We Love Tennis, c’est comme un supermarché. On y trouve de tout et de toutes les qualités. Si l’on n’hésite pas à rire de nous‐mêmes en publiant chaque jour la sélection des « billets les plus NAZES de l’année », l’on vous propose aussi un autre top 10 : celui des meilleurs articles de ces 12 derniers mois. Les mieux informés, les mieux écrits, les plus intéressants, les plus complets, les plus drôles… A compléter avec votre propre sélection !
NADAL, SES SAINT‐JACQUES ET SON COULIS DE POIVRON…
Par Rémi Cap‐Vert, jeudi 23 mai 2013 à 17:30
Père Castor, raconte‐nous une histoire. Oui, aujourd’hui, c’est RCV le Père Castor. Sauf que ce Père n’est ni le Père Bocuse, ni la mère Richard. Vous l’aurez compris, c’est une histoire culinaire que je vais vous conter. Et, plus qu’une histoire, c’est une mésaventure absolument banale.
RCV est un être délicat, si, si. Intéressé par de nombreux domaines, il met souvent du sens dans des démarches simples, afin, il l’espère, de leur offrir un peu de son âme propre. C’est joliment dit, mais cela ne signifie pas grand‐chose pour le moment, je vous le concède. Il y a deux semaines, à l’occasion d’une obligation conjugale, RCV a été amené à endosser un beau tablier blanc – rassurez‐vous, cette virginité fut de courte durée, non que notre héros du quotidien entretienne une attirance non assumée pour la crasse et la saleté, mais si la maladresse était une infection, il en serait sans aucun doute le vecteur attitré, le rat et la gangrène. Malgré des compétences culinaires limitées, votre valeureux serviteur s’est lancé dans une entreprise délicate : des Saint‐Jacques snackées et leur coulis de poivron rouge. Aussi résolu qu’un Rastignac s’attaquant à Paris, il note précisément les différentes étapes à suivre pour atteindre son objectif : acheter de belles et grosses Saint‐Jacques, leur ôter le corail, faire chauffer une poêle avec un soupçon d’huile d’olive… et saisir le fruit – de mer, pas des entrailles – deux minutes sur chaque face. Auparavant, il lui aura fallu préparer son coulis vermeil, avec de beaux poivrons aux fesses aussi rondes que la lune et d’un rouge au parfum hispanique. Rien de bien compliqué, en somme, nul besoin d’en faire une histoire aussi alambiquée. Les Saint‐Jacques sont lancées, dans un grillottement, qui croyez‐moi, vous fait envier, un instant, Jean‐Luc Petitrenaud. Deux minutes : tout est calculé, la cuisine est affaire de précision. Deux minutes, observées au centième. Deux minutes fois deux. C’est bon, prêt à être dégusté, mais voilà… Le couperet tombe comme le hachoir du boucher débitant ses pièces au petit matin : les Saint‐Jacques sont trop cuites. Tant pis pour RCV, pour sa recette… et son épouse.
L’agressivité comme ingrédient principal
Opposé à Rafael Nadal au premier tour de Roland Garros, Daniel Brands m’avait demandé la recette de ces fameuses Saint‐Jacques. Si, si, lui maîtrisait plutôt les jarrets de porcs ; il fallait s’affiner. Avec, en théorie, une saveur finale de victoire explosant ses papilles d’un succès mémorable. Robin Söderling, le premier, avait montré la voie à coups de poêle à frire un certain jour de Roland 2009. Une gestuelle particulière, la réussite de l’inconscient, mais, surtout, le talent d’un chef étoilé le temps d’une partie… et un peu plus. Lukas Rosol avait suivi ses pas, l’année dernière, à Wimbledon. Le fou, qui souffle chaud et froid, sucré‐salé‐indéterminé façon cuisine moléculaire… On ne s’en remet pas. Jusqu’à, dernièrement, ressentir à nouveau le vent de cette inspiration dans les parpaings‐rouleau à pâtisserie d’Ernests Gulbis. Le dénouement ne fut pas aussi fort en goût, mais mérite d’être salué par ses pairs toqués. Ce lundi, à Roland Garros, Daniel Brands a puisé son inspiration dans ces plats et performances passés. Durant deux sets, il a appliqué à merveille la recette établie par Monsieur Söderling, meilleur ouvrier de France un après‐midi parisien. La voici dans ses termes danielbouludien : « Contre Rafa, il faut faire preuve d’agressivité dès le départ. Il s’agit d’exercer une pression constante, de le bouger en permanence. Ce doit être votre objectif principal. Si vous y parvenez, vous pouvez le bousculer. Et, mieux, rivaliser avec lui. Par ailleurs, il faut pratiquer un niveau de jeu très élevé pendant tout le match. C’est bien ça le plus difficile : être capable de jouer trois sets durant un excellent tennis. » Pendant deux sets, coups droits puissants frappés balle montante, lignes effacées et revers à une main tout en relâchement… Deux minutes sur chaque face, les Saint‐Jacques, on vous l’a dit. Evidemment, il faut bien que le Rafa soit un peu mou, que son bras tremble un chouïa, comme sur ces doubles fautes, dans le premier set, et ces énormes erreurs en coup droit, avec cette balle ne passant pas la ligne médiane… ou le filet. Mais l’application de notre ami Dany a fait plaisir à voir.
L’application, voilà où le bât blesse. De la théorie à la pratique, il y a parfois un monde, de conditions, d’évolution et de constance. Dans ce monde‐là, Rafael Nadal est souvent le meilleur : la régularité son intensité, cette même intensité nécessaire aux victoires et aux grandes performances. Daniel Brands l’a appris à ses dépens : ses Saint‐Jacques sont restées sur le feu le temps indiqué par Ginette Mathiot, que des générations de belles‐filles détestent ou adulent, c’est au choix. Et pourtant, elles ont un peu trop cuit. Ne manquait pas grand‐chose ; pas de la précision, juste l’instinct de la cuisson et le relâchement dans les moments critiques de l’excellent cuistot – tie‐break, tie‐break… Une manière, finalement, de sentir son corps et l’âme d’un match en prenant, selon l’expression consacrée, les points les uns après les autres. Allez, Daniel, pour la morale de cette petite histoire : c’est en cuisinant qu’on devient cuisinier.
- La rétro WLT est organisée en partenariat avec « Rafa, mon amour », le livre tennis événement sur Rafael Nadal, et l’ensemble de la collection We Love Tennis des éditions Flora Consulting.
Publié le dimanche 22 décembre 2013 à 13:00