AccueilMoselle OpenThierry Ascione : « Pour réussir, il faut être égoïste »

Thierry Ascione : « Pour réussir, il faut être égoïste »

-

Pour son hors‐série spécial Lyon – édité à l’oc­ca­sion de la demi‐finale de Coupe Davis contre l’Argentine -, GrandChelem est allé à la rencontre d’un Lyonnais, Thierry Ascione. L’occasion était double : « Beef », invité, cette semaine, à l’Open de Moselle, prendra sa retraite spor­tive à l’issue du tournoi. 81ème joueur mondial au meilleur de sa carrière, Thierry n’était « peut‐être pas né pour être un cham­pion », mais il nous a tout de même régalé d’une vraie belle tech­nique durant toutes ces années sur le circuit. Avec, à la clef, des victoires sur Rafael Nadal, Felix Mantilla ou Feliciano Lopez, en 2004. Cette année 2004 l’aura d’ailleurs vu disputer son seul et unique match de Coupe Davis, perdu face à Ljubicic et la Croatie. Thierry n’a jamais fait dans le policé : le voilà qui porte un regard objectif et sans conces­sions sur sa carrière et le tennis en général. Un entre­tien 100% Beef !

Alors, c’est décidé, tu vas arrêter ta carrière de joueur professionnel ?

Oui, c’est décidé. Concrètement, je ferai mes adieux à l’Open de Moselle, où mes deux meilleurs amis seront présents (NDLR : Yvon Gérard et Julien Boutter). J’ai envie de faire un truc bien ! Il y aura ma famille, mes proches… Ce ne sera pas la grande fête comme celle de Sébastien Grosjean sur le Central de Roland Garros, mais on va quand même marquer le coup. 

Quel bilan global tires‐tu de ces années passées sur le circuit ?

J’ai fait une belle carrière. Je savais que je n’étais pas né pour être un cham­pion. Au final, avoir parti­cipé à tous les tour­nois du Grand Chelem, avoir été blessé, être revenu dans les 100… C’est que du positif. Le tennis m’a permis de rencon­trer mes meilleurs amis. Il m’a égale­ment assuré une recon­ver­sion. J’ai visité les plus beaux pays du monde, j’ai joué les plus grands joueurs de ma géné­ra­tion, je suis descendu dans les plus grands hôtels… Que dire de plus ?! Bon, c’est vrai que ma carrière a été enta­chée par des bles­sures et, notam­ment, celle qui me la fait stopper, mais ce serait indé­cent de me plaindre. Si je devais tirer un bilan, je dirais que je suis très fier de ce que j’ai accompli.

Question inévi­table : quel est ton meilleur souvenir sportif ?

Il y a beau­coup de souve­nirs, mais le meilleur, c’est sûre­ment à Bercy, en 2003 : je joue Federer et je sais que je rentre dans les 100. A l’époque, je suis 105ème. Je me qualifie pour le grand tableau et je dois jouer l’Argentin Chela. J’ai un pote qui m’ac­com­pagne, il me dit que ça va être dur, que je ne dois pas me mettre trop de pres­sion. A ce moment, je le coupe, le regarde et lui réponds : « Je crois que tu ne te rends pas compte de la pres­sion que je me mets. » Autant dire que je suis rentré sur le court super remonté. En face, pour­tant, Chela était dans les 40 ; je savais que le combat serait rude. Mais, cette victoire, je la voulais plus que tout. 41 minutes plus tard, je sors du court après lui avoir mis 6–0 6–3, pétri de crampes (rires). Derrière, j’ai l’hon­neur de jouer Federer. Il était numéro 3 mondial et venait de gagner Wimbledon. Je m’in­cline, mais ça y est, je suis dans le top 100 !

Et le plus mauvais ?

Là, c’est plus simple. On est en 2008, je suis sur le court, à Chennai, avec mon coach, Nicolas Copin. Je viens de réussir à rentrer dans les 100 après mon acci­dent de moto. On discute de mes objec­tifs pour l’année et je lui explique que le premier, pour moi, c’est d’être en bonne santé, de ne plus me blesser. Deux jours après, mon coude se bloque : c’est le début de la fin, tout est dit.

Une anec­dote moins spor­tive ?

Là, tu es tombé sur le bon client ! (Rires) C’était en 2007. Je joue très bien, je viens de rentrer dans les 100 à l’issue du tournoi de Lyon. Je vais voir le médecin pour savoir si je peux jouer à Bercy. Il me dit non. Mais je décide quand même de faire un petit tour au player’s lounge du POPB. Je suis tran­quille­ment assis dans un fauteuil et, là, je rencontre celle qui est devenue très récem­ment ma femme. Je n’ai rien à faire ici, elle, encore moins, vu qu’elle ne fait pas partie du milieu du tennis. Pourtant, dix minutes après l’avoir vue, je savais que c’était la femme de ma vie.

Rencontrer sa femme dans un player’s lounge, pour un joueur de tennis, c’est fina­le­ment assez clas­sique, non ? (Rires)

Au contraire, c’est un vrai concours de circons­tances ! Mais je ne vais pas rentrer dans les détails… En tout cas, c’est la rencontre de ma vie.

Et un moment moins heureux ou plus épique ?

Clairement, je pense à mon premier circuit à Cuba‐Mexique, une tournée orga­nisée avec le soutien de la Fédération. Alois Beust et Eric Winogradsky sont nos deux coaches. A l’époque, dans le team, il y avait Ramos, Faurel, Vatin, Serra, Prodon… Aller à Cuba, pour moi, ce n’était pas anodin, c’était l’un de mes premiers grands voyages. Après mon premier match, je vais tran­quille­ment prendre une douche. Là, je m’aper­çois qu’on est loin d’être dans un palace… Dans la douche, il y avait des fils élec­triques près du pommeau. Ca n’a pas loupé, j’ai pris le jus ! Un bel élec­tro­choc ! (Rires)

Pour revenir aux choses sérieuses, ce cap des 100 premiers semble avoir toujours été un point de passage impor­tant dans ta carrière ?

Les 100, c’est un objectif. L’atteindre, ça change tout. Beaucoup restent aux portes de ce cap. Sur la planète tennis, le clas­se­ment à deux chiffres est une vraie réfé­rence. Ca te permet d’entrer dans les tableaux des Grands Chelems, ça te permet de faire les plus beaux tour­nois du circuit… Et, surtout, de respirer un peu, d’avoir une petite assise, de la tran­quillité. Etre dans les 100, ça change presque tout.

Egalement au niveau des finances ?

Non, pas que pour ça. C’est surtout une forme de recon­nais­sance, un véri­table objectif. Au niveau finan­cier, le gâteau est, certes, énorme, mais il est réservé aux dix premiers…

Qu’êtes-vous, alors ? Des cadres supérieurs ?

Non plus. On gagne quand même très bien notre vie. Dans les 100, c’est entre 200 et 250 000 dollars par an. De belles sommes ! Et c’est vrai qu’entre la 80 et la 120ème place, il y a un écart notable : à 120, on rentre à peine dans ses frais. Maintenant, on peut aussi gagner sa vie en dehors du circuit. Moi, je ne fais pas partie de ceux qui crachent sur les matches par équipes, c’est un vrai plus pour nous. Ceux qui peuvent s’en passer, je leur dis bravo ! Personnellement, je les fais et j’aime ça. Il y a un coach sur le banc, une ambiance sympa… C’est rafraî­chis­sant ! On change d’air, on cultive un esprit d’équipe et c’est rare sur le circuit.

Federer, Nadal, qui t’impressionne le plus ?

D’abord, je pense qu’on ne se rend pas bien compte de la chance qu’on a d’avoir deux cham­pions de ce charisme. Sampras et Agassi, par exemple, ils n’étaient pas du tout acces­sibles. Et ils étaient beau­coup moins drôles ! (Rires) Leur carrière, leur éduca­tion, leur entou­rage, c’est vrai­ment sain. Et j’ai eu la chance de les jouer. Je pour­rais dire que j’ai échangé des balles avec les plus grands cham­pions de tous les temps ; ça n’a pas de prix !

Tu peux nous en dire plus sur l’écart de niveau entre toi et ces grands champions ?

Il y a une forme de respect, mais il faut arriver à le mettre dans le sac. Si on respecte trop le joueur d’en face, on prend deux breaks et on perd en ayant l’impression d’avoir fait un bon match. Mais, au fond de soi, on n’a jamais vrai­ment eu le désir de l’emporter. Pour gagner face aux meilleurs, il faut juste être à son top niveau et qu’en face, ça ne soit pas le cas. C’est clair, Rafa et Roger, à leur meilleur niveau, ils sont tout simple­ment intou­chables par un joueur comme moi. C’est évident !

Contre ces joueurs, ça va vrai­ment plus vite ?

C’est beau­coup plus complet. Les points sont plus durs à construire, plus durs à gagner. Federer, par exemple, il maîtrise tous les schémas de jeu. Et puis, de toute façon, d’une manière géné­rale, ils font tout mieux que nous. 

Parlons tech­nique : Ascione et le Taraflex, c’est presque une histoire d’amour ?

Un peu, oui ! Ca m’a emmerdé que cette surface ne soit plus utilisée, d’autant qu’elle était posée à Lyon, mon tournoi de cœur. On la trou­vait aussi à Andrézieux, un Challenger que j’ai remporté quatre fois… Donc, évidem­ment, je n’ai presque que de bons souve­nirs du Taraflex !

Federer et Nadal ont fait pres­sion pour qu’elle soit radiée ?

Je ne sais pas mais, pour eux, c’était horrible parce qu’on ne pouvait pas se déplacer. Gicquel et Monfils, qui font des glis­sades, m’ont toujours expliqué qu’ils détes­taient cette surface. En même temps, je peux comprendre… On change déjà telle­ment de balles, on subit des déca­lages horaires inces­sants… Si, en plus, on change la surface, ça devient très compliqué. Ca me parait donc logique d’avoir unifor­misé tout ça. Tout est plus simple.

Pour réussir dans le tennis, on dit qu’il faut être égoïste…

Pour atteindre ce but, il faut que six ou sept personnes vivent pour vous. Votre femme, vos enfants, votre famille, votre coach… Tout le monde est centré sur vous et pour vous. C’est terrible et c’est inévi­table. Donc, oui, il faut être égoïste. 

On arrive quand même à se faire des amis ?

Oui, même si je suis un cas parti­cu­lier : mes amis ont arrêté leur carrière quand j’ar­ri­vais sur le circuit. Ca a simplifié les choses. Quand on est jeune, c’est compliqué de jouer un copain. Plus tard, en vieillis­sant, ça ne pose plus de problèmes et ça donne souvent de grands combats. Mais il y a autre chose que je ne comprends pas dans la grande famille du tennis : c’est la jalousie. Que quel­qu’un joue bien, ça ne change pas la vie de l’autre. Pourtant, j’ai souvent vu des gens qui étaient contra­riés, plutôt que réjouis, par la perfor­mance du voisin. J’ai toujours eu beau­coup de mal avec cet état d’es­prit. La clef, c’est de garder du recul en perma­nence, ça permet d’être plus serein. 

Aujourd’hui, ton actua­lité, c’est ta reconversion…

Le tennis m’a fait gagner beau­coup de choses et j’ai envie de le lui rendre. J’ai réfléchi à l’idée de m’im­pli­quer dans un club à Paris, mais des joueurs avec mon expé­rience, il y en a plein. A Lyon, c’est diffé­rent. Je n’avais pas forcé­ment de temps, mais je m’en suis dégagé pour mener à bien cette mission. Je sais pour­quoi j’ai quitté Lyon étant plus jeune et j’ai envie de trouver des solu­tions pour qu’on garde et qu’on forme, désor­mais, les futurs espoirs. Je pense m’être bien entouré, avec Cédric Lenoir notam­ment. J’ai un vrai avan­tage : je n’ai pas été assez bon pour être capable d’écarter préma­tu­ré­ment un joueur à cause de son clas­se­ment. Si un jeune, classé 152, veut jouer dix heures par jour pour progresser, je l’ai­de­rais avec grand plaisir. 

D’un point de vue tech­nique, qu’est-ce qui t’as le plus marqué pendant ces années sur le circuit ?

Les joueurs sont devenus de plus en plus complets. Deux événe­ments majeurs dans cette évolu­tion : l’arrivée des fameuses raquettes bleues de chez Babolat ; et le Luxilon. La Pure Drive, selon moi, c’est une économie de 500 heures en salle de muscu­la­tion. Quant au Luxilon, c’est un contrôle inégalable.


Si tu pouvais changer une règle du tennis, tu ferais quoi ?

J’enlèverais les matchs en cinq sets !

Thierry, là, c’est carré­ment l’histoire du sport que tu veux changer !

Oui, mais regarde : ce qui prend le dessus sur un match en cinq sets, ce n’est que le physique. 

Pour finir, je suis sûr que tu as un regret… ?

Pour être plus fort, il ne fallait pas que je sois Thierry Ascione.

Là, je ne te suis plus !

J’ai toujours eu envie de beau­coup de choses, je suis curieux… Pour être plus perfor­mant, j’au­rais dû être bien plus centré sur moi‐même.

Beef et la Coupe Davis :

« La Coupe Davis, à la fois, c’est un rêve de gamin, à la fois, ce n’en est pas un. Tu ne peux pas
te dire : « Je vais jouer la Coupe Davis. » Il faut d’abord être un grand cham­pion et, moi, ça n’a
jamais été le cas. Quand j’ai été sélec­tionné pour la première fois, je venais de battre Nadal à
Chennai ; j’étais, d’ailleurs, allé en quart de finale. Je me rappelle… Je reçois un message de
Michael Llodra à trois heures du mat’ : « Mon gros beef, tu es en Coupe Davis, je veux être le
premier à te l’annoncer. Je le connais, le Mika, je sais qu’il est capable de me faire une blague
de ce genre. J’étais 80ème et, en gros, n°4 fran­çais. Scud’ reve­nait, Grosjean jouait très bien,
Santoro était dans le coup… C’était plau­sible, mais ça ne faisait que quatre mois que j’étais
dans les 100. Finalement, je me rendors tran­quille. Le lende­main, à midi, Forget m’appelle et
me confirme la bonne nouvelle. J’appelle mon coach, Jérôme Potier. Il ne bronche pas. Puis ma
famille. C’est après que je me suis rendu compte de l’ampleur du truc. La rencontre se déroulait
à Metz (encore !). Sébastien Grosjean se blesse, il faut quelqu’un qui aille au charbon. Guy me
fait confiance. On menait 1 à 0 grâce à la victoire de Clément sur Ancic. Je joue Ljubicic, 10ème
mondial. Je ne fais pas un match extra­or­di­naire et perds donc logi­que­ment. J’étais tendu et,
il faut le dire, je mouillais comme un voyou… Après, ça a été une petite défer­lante… J’ai été
décrié : étais‐je vrai­ment à ma place, etc. ? Or, moi, pour le coup, je n’avais rien demandé.
C’est pour ça que je n’ai jamais vrai­ment compris toutes ces histoires. Et je l’ai mal vécu.
 »

Propos recueillis par Laurent Trupiano

Article précédent
Article suivant