Un tournoi du Grand Chelem n’en est pas un sans ces matchs au couteau. Ces scénarios incroyables, sensationnels, mais aussi dramatiques où toute la magie de l’instant peut se figer dans un regard, une attitude, un geste. C’est un peu ce qui s’est passé dans cette rencontre qui a vu Gilles Simon baisser de pavillon face à Milos Raonic, que je m’en vais vous conter comme je l’ai vécu…
« Mais oui, c’est vrai ça, pourquoi tu trembles, Gilou ? » Cette question, elle m’a traversé l’esprit. Elle vous a tous traversé l’esprit. Qu’est‐ce qui a bien pu se passer dans ce moment pour que de l’espoir de toute une horde de chauvins, nous passions à l’incrédulité… de cette même horde de chauvins. Pour comprendre comment on en est arrivés là, il suffit de remonter le fil de l’histoire. Magnéto Serge.
Je l’voyais déjà…
C’est avec cette sérénité toute retrouvée que Gilles Simon s’est présenté face à Milos Raonic. C’est vrai ça ! On ne le dira jamais assez, mais voir Gilles comme ça après un début d’année… particulier, c’est étonnant. Annonçant vouloir revenir dans le top 10, le Français a été la source de nombre de railleries chez les spécialistes après des premiers mois à la hauteur de Nikolay Davydenko. On ne rappellera jamais assez qu’il était dans les qualifications du tournoi de Casablanca pour accumuler de la confiance… et perdre au premier tour dans le tableau principal derrière. Mais la rencontre face à Rafael Nadal à Rome l’a remis dans le bain. Plus tranchant, plus incisif, Gilles a livré une performance de haute volée qui, malgré la défaite, l’a restructuré tennistiquement et mentalement. Derrière, tout ceci s’est concrétisé à Nice, où Gilles a atteint les demi‐finales pour bien se mettre en jambes avant Roland. Un premier tour très facile face à Pavic, un deuxième tout aussi insolent, et voilà, donc Milos Raonic. Je ne vais pas vous cacher que de mon côté, « je le voyais déjà », comme dirait Aznavour.
Comme prévu, et puis…
Oui, je vais encore me faire traiter de prétentieux, moi, l’homme à la boule de cristal à retardement, mais j’ai senti un coup venir. Non, Gilles n’allait pas se faire étriller sauvagement par Milos Raonic. La confiance avec lui, j’ai senti qu’il avait le profil pour le déranger, ce grand dadet de Canadien qui déteste par dessus tout les courses et les échanges. Et Gilou ne m’a pas fait mentir. Il a bien embêté – pour ne pas utiliser de mot plus vulgaire – ou dirais‐je, « emmerdé » – tant pis – Raonic. Pas affolé par les services – alors que les radars, eux, étaient affolés – démentiels du Canadien, le Niçois a saisi toutes les opportunités pour finir par prendre le premier set. Une confirmation ! Je jubilais intérieurement… et extérieurement, demandez à Stéphane ! La suite, on la connaît, je ne vais pas vous la refaire et je vais sauter directement à la cinquième manche et l’instant fatidique. Après tout, c’est mon texte, je fais ce que je veux.
Le cinquième set, donc, le théâtre du drame. Que dis‐je, de la tragédie shakespearienne ! Mené 5–4 avec le service à suivre pour Raonic, Simon est dos au mur. Seul un public au rendez‐vous semble encore vouloir donner des ailes à son protégé. Et qu’il a eu raison ! Déjà bien tendu par l’enjeu, Milos a flanché. Incapable de lâcher des premières balles alors qu’il s’agit tout simplement de son arme nucléaire de poche, Raonic a laissé Simon le dompter. 0–15. Puis 0–30. Et 0–40 ! Incroyable ! Le Chatrier chavire et nous aussi ! Le Canadien s’offre un sursis, ça fait 15–40. Mais pourtant, c’est bien Gilles qui revient à 5–5 dans ce set. L’Histoire s’écrit sous nos yeux ! Gilles le sait, mais il le sait trop ! Ce que nous ne voyons pas, c’est qu’en même temps que la lumière éclaire son chemin, le sol se dérobe sous ses pieds : « Et maintenant ? » Doit‐il se dire. Il n’y a plus qu’à servir, gagner cette mise en jeu, et profiter des doutes de l’adversaire. C’est si simple. Mais tellement dur. Gilles s’élance, et ça lui échappe une première fois. Non, impossible, pas maintenant. Et pourtant, si. Lui aussi, son bras tremble. La peur de gagner, la peur de prendre les devants, la peur d’effacer en quelques balles les échecs accumulés de six mois catastrophiques. Gilles flanche à son tour, même là où il est le meilleur ! L’échange n’est plus tenu, et bien qu’apathique, Raonic maîtrise ses chops un peu fragiles. Il monte au filet… et fait exploser Simon.
Le tableau d’affichage est à 6–5 pour le Canadien. Peu à peu, la lumière s’éloigne. Les missiles tombent, les jambes fléchissent, les épaules se rouillent. Il n’y a plus de lumière. Il n’y a plus que les bras levés et le hurlement de ce gamin qui culmine à presque deux mètres. Pourquoi tu as tremblé Gilou ? Pas sûr qu’il parvienne à l’expliquer lui aussi un jour. C’est aussi ce qui fait la magie du tennis. Le mystère de l’instant…
Publié le vendredi 30 mai 2014 à 22:50