Depuis l’US Open, le circuit ATP est en ébullition. Les problèmes causés par la pluie à l’occasion du Grand Chelem américain ont réveillé les revendications des joueurs – des revendications qui n’ont rien de nouveau… Mais, en une dizaine de jours, les plaintes et menaces des Djokovic, Nadal, Federer et Murray semblent avoir pris une dimension telle qu’on sent possible, désormais, des actions unifiées et concrètes de la part des joueurs. Retour sur cette petite révolution.
Deux problématiques majeures sont soulevées par les joueurs : le calendrier, la programmation des tournois du Grand Chelem et la répartition des revenus. Pour ce qui est du calendrier, bienvenue dans le marronnier nadalien. L’Espagnol a toujours été le premier à se plaindre du rythme imposé aux joueurs tout au long de l’année : on peut le comprendre, ses performances l’amenant forcément à jouer un maximum de matches dans chacune des épreuves disputées et son jeu très physique l’exposant aux blessures, comme on a pu le constater en 2009. La semaine dernière, Rafa a fait le grand écart au‐dessus de l’Atlantique : un pied à New‐York, le lundi soir, pour une finale monstrueusement exigeante face à Novak Djokovic, un pied à Cordoue, le lendemain, sur terre battue, pour remporter une demie de Coupe Davis. La goutte d’eau de trop dans un vase déjà bien rempli : « C’est inacceptable que deux gros événements comme un tournoi du Grand Chelem et la Coupe Davis soit aussi proches l’un de l’autre dans le calendrier », tempête le numéro deux mondial. « Jouer au tennis, c’est ce que j’aime et c’est pourquoi je suis prêt à faire des milliers de kilomètres. Mais quelque chose doit changer ! » Andy Murray tient le même discours et notre grognon Ecossais n’y va pas avec le dos de la cuillère. « Le calendrier est bordélique, nous devons le changer », balance‐t‐il en marge de la Coupe Davis. « Les épreuves obligatoires, c’est devenu ce qu’il y a de pire. Avant, on n’avait qu’à jouer neuf Masters 1000 et quatre tournois du Grand Chelem, soit 13 au total. Je suis ouvert à l’idée selon laquelle certains petits tournois peuvent ne pas être disputés parce que 250 points d’attribution ne feraient pas tant de différence. Quand on joue des Masters 1000 ou des Grands Chelems, on se mesure aux meilleurs joueurs du monde à chaque fois. » Même Jo‐Wilfried Tsonga, rarement gueulard, trouve le rythme « super dur ». « Moi, je voyage 41 à 42 semaines par an », explique‐t‐il. « Ça fait beaucoup, on n’a pas de temps pour souffler pour, tout simplement, dormir dans son propre lit ! […] Ce ne serait pas idiot d’alléger ce calendrier. »
Deuxième récrimination : la programmation dans les tournois du Grand Chelem. Difficile de leur donner tort quand l’on voit la manière dont les organisateurs de l’US Open ont géré les intempéries de la deuxième semaine. Exemple : mercredi 7 septembre, il pleut des trombes d’eau. Rafael Nadal doit affronter Gilles Müller. A 12h30, on appelle les joueurs sur le Central. Le court est glissant, les deux jouent 21 minutes et la pluie interrompt la partie. L’Espagnol ne décolère pas : « C’est toujours la même histoire, vous ne pensez qu’à l’argent ! » lâche‐t‐il au Directeur du tournoi. « Ils savent qu’il pleut toujours, mais nous appellent quand même sur le court. Bon sang, ce n’est pas possible ! », continue‐t‐il sur le plateau d’ESPN. Roddick enchaîne : « S’il y a discussions pour savoir si les courts sont jouables, c’est qu’ils ne le sont pas. Tout ça n’est finalement qu’une question de fric. » « Une question de fric. » Et d’audimat. Franklin Johnson, membre de la Direction de l’USTA, la Fédération Américaine, le reconnaît : « Les revenus télé des demi‐finales jouées lors du super Saturday sont clairement meilleurs que si ces demies étaient jouées le vendredi. » Un positionnement que regrette Roger Federer, fervent opposant au Sunday start et au super Saturday : « Bien sûr, personne ne pouvait prévoir qu’il pleuve deux jours d’affilée. Mais ce n’est pas le fond du problème : avec une programmation normale, ces retards n’arriveraient jamais. Malgré nos protestations, rien ne change, les Grands Chelems placent l’audimat au‐dessus de toute considération. Idem à Roland‐Garros, où nous étions vivement opposés à l’ouverture du tournoi le dimanche. Ils l’ont fait quand même. Toutes les parties vont devoir s’asseoir autour d’une table et aborder les vrais sujets désagréables. Je parle de la santé des joueurs et de l’utilisation des revenus : l’US Open ne pourrait‐il pas réinvestir une plus grande partie de ses bénéfices, notamment dans un toit ? »
« Ce n’est qu’une question de fric »
Cette « utilisation des revenus » constitue le troisième point d’accroc entre joueurs et organisateurs. En effet, comment est‐il possible qu’un tournoi du Grand Chelem tel que l’US Open, monstrueuse machine à fric – les bénéfices du tournoi devraient dépasser les 200 millions de dollars pour l’édition 2011 –, soit encore à utiliser serpillères et aspirateurs façon femme de ménage en cas d’intempéries ? Comment se fait‐il que les courts ne soient pas équipés de bâches ? Comment peut‐on voir le Stadium Arthur Ashe inutilisable à cause d’infiltrations ? Et dire que l’on juge Roland Garros obsolète… Roger Federer met également le doigt sur un autre problème, lié à l’utilisation des revenus : les arbitres. « C’est un métier difficile que d’être arbitre. Et j’aurais souhaité que les meilleurs soient ici. » Oui, car les meilleurs n’étaient pas là. Seuls 13 d’entre eux, sur 26, avaient fait le déplacement à New York, cette année. « Ca fait très longtemps qu’on se plaint », explique Norm Chryst, ex‐arbitre international. « L’US Open augmente ses bénéfices tous les ans, mais, nous, officiels, n’en voyons pas la couleur. Si les Badges Or ne veulent pas venir ici, c’est principalement pour des raisons d’argent. » 250 dollars par jour à l’US Open pour les Badges Or, professionnels les plus qualifiés, contre 306 à Wimbledon et 383 en Australie… Poussant la provoc’ un peu plus loin, Andy Murray estime que les Grands Chelems durant plus de deux semaines, en raison d’un Sunday start ou d’un retard quelconque, devraient donner plus d’argent aux joueurs : « S’il veulent rajouter un jour de compétition, il se doivent d’augmenter substantiellement le prize‐money, puisque cela implique un jour de travail supplémentaire pour nous. » Somdev Devvarman, numéro un indien, le suit dans ce raisonnement, parlant de joueurs « sous‐payés ». « Nous ne touchons que 12% des revenus de l’US Open, alors que c’est nous, joueurs, qui le générons, ce revenu. Nous devrions donc avoir notre mot à dire ! »
« Créons un vrai syndicat de joueurs ! »
Alors, quelles conséquences possibles d’une telle situation ? La première : le non alignement des tops players sur certaines compétitions historiques – on pense à la Coupe Davis. « Comme la Fédération Internationale de Tennis ne veut rien entendre, la seule solution qu’il nous reste, c’est une solution de force ; si ça continue comme ça, les meilleurs joueurs du monde arrêteront, tout simplement, de jouer cette compétition », affirme Rafael Nadal. La deuxième : la création d’un syndicat des joueurs, en‐dehors de toute institution, ITF ou ATP. « Créons un vrai syndicat de joueurs ! », propose Andy Murray. « Si c’est l’unique moyen de faire entendre notre voix… » « J’admets que les tournois du Grand Chelem soient un gigantesque business », renchérit Novak Djokovic. « Mais les joueurs font partie intégrante de ce spectacle, à ce que je sache. Et ils ne sont pas même pas écoutés ! J’espère que nous constituerons un front uni afin de mieux défendre nos intérêts. » « Si on veut du changement, changeons de ton », conclut Nadal. « Organisons‐nous pour que ça n’arrive plus. » Une initiative adoubée par John McEnroe en personne : « Il faut que les joueurs refusent ce traitement. Qu’ils se constituent en syndicat et protègent leurs intérêts. » L’ex-numéro un mondial va même plus loin – et c’est la troisième conséquence possible : « Qu’ils fassent grève. » Andy Murray développe : « Il y a clairement un risque de grève. Je sais pour en avoir déjà parlé avec eux, que certains joueurs n’ont pas peur d’y recourir. Il faut espérer qu’on n’en n’arrivera pas là, mais les joueurs y songent. Nous entamerons des discussions avec l’ATP et la Fédération internationale de tennis (ITF) pour voir si des compromis peuvent être trouvés. Si ce n’est pas possible, nous prendrons des dispositions. »
Une grève des joueurs… Très franchement, on ne sait pas quoi en penser et le débat reste ouvert. Michael Stich, vainqueur de Wimbledon en 1991 et, actuellement, Directeur du tournoi de Hambourg, s’insurge contre le comportement du Big Four and co’ : « Je pense que les joueurs oublient que ce sont les tournois et leurs organisateurs qui leur donnent du boulot. D’autant que, franchement, ils ont une saison plus courte que ce que nous avions, à mon époque. Je jouais le simple et le double dans beaucoup de tournois et un gars comme Stefan Edberg le faisait dans les tournois du Grand Chelem sans jamais se plaindre. C’était notre job et on adorait ça, c’est tout. » Des enfants gâtés, en somme, dont les revendications, selon Stich, ne sont pas cohérentes et mettent en avant leur seule envie de gagner toujours plus d’ « oseille ». « Ils n’ont qu’à jouer moins d’exhibitions ! Mais ils cherchent à faire toujours plus de fric, alors qu’ils pourraient s’aligner sur de plus petits tournois. » Avant de pointer du doigt une forme d’immaturité : « On dirait qu’ils veulent jouer moins, tout en ayant un prize‐money toujours plus important et leur mot à dire sur le calendrier… Mais on n’est pas dans un monde de rêve ! Le tennis, c’est leur boulot et dans le boulot, vous avez à gérer des situations que vous n’avez pas choisies. Il ne faut pas qu’ils oublient une chose : on est tous dans un partenariat. Avant d’aller au clash, qu’ils réfléchissent à ce qui se passerait si c’étaient les tournois qui allaient au clash. Ils n’auraient plus ni job, ni revenus, ni carrière. »
Vu sous cet angle…
Publié le jeudi 22 septembre 2011 à 13:28