AccueilWe Love Tennis Mag3 experts pour comprendre le poids de la défaite (1/2)

3 experts pour comprendre le poids de la défaite (1÷2)

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Thierry Ascione, coach de Jo‐Wilfried Tsonga, fonda­teur de la All In Academy, Patrick Mouratoglou, coach de Serena Williams, fonda­teur de l’aca­démie éponyme, et Sam Sumyk, coach de Garbine Muguruza, ont accepté le jeu de l’in­ter­view croisée. Attention, document !

Edgar Grospiron avait un entraî­neur qui répé­tait : « Dans chaque victoire, il y a une défaite et dans chaque défaite, il y a une victoire. » Qu’en pensez‐vous ?

Thierry Ascione (T.A.) : « Je ne suis pas tout à fait d’ac­cord. C’est donner une force encore plus prononcée à la notion de défaite. Or, la défaite a un impact complè­te­ment diffé­rent selon les sports. Au tennis, les compé­ti­tions ne s’ar­rêtent jamais. En tant que coach, on est obligé d’avoir ce para­mètre en tête. Avant de débuter la saison, en fonc­tion du clas­se­ment du joueur et de son calen­drier, on sait à peu près quel doit être son ratio victoires‐défaites pour atteindre ses objec­tifs. On vit avec cette idée au quotidien. »

Sam Sumyk (S.S.) : « Je partage un peu l’avis de Thierry. Une défaite ne peut qu’en­gen­drer une réac­tion. Seule la victoire est inté­res­sante : trop de bran­lées notoires n’ap­portent, me semble‐t‐il, rien d’autre… que zéro victoire. »

Patrick Mouratoglou (P.M.) : « La compé­ti­tion est essen­tielle. C’est le moment où le joueur est face à lui‐même, à ses perfor­mances, à ses réus­sites, mais aussi à ses manques, à ses erreurs. Ce qui a été travaillé à l’entraînement pendant des mois va‐t‐il porter ses fruits ? Au bout, il y a soit la victoire, soit la défaite. Souvent, cela se joue à quelques points, parfois un seul. Cela semble si peu et, pour­tant, il y a un monde entre la victoire et la défaite. Un monde pour une petite poignée de points. Si la victoire apporte confiance, joie, soula­ge­ment et est vecteur de progrès, il ne faut pas oublier que, même lors du plus accompli des matchs, de nombreux points ont été perdus. Ces derniers donnent égale­ment de précieuses infor­ma­tions. Pendant les premiers tours, je prends énor­mé­ment de notes. Même si mon joueur gagne, il y a toujours beau­coup de détails tech­niques ou tactiques à améliorer pour les matchs et les tour­nois suivants. La défaite est telle­ment riche en ensei­gne­ments, qu’on pour­rait avoir tendance à l’aimer, mais il faut la garder à distance le plus souvent possible, car elle est égale­ment dange­reuse. Elle atteint la confiance du joueur, elle fragi­lise le couple entraîneur‐entraîné et il ne faut surtout pas s’y habi­tuer, car on risque de s’y rési­gner. Il y a un dicton qui dit : « Soit je gagne, soit j’apprends. » Je sous­cris a ce message philo­sophe, mais j’ajoute que la défaite doit, malgré tout, rester notre ennemie numéro un. »

Claude Onesta affirme, de son côté : « La victoire génère un état qui n’est pas propice au travail. » Il sous‐entend donc que c’est la défaite qui est motrice. Est‐ce que vous partagez cette idée ?

T.A. : « Ce que l’équipe de France de hand­ball a accompli et ce qu’elle va encore produire, selon moi, aux JO de Rio, c’est impres­sion­nant. On ne peut qu’être admi­ratif et je pense que Claude Onesta est un très, très grand coach, qui a su s’en­tourer. C’est un véri­table chef d’or­chestre et le leader d’un groupe. Au tennis, on est dans une confi­gu­ra­tion complè­te­ment diffé­rente, sauf en Coupe Davis. Je comprends son propos, ce qu’il veut exprimer, ce fameux relâ­che­ment. Reste qu’au tennis, avec la multi­pli­ca­tion des matchs, j’ai le senti­ment que la victoire appelle aussi la victoire. Elle crée une dyna­mique, permet de surfer sur une vague de succès et, quelque fois, de gagner des matchs sans bien jouer. C’est un vrai paradoxe. »

S.S. : « À force de gagner trop, trop bien, trop faci­le­ment, l’ath­lète n’est pas poussé à travailler au quoti­dien. Moi, person­nel­le­ment, j’au­rais aimé un compromis entre Williams et Graf, cela m’au­rait évité d’aller bosser tous les jours. Cela dit, le talent n’in­terdit pas de travailler et c’est heureux. Qu’est ce que je devien­drais ? Retour sur la pres­qu’île de Quiberon ? »

P.M. : « Je comprends ce que Claude veut dire. Ce qui est exact, c’est que la victoire crée une sorte d’euphorie, une montée de la confiance, qui n’est pas propice à la remise en ques­tion. Mais lui inter­vient dans un sport collectif et cette consta­ta­tion ne se vérifie pas forcé­ment dans un sport indi­vi­duel. Mon expé­rience m’a montré qu’il n’existe aucune règle en la matière. Les person­na­lités diffé­rentes de chaque joueur les amènent à avoir des réac­tions diamé­tra­le­ment oppo­sées dans des situa­tions simi­laires. C’est d’ailleurs pour cela que le métier de coach est un métier d’adaptation constante. »

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