même de l’avoir rencontré, au‐delà même ce que John saurait raconter sur lui‐même, voilà un grand mystère.
La vérité, c’est que dans tout ce qu’elle vient de décrire, Apolline est la même que McEnroe… en pire !
Pire joueuse et pire diablesse sur un terrain de tennis, pire agressive et pire perversité dans l’intelligence, capable de sorties aériennes dantesques suivies d’une facilité à récupérer son public à la volée quand elle sent qu’elle frise le ridicule, et tout cela, selon cette même haute, très haute idée, très orgueilleuse idée qu’elle se fait d’elle-même. Et c’est pour ça que malgré tout, malgré tous ses défauts, malgré tout ce qu’elle vient de décrire et dont on est bien certain que les moins malins vont se servir pour essayer de salir le bilan McEnroe : ce mec est quand même un putain de génie qui nous a fait rêver et continue de nous faire rêver comme aucun putain d’autre joueur et qui mérite un putain de site à lui tout seul.
Parole d’Apolline !
En chaleur, évidemment !
Publié le jeudi 25 juin 2009 à 00:07