« El loco » Lokoli !

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Laurent Lokoli, 408ème, à 6–4 7–6 6–7 3–6 1–3 face à Steve Johnson, 64ème, à Roland Garros.

Le soir, l’heure des bilans et de la réflexion. L’heure du repos, surtout, de l’apai­se­ment et le calme qui agit comme un baume sur les esprits en ébul­li­tion. Il faut dire qu’une journée, à Roland, c’est fort, puis­sant, mais érein­tant. A tel point qu’on se sent un peu vide au moment de retrouver sa tanière pour oublier le brou­haha de la Porte d’Auteuil. Pourtant, il faut encore écrire, un texte, un tout dernier pour partager quelques pensées. Les dernières qui subsistent encore, comme les ultimes bulles d’un noyé remontent à la surface. Ce n’est qu’a­près, seule­ment après, qu’il est temps de dormir – de lâcher prise.

Ce mardi, lorsque je fermerai les yeux, je sentirai peut‐être encore la présence d’un nom, loin­tain, impal­pable, mais dont l’ex­pé­rience fut suffi­sam­ment forte pour s’im­poser encore, très légè­re­ment, avant l’oubli final.

Lokoli.

Marrant comme un nom peut être évoca­teur par ses sono­rités. Et se rappro­cher d’autres, jusqu’à accou­cher des surnoms les plus vrais. « El Loco ». « J’apprécie ce surnom, ça me fait sourire. J’aime vrai­ment cette image que les gens ont de moi. C’est moi au naturel. » Alors oui, Laurent Lokoli restera la dernière petite chose dont je me rappel­lerai aujourd’hui.

Le court numéro sept plein à craquer. Un gamin de 19 ans, inconnu, au regard possédé, mais jeune, très jeune, qui se tape le cœur, se bat sur chaque balle, joue avec le public… aspire toute l’énergie de son clan survolté. Oui, et ce clan corse, impro­bable, aux « Uni‐di » et « Vincere » chantés inlas­sa­ble­ment, qui entraîne avec lui des spec­ta­teurs plus policés, peu à peu débraillés, au point que cette annexe, sous les yeux du Central, devient un peu le centre du monde – si le monde est Auteuil – et un centre en fusion. On se bous­cule pour entrer, on veut voir le showman, on gueule, on supporte, on lève les bras dans une ambiance de foot aux couleurs de Bastia qui terrasse les élans bour­geois qui pour­raient subsister.

Le gamin trico­lore menait deux sets à zéro, 5–2 dans le troi­sième… Il a frôlé la victoire à deux reprises avec ces balles de match… Mais s’est progres­si­ve­ment fendillé face à l’in­tel­li­gence de Steve Johnson qui a bien senti que le revers n’était pas vrai­ment son coup fort. Lui les préfère droits, balle montante, trajec­toires qui fusent – c’est ce punch de ce côté‐là qui ressort encore, à l’heure de s’en­dormir. Pas son toucher non plus, en témoignent ces volées et amor­ties ratées, ces montées télé­pho­nées. Mais son service, tout de même, pas toujours très varié, néan­moins auto­ri­taire par moments, attei­gnant la barre des 200.

La tech­nique est une chose et il est forcé­ment diffi­cile de jauger un garçon classé 406ème mondial, qui découvre là le grand circuit, alors qu’il ne joue habi­tuel­le­ment qu’en Future et, désor­mais, en Challenger de temps en temps (sept matches disputés dans cette caté­gorie… soit aucune expé­rience). Le mental, en revanche, en est une autre. Et notre Loko‐barjot semble avoir une déter­mi­na­tion à revendre, une gueule, un carac­tère. Du matos pour réussir s’il progresse dans le jeu. La manière dont il a fina­le­ment tenu dans le deuxième set en témoigne. Celle dont il se bat sur le court égale­ment. Je pense que la mèche est allumée », déclarait‐il lundi, alors qu’il avait fait le show, la veille en dansant sur le Central avec Gaël Monfils, qu’il ne connaît qu’à peine, comme s’il y était parfai­te­ment à l’aise et à sa place. « J’espère qu’elle ne va pas s’éteindre. Certains joueurs auraient peut‐être peur de tout cela. Moi, au contraire, je me dis que je suis sur la bonne voie, mais qu’il faut conti­nuer. Il ne faut pas s’en­voler. La chose la plus impor­tante : savoir rester dans sa bulle et tran­quille. »

« Savoir rester dans sa bulle et tran­quille », ce pour­rait être un credo – et ce sera le mien, dans quelques minutes, lorsque je vous quit­terai pour les bras de Morphée. Mais ce devrait être celui de Laurent, surtout. Car demain, le garçon revient pour terminer ce match inter­mi­nable, au score bloqué à 6–4 7–6 6–7 3–6 1–3, le dernier « 3″ étant fati­di­que­ment entre les mains de l’Américain. Du calme et de la volonté : celle de rêver.

En atten­dant, quel que soit le résultat, je garderai, moi, un souvenir de plus : celui d’une folie crépus­cu­laire et d’un petit moment… beau, tout simplement.

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