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« Gasquet, le poten­tiel virtuel ? »… par Benda

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La rédac­tion sélec­tionne des commen­taires inté­res­sants dans sa rubrique « Vous avez la parole ». Aujourd’hui, Benda nous livre son analyse du cas Richard Gasquet. « On peut être un cham­pion et un type fragile menta­le­ment, avec tous les degrés possibles de cette fragi­lité » : c’est ô combien vrai, Rafael Nadal lui‐même le montre par ses angoisses multiples – peur de l’eau – et oui ! -, peur du noir, peur de la maladie, jusqu’à friser la folie.

ATP – Bangkok > Gasquet, la main de fer – Le dimanche 30 septembre 2012 à 16:26 – par Benda

« On peut être un cham­pion et un type fragile menta­le­ment, avec tous les degrés possibles de cette fragi­lité. On pour­rait même soutenir que tout cham­pion est forcé­ment un être fragile « quelque part », comme on dit main­te­nant, parce que vouloir être un cham­pion a quelque chose d’anormal, c’est‐à‐dire qui sort de la norme étymo­lo­gi­que­ment. Vouloir être un cham­pion, c’est vouloir prouver au monde sa force, force qui n’a besoin d’être prouvée que s’il y a a contrario une faiblesse obscure à effacer. Mais bien entendu tout dépend de la nature et du lieu de cette fragilité.

Prenons un exemple célèbre : Fangio, grand coureur auto­mo­bile s’il en fût, capable de braver la mort à chaque course auto­mo­bile, était abso­lu­ment inca­pable de prendre un ascen­seur tout seul. Et l’on pour­rait multi­plier les exemples.

Le moment clé de fragi­lité du cham­pion de tennis, c’est celui de la balle de match. On voit même les plus grands, les plus solides avoir d’étranges et de singu­lières défaillances au moment tant espéré de plier le match, défaillance sans rapport avec leur forme du moment, sans rapport aussi avec leur niveau tech­nique. C’est ce qu’on appelle « la peur de gagner ».

La carac­té­ris­tique de Richard, c’est que la victoire d’au­jourd’hui ne préjuge en rien de ses résul­tats futurs. Je dirai presque : au contraire ! Chez Richard, ce qui me semble assez symp­to­ma­tique, c’est que « le craquage » mental n’est pas lié à un moment parti­cu­lier du match mais plus à un état. C’est quand on l’at­tend qu’il est rare­ment là, c’est quand on ne l’at­tend plus, qu’il tire assez souvent son épingle du jeu.

Je me souviens d’un match récent contre Isner, sur dur, où Richard avait gagné de fort belle manière, avec une jolie aisance. Il avait retourné remar­qua­ble­ment bien en avan­çant sur tous les services du grand machin améri­cain qui envoie des missiles. Retourner le service d’Isner est une perfor­mance qui n’est pas à la portée de n’im­porte quel joueur. Pourtant, c’est le même Gasquet que l’on voit quelques jours plus tard à 4 mètres de la ligne de service pour retourner les services d’un joueur lambda sans grande puissance.

Quand Richard n’avance pas dans la balle, ce n’est pas qu’il est sot au point de n’avoir pas compris qu’il avait plus de chance de déborder son adver­saire en prenant la balle tôt, c’est qu’il ne le peut pas. Ce n’est pas qu’il ne le veut pas, car tech­ni­que­ment, il l’a prouvé, il sait très bien le faire.

Pourquoi ne le fait‐il pas, s’il sait le faire et qu’il a compris qu’il fallait le faire ? Parce qu’il ne sent pas la balle à ce moment‐là, parce qu’il est inhibé. Pourquoi est‐il inhibé ? Pourquoi donne‐t‐il si souvent l’im­pres­sion de souf­frir, d’être triste en jouant, alors même qu’en inter­view il répète la leçon apprise par tous les coaches que l’im­por­tant est « de jouer pour son plaisir », comme si, ô absur­dité, le plaisir n’était qu’un état de la volonté ? La réponse lui appar­tient mais sans doute ne la connaît‐il pas lui‐même.

Aujourd’hui Richard a gagné un ATP 250, par surprise en quelque sorte (« j’au­rais pu perdre » a‑t‐il dit) en jouant plutôt moyen­ne­ment (je n’ai pas vu la finale, mais j’ai vu le quart et sa demie), avec parfois des instants de fulgu­rance, comme pour nous rappeler son poten­tiel réel. C’est dire le niveau de ce poten­tiel qui, hélas, je le crains, restera une virtualité. »