Quand on a le privilège de passer quinze jours Porte d’Auteuil, il faut ouvrir grand les yeux pour en tirer quelques scènes mémorables. Voici ma sélection – complètement arbitraire et assumée.
Sumyk et la promesse de l’aube
Difficile de déranger l’un des plus grands coaches tricolores en plein tournoi du Grand Chelem. Alors, plutôt que de passer par la voie officielle, à savoir son mail, il vaut mieux émettre des messages aux personnes faisant partie de son camp. Le téléphone arabe, c’est toujours beaucoup plus efficace. Rendez‐vous est donc pris avant les quarts de finale dans la salle de fitness du CNE. Comme d’habitude, Sam est cool et vient à ma rencontre pour causer tranquillement, alors que Vika commence déjà à transpirer. Ce matin, il y a du beau monde. Notamment une espoir tricolore qui me passe devant et fait mine de ne pas me reconnaître : genre… je suis une star maintenant. Son père la suit, stoppe son pas, hésite ; Sam lui jette un regard calme. Je l’apostrophe : « Comment allez‐vous ? » Il me répond avec sincérité : « Pourquoi se plaindre ? On n’est pas bien, ici ?! » Le papa a visiblement grandi. Il s’est surtout construit un look. Nike de la tête au pied, coupe de cheveux à la Clooney… La vie rend plus beau sur le circuit.
Gasquet et ses petits poings
Court Suzanne Lenglen, match de folie et Richie en feu. Fini le poing à hauteur du torse ! Maintenant, Richard tend les bras vers le ciel. Il fait bouger le public, il crie, il gémit, il envoie du gros fat. « Richard, c’est comme d’habitude, il n’a pas le physique. » Voilà un SMS d’un ami me résumant la rencontre. Tout de suite, je l’appelle et lui explique que nous n’avons pas vu le même duel. Car, selon moi, Richard progresse. Certes, lentement, mais sûrement. Voir cet enfant oser mettre le feu comme il l’a fait ! Un véritable exploit contre lui‐même. Rien que pour cela, Richie a réussi son tournoi… Un jour, peut‐être, il réussira la carrière qu’on lui rêve.
Chang existe encore..
Le tournoi des légendes… c’est beaucoup dire. Enqvist est à la ramasse et Grosjean n’avance plus. Heureusement, il y a Michael Chang, sa fameuse boucle de coup droit et ce petit surpoids. On dirait un moine tibétin. Manque, quand même, dans ce plateau, de vrais légendes, enfin, celles qui nous ont fait rêver : Edberg, Becker, Sampras, Agassi et consorts. Du coup, même si l’idée est bonne, on a bien l’impression que cette compétition demeure une forme de service après‐vente avec les seconds couteaux du circuit. Sauf, évidemment, pour le grand Goran, venu cette année fouler l’ocre en compagnie de Gaston Gaudio. Ce n’est pas suffisant pour trop en faire, comme ce joueur à la moustache joyeuse qui nous inonde chaque fois de gags plus ou moins réussis.
Chez les photographes, ‘y a d’la joie
GrandChelem/Welovetennis a deux photographes sur le circuit et il est de bon ton d’aller leur tenir compagnie quand le tournoi est interrompu à cause d’une interminable averse. Au contraire de la presse écrite, les plus grands photographes sont parqués sous le Suzanne Lenglen. La pluie venue, les voilà qui partent dans des délires et autres blagues potaches. Chaude ambiance, détails caustiques… On ne sait pas si c’est le fait de se trimbaler avec 20 kg de matos qui les rend si heureux, mais cette belle atmosphère est radicalement différente de celle qui sévit du côté des rédacteurs se prenant, eux, au sérieux pour une consonne ou une voyelle. Quand le soleil revient, ils oublient néanmoins leur sens de l’humour pour revenir à des considérations plus pragmatiques : « A Wimbledon, on a un souterrain privé qui nous relie au central. Ici, fendre la foule pour aller d’un court à l’autre est un véritable calvaire. » Voilà un détail supplémentaire qui résume bien pourquoi Roland Garros semble, chaque année, un peu plus en sursis. Il faudra bien qu’il fasse, un jour ou l’autre, sa petite révolution.
Des poteaux en bois… et plus de vert !
Habiller les poubelles d’un recovering, c’est bien. Mettre des poteaux en bois pour le filet du central, c’est la classe. Avoir des panneaux publicitaires en 3D, c’est mieux. Permettre à Emirates de faire voler une énorme maquette d’un A380 au‐dessus du court, c’est encore plus fort ! En revanche, pour tout le reste, un gros carton jaune, voire un rouge écarlate, notamment au sujet de la programmation des demi‐finales – comme je l’ai déjà évoqué, ici. Thèse qu’Andre Agassi en personne a confirmé, dimanche matin, face à Pauline Dahlem, venue en reporter recueillir les analyses d’une vraie légende.
Rafa‐Djokovic ou le tennis réinventé
En mettant de côté le troisième set où Nole a simplement cherché de l’air, il semble inutile de préciser que cette demi‐finale Nadal‐Djokovic est ce que l’on a fait de mieux dans l’histoire sur l’ocre. C’est vrai, Federer avait réalisé des prouesses il y a deux ans face à un Novak qui restait sur une dynamique exceptionnelle. Mais, ce vendredi, le Chatrier a vécu un petit moment d’anthologie avec tout ce que cela doit comporter : coups gagnants, retournements de situation, drames – on se souvient encore de cette scène incroyable où le numéro un s’emmêle les pinceaux dans les mailles du filet… Le plus remarquable, dans ce duel, c’est aussi la tenue des débats, avec deux champions qui n’ont jamais été irrespecteux l’un envers l’autre. Lors des conférences de presse, pas question de se chercher des excuses, là encore, nous avions deux vraies légendes face‐à‐face.
Jo, c’est fini…
Alors que, la veille, notre site internet www.welovetennis.fr avait battu son record historique avec plus de 40 000 visites, voilà que Jo‐Wilfried Tsonga prend 5–0 en un petit quart d’heure face à David Ferrer. Je suis seul en tribune de presse. Désabusé. Mes collègues bossent et, moi, je ne comprends toujours pas le choix des organisateurs. Je me venge, entre guillemets, le soir, par un papier un peu caustique. Mais, au fond, je sais aussi que la chance de voir un Tricolore en finale de son tournoi est vraiment passée. « De toute façon, il n’aurait rien fait face à Rafa », me glisse un ami pour me consoler. Il n’a peut‐être pas tort, car, finalement, voir David Ferrer se faire étriller par son compatriote Rafael Nadal lors d’un dimanche pluvieux et déprimant aurait été une souffrance encore plus insoutenable. C’est peut‐être pour cela que j’ai pris ma voiture dimanche matin pour quitter le XVIème arrondissement de Paris… et rejoindre la capitale des Gaules.
Publié le mercredi 12 juin 2013 à 07:00