AccueilLe blog de la rédac'Errani, Icare et le soleil Williams

Errani, Icare et le soleil Williams

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Ce n’est pas une montagne que doit gravir la petite Sara Errani, cet après‐midi, à Roland Garros. Non. C’est le ciel qu’elle doit titiller de sa raquette. Apprendre à voler en somme. Et ce ciel sans nuages, calme et serein, répond au doux nom de Serena. Enfin, le nom seul est doux. Que doit faire Sara pour se trans­former en Icare d’un jour et ternir ce bleu à peine voilé de grosses perturbations ?

« Elle est très forte physi­que­ment, c’est une athlète incroyable. » Tout est dit : face à Serena Williams, Sara Errani doit s’at­tendre être saoûlée de frappes de tous les coins du court. Face à ce défer­le­ment de puis­sance, que peut‐elle opposer ? Son physique, égale­ment, si, si. Mais au service d’un autre compar­ti­ment du jeu : le dépla­ce­ment. C’est bien le point fort de l’Italienne, cette mobi­lité sur le court et cette capa­cité, avec une certaine finesse, à repousser les assauts de ses adver­saires en trou­vant des angles souvent éton­nants. « Serena a beau­coup de puis­sance, ce sera diffi­cile », reconnaît‐elle avec toute sa candeur habi­tuelle. Mais elle le sait, sur terre battue, « une surface qui [la] favo­rise un peu », elle peut trouver une ouver­ture. Cette ouver­ture, outre les qualités tech­niques de la Signorina, repo­sera aussi sur son abné­ga­tion – le match sera en partie une bataille mentale. L’année dernière, à l’issue de sa victoire sur Samantha Stosur et ses grands coups de bûche­ronne, Errani avait confié son secret : « Il faut que j’uti­lise d’autres argu­ments : mon mental, ma rapi­dité. Il faut que j’aille vite, que je sois résis­tante. Et peut‐être d’autres choses. Si je n’ai pas la puis­sance, j’es­saie de trouver d’autres argu­ments pour que la puis­sance ne soit pas si capi­tale. » Aujourd’hui, la recette est la même. Et, dans ces cas‐là, il ne faut pas déna­turer son jeu, mais s’ap­puyer sur ses points forts.

Egalement limiter ses points faibles, bien entendu. Il semble néces­saire ainsi d’être capable de conclure les points, comme elle l’a fait face à Agnieszka Radwanska, dans un match où elle avait frappé 30 coups gagnants. Comme elle l’avait fait égale­ment face à Carla Suarez Navarro, dans le deuxième set – elle en avait mis 14. Mais égale­ment limiter la casse au service. Non que Serena Williams soit une relan­ceuse de génie, mais plus que la balle d’Errani, si elle est mal placée et pas suffi­sam­ment travaillée, risque d’être du pain béni pour l’Américaine. Car ce n’est pas sur la vitesse de sa première qu’elle risque de faire la diffé­rence… Cela nous avait frappés, visuel­le­ment, l’année dernière, lors­qu’elle s’était révélée au grand public : personne ne pensait possible d’at­teindre une finale de Grand Chelem avec un aussi faible enga­ge­ment – atten­tion, je parle de vitesse, pas de qualité de balle. Contre Arantxa Rus, au premier tour, sa mise en jeu la plus rapide est partie à 140 km/h ; sa moyenne en deuxième balle était à… 107 km/h. Bon, avec autant de marge sur ses premières et 90%, environ, d’as­su­rées, elle n’en joue pas beau­coup des deuxièmes balles. Son objectif : les travailler au maximum avec, en tête, de provo­quer la faute…

C’est, enfin, sa dernière solu­tion. Déboulonner Serena Williams en prati­quant un jeu de poison, la pousser à l’er­reur en bataillant sur chaque point et en utili­sant au maximum toute la géomé­trie du court. Lui faire ressentir la pres­sion qui peut peser sur les épaules d’une archi‐favorite. Car Sara n’a rien à perdre, son parcours est déjà formi­dable avec une victoire sur la tête de série numéro quatre à la clef. Certes, elle a une finale à défendre, certes, elle ressent, elle aussi, un chouïa de tension, mais elle rela­ti­vise… « J’ai évidem­ment plus de pres­sion à cause de la finale de l’année dernière. C’est une situa­tion tota­le­ment diffé­rente. J’ai réussi à bien jouer malgré la pres­sion. » Serena, elle, ne peut pas se permettre de perdre : elle vise un deuxième titre à Roland Garros 11 ans après le premier. Elle se doit d’y parvenir et de montrer qu’elle est encore la patronne en Grand Chelem – elle s’était faite sortir en quarts à Melbourne. Or, si elle semblait infaillible jusqu’en huitièmes de finale, ne lais­sant que 2,5 jeux par match en moyenne, elle a montré de vrais signes de fébri­lité en quarts, face à Svetlana Kuznetsova. Cette dernière l’a malmenée durant une manche entière, l’ame­nant à commettre 14 fautes directes en faisant preuve d’une soli­dité idéale et en variant son jeu à merveille. On a senti la numéro un mondiale se frus­trer peu à peu, avant de reprendre le dessus physi­que­ment. Une première faille dans la montagne, un premier nuage, là‐haut, inattendu…

Allez, courage, Sara. Courage. Il faut avoir l’in­cons­cience et la foi de l’exalté ; la même qui anime le fou lors­qu’il s’élance du haut d’une falaise en battant fréné­ti­que­ment des bras. Qui sait, hein, qui sait !