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ARTHUR ASHE, L’ESTHÈTE D’UN CERTAIN SWING
Par Rémi Cap‐Vert, samedi 23 novembre 2013 à 13:00
En cette année qui a vu commémoré le 20ème anniversaire de son décès, je ne pouvais manquer de rendre hommage à l’une des figures du tennis américain. Arthur Ashe. Plus qu’une figure, plus qu’un joueur de tennis, un grand homme, tout simplement. Mais vraiment simplement. Comme ça, presque par hasard, ou par inspiration plutôt, avec une élégance rare.
« Il joue ses coups comme il avait l’habitude de jouer de la trompette au collège, improvisant ici ou là, mixant des notes fluides et douces à d’autres complètement imprévisibles, pour déstabiliser son adversaire. » Non, lorsqu’Harry Gordon écrit ces lignes dans le New York Times, en 1966, il ne parle ni de Duke Ellington, ni de Sidney Bechet. Mais d’un jazzman qui a ouvert les yeux dans un berceau sentant la naphtaline, à Richmond, un matin de juillet 43. Arthur Ashe ne portait pas encore ses lunettes de fils d’ambassadeur – son père n’était qu’un policier modeste, chargé de la surveillance des parkings de la ville. Mais, de ses oreilles grandes ouvertes, sous un flot de dentelles, il entendait déjà les variations thématiques, leurs croches et leurs syncopes, d’une trompette et d’un saxo aux joues rouges et gonflées.
« Le jazz est vif, douloureux, doux, tendre, lent ; il apaise, il bouleverse, c’est de la musique et ce qu’il rythme est vrai, c’est le pouls de la vie. » Ce pouls dont parle Andrée Maillet, une figure de la littérature francophone au pays de l’érable, c’est celui qui vous pousse à l’improvisation. Arthur, lui, l’a d’abord pris du bout d’une raquette empruntée, à 10 ans, en fracassant des balles contre un mur de briques rouges. Doué, il le prend et le sent tellement bien, qu’il bénéficie des conseils de Pancho Segura, à UCLA, stimulant son tempérament offensif… et créatif. Et son goût de l’expérimentation. Le jeu, toujours le jeu ! S’appuyant sur une première balle destructrice, Ashe invente d’une main exceptionnelle. Sa légende le disait capable de frapper un revers de 16 façons différentes en touchant n’importe quelle zone du court. Mais l’enfant de Virginie comprend très rapidement que le tennis n’est qu’une manière de jouer avec la vie. A 23 ans, quelques années avant qu’il ne soulève ses trois trophées du Grand Chelem, il l’avoue déjà, à mots cachés… « Quand le jeu commence à ne plus aller dans mon sens, je ne peux pas m’empêcher de penser : « Mais qu’est‐ce que je peux bien foutre ici ? » Je n’ai qu’une envie : rentrer à la maison. » Ainsi se met‐il à clamer à la fin de sa carrière, en 1980 : « Je ne veux pas qu’on se rappelle de moi pour mon tennis. »
Oui, Arthur ne pouvait se limiter au court. Le tennis, il l’avait choisi. Mais d’avoir la peau noire dans une Amérique encore touchée par le racisme ? De perdre sa mère à sept ans ? D’attraper le Sida lors d’une transfusion sanguine pour une opération cardiaque, en 1983 ? Non. Alors il joue, plutôt que de pleurer… Et improvise. Cette improvisation, c’est un peu affirmer : « Yes, we can », une lueur de défi dans les yeux. « Arthur, c’était quelqu’un qui te regarde et qui te dit : tu peux le faire, tes origines et ta couleur de peau ne comptent pas », confirme Zina Garrison dans Sports Illustrated. « J’ai toujours voulu marcher dans ses pas et personne ne peut oublier qu’il les a faites en premiers, ces traces que nous suivons. Pour les Noirs, il était un modèle. » Et le modèle l’affirme : « Je ne suis pas un militant noir. Mais je veux faire quelque chose pour ma société et je pense que je le ferai bien mieux en montrant l’exemple. »
Montrer l’exemple, c’est, peut‐être, glisser une raquette dans la main droite de Yannick Noah, sur un court raviné de Yaoundé, en 71. C’est rester droit dans ses Coq Sportif, se limiter à un « boy, oh boy ! » en cas de frustration, à un coup d’oeil ironique vers l’arbitre en cas de désaccord. C’est oublier les couleurs – le noir et le blanc ne s’épousent‐ils pas ? Ou défendre les droits civils des minorités et lutter contre l’apartheid. En somme, ce sont ces mots très simples de Yannick : « Arthur avait la classe. Il arrivait sur le court avec un avantage : il était beau. » La beauté d’ « un grand homme, devenu plus grand que son sport ». D’un jazzman, d’un artiste… et d’un « improvivant », tout simplement. « Dans cent ans, personne ne se souciera plus de ma vie. Alors je veux la vivre comme je l’entends, avec le plus de tolérance possible. Faire tout ce qui me plaît, tant que je ne blesse personne. C’est ma vie. »
Trois morceaux à écouter…
« Humoresque n°7 », d’Anton Dvorak, par Art Tatum (1940)
« Night in Tunisia », de Dizzy Gillespie, par Sarah Vaughan (1944)
« Si tu vois ma mère », par Sidney Bechet (1950)
Arthur Ashe, en quelques dates…
1943 – Le 10 juillet, naissance à Richmond
1963 – Devient le premier Noir à être sélectionné avec l’équipe américaine de Coupe Davis
1968 – Victoire à l’US Open, face à Tom Okker, 14–12, 5–7, 6–3, 3–6, 6–3, devient le premier Noir à remporter un tournoi du Grand Chelem
1970 – Victoire à l’Open d’Australie face à Dick Crealy, 6–4, 9–7, 6–2
1975 – Victoire à Wimbledon face à Jimmy Connors, 6–1 6–1 5–7 6–4
1978 – Joue avec Yannick Noah en double à l’US Open et à Wimbledon
1983 – Interview Yannick Noah sur le court, à Roland Garros, après le titre du Français
1983 – Opération du cœur et transfusion sanguine
1992 – Révèle qu’il souffre du SIDA depuis neuf ans, mais qu’il ne le sait que depuis 1988
1993 – Décès à New York, le 6 février
- La rétro WLT est organisée en partenariat avec « Rafa, mon amour », le livre tennis événement sur Rafael Nadal, et l’ensemble de la collection We Love Tennis des éditions Flora Consulting.
Publié le dimanche 22 décembre 2013 à 18:30