Le soir, l’heure des bilans et de la réflexion. L’heure du repos, surtout, de l’apaisement et le calme qui agit comme un baume sur les esprits en ébullition. Il faut dire qu’une journée, à Roland, c’est fort, puissant, mais éreintant. A tel point qu’on se sent un peu vide au moment de retrouver sa tanière pour oublier le brouhaha de la Porte d’Auteuil. Pourtant, il faut encore écrire, un texte, un tout dernier pour partager quelques pensées. Les dernières qui subsistent encore, comme les ultimes bulles d’un noyé remontent à la surface. Ce n’est qu’après, seulement après, qu’il est temps de dormir – de lâcher prise.
Ce mardi, lorsque je fermerai les yeux, je sentirai peut‐être encore la présence d’un nom, lointain, impalpable, mais dont l’expérience fut suffisamment forte pour s’imposer encore, très légèrement, avant l’oubli final.
Lokoli.
Marrant comme un nom peut être évocateur par ses sonorités. Et se rapprocher d’autres, jusqu’à accoucher des surnoms les plus vrais. « El Loco ». « J’apprécie ce surnom, ça me fait sourire. J’aime vraiment cette image que les gens ont de moi. C’est moi au naturel. » Alors oui, Laurent Lokoli restera la dernière petite chose dont je me rappellerai aujourd’hui.
Le court numéro sept plein à craquer. Un gamin de 19 ans, inconnu, au regard possédé, mais jeune, très jeune, qui se tape le cœur, se bat sur chaque balle, joue avec le public… aspire toute l’énergie de son clan survolté. Oui, et ce clan corse, improbable, aux « Uni‐di » et « Vincere » chantés inlassablement, qui entraîne avec lui des spectateurs plus policés, peu à peu débraillés, au point que cette annexe, sous les yeux du Central, devient un peu le centre du monde – si le monde est Auteuil – et un centre en fusion. On se bouscule pour entrer, on veut voir le showman, on gueule, on supporte, on lève les bras dans une ambiance de foot aux couleurs de Bastia qui terrasse les élans bourgeois qui pourraient subsister.
Le gamin tricolore menait deux sets à zéro, 5–2 dans le troisième… Il a frôlé la victoire à deux reprises avec ces balles de match… Mais s’est progressivement fendillé face à l’intelligence de Steve Johnson qui a bien senti que le revers n’était pas vraiment son coup fort. Lui les préfère droits, balle montante, trajectoires qui fusent – c’est ce punch de ce côté‐là qui ressort encore, à l’heure de s’endormir. Pas son toucher non plus, en témoignent ces volées et amorties ratées, ces montées téléphonées. Mais son service, tout de même, pas toujours très varié, néanmoins autoritaire par moments, atteignant la barre des 200.
La technique est une chose et il est forcément difficile de jauger un garçon classé 406ème mondial, qui découvre là le grand circuit, alors qu’il ne joue habituellement qu’en Future et, désormais, en Challenger de temps en temps (sept matches disputés dans cette catégorie… soit aucune expérience). Le mental, en revanche, en est une autre. Et notre Loko‐barjot semble avoir une détermination à revendre, une gueule, un caractère. Du matos pour réussir s’il progresse dans le jeu. La manière dont il a finalement tenu dans le deuxième set en témoigne. Celle dont il se bat sur le court également. Je pense que la mèche est allumée », déclarait‐il lundi, alors qu’il avait fait le show, la veille en dansant sur le Central avec Gaël Monfils, qu’il ne connaît qu’à peine, comme s’il y était parfaitement à l’aise et à sa place. « J’espère qu’elle ne va pas s’éteindre. Certains joueurs auraient peut‐être peur de tout cela. Moi, au contraire, je me dis que je suis sur la bonne voie, mais qu’il faut continuer. Il ne faut pas s’envoler. La chose la plus importante : savoir rester dans sa bulle et tranquille. »
« Savoir rester dans sa bulle et tranquille », ce pourrait être un credo – et ce sera le mien, dans quelques minutes, lorsque je vous quitterai pour les bras de Morphée. Mais ce devrait être celui de Laurent, surtout. Car demain, le garçon revient pour terminer ce match interminable, au score bloqué à 6–4 7–6 6–7 3–6 1–3, le dernier « 3″ étant fatidiquement entre les mains de l’Américain. Du calme et de la volonté : celle de rêver.
En attendant, quel que soit le résultat, je garderai, moi, un souvenir de plus : celui d’une folie crépusculaire et d’un petit moment… beau, tout simplement.
La folie corse avec le « loco » #Lokoli !!!! #RG14 pic.twitter.com/dtfLh6SZwf
— Rémi Cap‐Vert (@RemiCapVert_WLT) 27 Mai 2014
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Publié le mercredi 28 mai 2014 à 00:45